« Je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. » Ainsi s’exprime, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Cyrus Smith, l’un des protagonistes du roman L ’ Île mystérieuse de Jules Verne, publié en 1875. On a du mal à croire que cette prémonition date d’il y a presque cent cinquante ans, époque à laquelle les moteurs à combustion interne étaient en pleine expansion.
Aujourd’hui, alors que nous nous demandons encore s’il est judicieux de développer les technologies autour du vecteur hydrogène, j’ai le sentiment que nous ne sommes plus capables d’audace scientifique ; que la capacité de rêver, propre à Jules Verne, s’est largement émoussée ; que l’enthousiasme suscité par la potentialité de découvertes disruptives s’est éteint. Pis, coincée entre les intérêts bien sentis que défendent les uns et les craintes peu propices au changement qu’éprouvent les autres, notre recherche semble au point mort, dans un champ pourtant désigné depuis des décennies comme l’avenir de notre production énergétique.
Après un siècle et demi d’exploitation industrielle du pétrole, dont on nous dit que les réserves mondiales s’amenuisent, nous devons nous interroger en profondeur : quelle est la meilleure source énergétique pour alimenter notre industrie, pour fournir la chaleur aux bâtiments publics et aux habitations particulières, pour faire fonctionner nos avions, nos bateaux, nos trains et nos automobiles – toujours plus nombreuses –, lesquelles provoquent une pollution atmosphérique qui n’est plus soutenable dans un certain nombre de mégalopoles ?
Partout dans le monde, à la fois pour des questions de ressources et pour des préoccupations environnementales, se profile une massification du véhicule électrique. Il nous faut réinventer notre production d’électricité : celle de demain ne ressemblera vraisemblablement pas à celle d’hier.
Dans cette perspective, la filière nucléaire, si caractéristique de l’indépendance énergétique de notre pays, a toute sa place : elle ne doit évidemment pas être abandonnée. Au contraire, nous devons consolider notre savoir-faire, qui progresse notamment avec l’émergence de nouveaux procédés de traitement des déchets radioactifs, et envisager de nouvelles unités de production, aux dimensions peut-être plus modestes que les précédentes.
Parallèlement, nous ne pouvons plus négliger, pour notre futur mix énergétique, ce pan entier que constitue l’hydrogène, élément à la fois si présent dans la nature et si difficile à isoler. La possibilité de le stocker et de le diffuser rapidement constitue des atouts indéniables.
Bien sûr, je ne méconnais pas les reproches qui sont adressés à la production d’hydrogène par reformage du méthane ou par électrolyse de l’eau. On dénonce, essentiellement, son bilan carbone aujourd’hui extrêmement défavorable. Mais des solutions de substitution se font jour : il s’agit par exemple d’associer en amont une méthanisation, qui est une réelle chance à saisir pour nos territoires et nos agriculteurs.
Je crois surtout que le génie humain est capable de surmonter ce type de difficultés. Encore faut-il déployer des moyens en adéquation avec les ambitions ; encore faut-il définir une véritable stratégie de long terme, susceptible d’enclencher, par une sorte de ruissellement, une véritable dynamique et, in fine, de donner les résultats attendus.
Notre gouvernement a bien proposé un plan Hydrogène : mais les ambitions de celui-ci sont trop modestes, et sa présentation en grande pompe n’a pas suffi à retenir durablement un ministre de la transition écologique et solidaire en proie aux doutes les plus profonds.
Avec 100 millions d’euros par an, pendant cinq ans, pour un chantier d’une telle ampleur, et comparativement à ce qui se profile dans d’autres pays, on ne peut raisonnablement pas imaginer que nous sommes engagés vers une véritable transition énergétique.
Quelques mois plus tard, le nouveau ministre de la transition écologique et solidaire a même envoyé un signal des plus négatifs en annonçant que l’on ne subventionnerait plus, désormais, que les projets les plus avancés. En d’autres termes, il nous a joué le tour de la poule et de l’œuf, preuve indéniable d’une incroyable frilosité et, pour tout dire, d’un manque de responsabilité politique.
La défiance qui s’exprime actuellement envers les élus nous ordonne d’assumer nos missions, de donner un cap au lieu de porter des coups, de mettre à profit l’expertise qui nous entoure plutôt que de la jeter aux orties.
Le projet de loi d’orientation des mobilités, que nous examinerons dans un mois tout juste, renforce d’ailleurs ce sentiment. À aucun endroit ce texte ne fait mention de l’hydrogène : il est orienté exclusivement vers le véhicule électrique à batterie, alors que nombre d’avis expriment nettement la nécessité de diversifier notre approche des futures mobilités propres.
Enfin, cessons de dire, à grands renforts médiatiques, que nous pouvons, seuls, bouleverser les choses et inventer un nouveau modèle énergétique. Dans trois mois se dérouleront des élections européennes. Je veux croire que les programmes prochainement dévoilés feront la part belle à un projet européen susceptible de rivaliser avec les grandes manœuvres observées, en particulier, en Chine.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé un Airbus de la batterie, avec une participation de 700 millions d’euros pour la France ; grand bien lui ferait de s’engager plus nettement encore sur la voie du développement de la filière hydrogène.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à ces conditions – elles sont lourdes et nombreuses, j’en conviens –, nous pourrons faire de l’hydrogène un acteur majeur de notre transition énergétique !