Intervention de Julien Denormandie

Réunion du 20 février 2019 à 14h30
Fracture numérique et inégalités d'accès aux services publics — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Julien Denormandie :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier d’avoir pris l’initiative de ce débat sur le numérique, sujet ô combien important et sur lequel Mounir Mahjoubi et moi-même sommes pleinement engagés depuis près de deux ans.

Contrairement à une idée reçue, le numérique n’a pas constitué, jusqu’à présent, un facteur permettant de limiter la fracture territoriale. Bien au contraire, il s’avère être, à l’instant où je vous parle, un facteur d’aggravation de cette fracture. C’est un constat qu’il nous faut partager : trop souvent, on s’est dit que, grâce au numérique, on trouverait des solutions pour, ici, améliorer un service public, là, apporter un élément de réponse au sentiment de relégation ou d’abandon.

La réalité est tout autre. Aujourd’hui, le numérique a accentué les fractures territoriales, et ce pour une raison très simple : vous ne connaissez pas d’égalité d’accès au numérique en fonction du territoire où vous vivez.

J’en veux pour preuve de nombreuses décisions prises au cours de ces dernières années, ou même de ces derniers mois.

Le Parlement a ainsi récemment adopté une loi permettant de rendre opposable le télétravail. Désormais, la loi offre la possibilité à un salarié de demander à son employeur le droit de pratiquer le télétravail. Toutefois, seule une personne sur deux a accès, dans notre pays, au bon débit ou au très haut débit ; par conséquent, une personne sur deux est incapable de bénéficier de cette avancée.

De la même manière, Mounir Mahjoubi affronte tous les jours le problème de l’illectronisme : à l’heure actuelle, 13 millions de nos concitoyens sont éloignés de l’usage du numérique.

Que faut-il faire face à ces problèmes ? Comment peut-on concilier – c’est la question posée par M. le sénateur Patrick Chaize – la dématérialisation et l’accès aux services publics ?

Tout d’abord, il faut considérer, dans un projet politique, que le numérique et la téléphonie mobile de bonne qualité sont non pas des luxes, mais un droit.

Ensuite, avec une grande détermination, il faut développer les infrastructures partout sur le territoire où elles sont nécessaires.

Concernant le déploiement du numérique, vous le savez, nous nous sommes fixé des objectifs. Le premier d’entre eux est d’apporter à tous nos concitoyens du bon débit d’ici à 2020. Le second est de leur offrir du très haut débit – soit un minimum de 30 mégabits par seconde – d’ici à 2022.

À cette fin, depuis presque deux ans, nous avons déployé une méthode spécifique : à la fois, sécuriser le cadre législatif – ainsi, nous n’avons pas remis en cause les réseaux d’initiative publique, que certains décriaient abondamment, mais que nous avons choisi de consolider – et accélérer le déploiement des financements. Plusieurs centaines de millions d’euros ont été engagées au titre du plan très haut débit depuis janvier 2018. Par ailleurs, la première enveloppe de ce plan a été sécurisée.

Notre méthode passe également par une transparence largement accrue. Nous avons rendu contraignants les engagements souscrits par les opérateurs du déploiement de la fibre.

Les chiffres dont nous disposons quant à l’ensemble de l’action que nous avons menée montrent que, depuis le 1er janvier 2018, 11 000 lignes à très haut débit FTTH – Fiber To The Home – ont été raccordées ou sont rendues raccordables chaque jour ouvré. On avance donc très vite et avec beaucoup de détermination.

Venons-en au détail. Dans les zones très denses, on ne rencontre pas de difficultés ; d’ici à la fin de cette année, toutes ces zones devraient a priori être couvertes.

Les zones dites AMII connaissaient quant à elles un problème spécifique : les engagements pris par les opérateurs dans ces zones n’étaient pas contraignants. Citons la loi Montagne et le fameux article L. 33–13 du code des postes et des communications électroniques. Ce point a été modifié par voie législative. Dorénavant, les engagements pris par les opérateurs dans ces zones sont contraignants et contrôlés par l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques. Cela aussi permet d’accélérer le déploiement.

Restent les zones relevant des réseaux d’initiative publique, dites zones RIP. M. le sénateur Chaize, avec lequel nous échangeons avec un plaisir extrême de manière presque quotidienne, met en avant plusieurs interrogations et points d’attention concernant ces zones. Les nouvelles procédures que nous avons permises pour accélérer le déploiement dans ces zones, dites « procédures Amel », ne sont absolument pas obligatoires, mais elles fonctionnent bien dans un certain nombre de territoires.

