Intervention de Jean-Marc Aubert

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 février 2019 à 9h35
Réforme du financement du système de santé — Audition de M. Jean-Marc Aubert directeur de la recherche des études de l'évaluation et des statistiques drees

Jean-Marc Aubert, des études, de l'évaluation et des statistiques :

directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. - Le constat est connu : nous avons un système de santé de qualité. Grâce à l'évolution de la gestion de l'Ondam, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, la gestion financière permet d'atteindre les objectifs fixés par le Parlement.

Nous sommes confrontés aux difficultés suivantes : les besoins continuent d'augmenter, la population vieillit et les pathologies chroniques se développent. D'autres problématiques existent, par exemple la mortalité prématurée masculine particulièrement élevée.

Sur certaines pathologies, comme le cancer, les indicateurs sont plutôt de bonne qualité. Il n'en est pas de même pour le suivi de certaines maladies chroniques.

Le gradient social se caractérise par des inégalités sociales de santé extrêmement élevées. Lors d'un colloque qui s'est tenu l'année dernière au ministère des solidarités et de la santé, une chercheuse américaine a pointé le paradoxe français suivant : la France est l'un des pays les plus évolués du monde occidental, dont les revenus sont les mieux distribués, mais où les inégalités en matière de santé sont particulièrement élevées. L'égalité en matière de santé n'est pas garantie à tous les Français.

J'en viens au mode de financement de notre système de santé. Chaque mode de paiement a ses avantages et ses inconvénients. La France a centré le sien sur l'activité, ce qui assure une très bonne réactivité aux besoins des patients, malgré quelques files d'attente, qui sont beaucoup moins importantes que dans d'autres pays : ces difficultés d'accès sont limitées à quelques semaines, voire deux ou trois mois.

Ce système a toutefois pour inconvénient de ne pas garantir individuellement la qualité de l'acte, quand bien même il la garantit collectivement. Ce défaut de qualité à l'échelon individuel peut être lié, non pas au travail du professionnel de santé, mais à l'absence de coordination entre les professionnels, notamment pour les maladies chroniques.

Le rapport propose de mêler les modes de financement pour l'ensemble du secteur de santé et non pour un secteur particulier. La part et le mécanisme de rémunération peuvent varier en fonction non pas du secteur de santé, mais du besoin du patient. Les soins continus (un diabète, par exemple) ne seront pas rémunérés de la même manière que les soins ponctuels (une grippe). Parallèlement, les activités de prévention ne seront pas prises en charge de la même manière en fonction des besoins du patient. Cela revient à travailler sur des modèles de financement qui partent des besoins du patient.

Dans le même temps, il faut utiliser de nouveaux indicateurs, notamment la valeur des soins apportés aux patients - certains parlent de qualité ou de pertinence. Nous essayons d'accroître la valeur des soins apportés aux patients. Un patient chronique a des besoins particuliers, notamment en matière de suivi : il faut lui rappeler qu'il a un certain nombre d'examens à faire au