Vous avez également évoqué, monsieur Chaize, dans votre propos introductif, la fameuse réouverture du guichet. Nous avons, pour notre part, pris l’engagement d’analyser au cours de 2019, soit dans les dix prochains mois, l’ensemble des besoins, afin que des financements puissent être débloqués à destination des phases ultérieures des RIP, entre 2023 et 2025. Nous procédons actuellement à cette évaluation, afin de pouvoir prendre au plus vite les autorisations d’engagement qui sont nécessaires ; ainsi sera réalisée la réactivation pleine et entière de ce guichet, que vous appelez de vos vœux.

Vous avez enfin évoqué le sujet ô combien important de la téléphonie mobile. Il n’est pas acceptable, pour la vitalité et l’attractivité de nos territoires, pour que les enfants de la République continuent à habiter dans certains territoires, que votre téléphone portable n’affiche pas toutes les barres disponibles. Aujourd’hui, il est trop souvent nécessaire d’aller au fond du jardin et de lever la jambe droite, le pied gauche pour espérer pouvoir capter un réseau sur son téléphone ! §Cela n’est plus supportable !

L’origine de ce problème est la suivante : jusqu’à présent, lorsque l’État octroyait les fréquences, cette fameuse électricité dont les opérateurs ont besoin pour fonctionner, il les mettait aux enchères. On demandait ainsi aux opérateurs toujours plus d’argent, qui aboutissait dans le budget de l’État. Or les opérateurs, après avoir remporté ces enchères, recherchaient la rentabilité de leurs opérations et se concentraient donc sur les zones les plus denses. Nous avions nous-mêmes organisé leur concentration de facto sur ces zones !

Voilà ce que Mounir Mahjoubi et moi-même avons changé en janvier 2018 lorsque nous avons conclu le new deal qu’évoquait M. Chaize. Nous avons déclaré aux opérateurs que les fréquences qui seraient octroyées à l’été 2018 le seraient sur le fondement, non pas d’enchères, mais d’engagements contraignants et contrôlés par l’Arcep de déploiement d’infrastructures dans les territoires les plus ruraux.

Depuis le 1er janvier 2018, environ 3 500 points fixes sont passés des anciennes générations aux nouvelles générations d’antenne ; d’ici à la fin de 2020, ce sera le cas de 10 000 antennes.

En outre, 600 zones blanches ont été identifiées l’année dernière et feront l’objet d’un traitement spécifique, soumis à un engagement contraignant, dans un délai de douze ou de vingt-quatre mois, selon que le terrain sera, ou non, mis à disposition par la collectivité locale.

Cette année, 700 nouveaux sites qualifiés de zones blanches seront identifiés ; nous y travaillons en donnant le choix de ces identifications aux opérateurs, comme cela se faisait auparavant, mais aussi aux collectivités locales.

C’est ainsi que, chaque année, on traitera entre 600 et 800 zones blanches de manière très déterminée, avec un volet contraignant : ces accords sont signés sous le sceau de l’Arcep, gendarme des télécoms, qui vérifiera si ces engagements sont tenus et pourra prendre des sanctions s’ils ne le sont pas.

Un déploiement très important est également engagé sur les axes routiers ; un autre, tout aussi important, sur les axes ferrés.

Un deuxième grand axe de notre débat, sur lequel je le suppose, beaucoup de vos questions porteront, mesdames, messieurs les sénateurs, concerne l’utilisation de ces infrastructures. Une fois qu’elles sont construites, comment faire pour renforcer l’usage ? C’est tout l’objet du travail engagé par Mounir Mahjoubi : déterminer comment lutter avec efficacité contre l’illectronisme sans pour autant considérer que le numérique et la dématérialisation seraient la solution miracle à tous les problèmes d’accessibilité.

En conclusion, je tiens à réaffirmer ma conviction absolue qu’il faut partir des territoires et des projets territoriaux. Les maisons de services au public, ou MSAP, que j’ai beaucoup défendues, sont de très bonnes structures, mais dans certains endroits seulement. Leur forme même dépend des territoires. Ailleurs, il faudra trouver autre chose. En somme, il faut se fonder sur les réalités territoriales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion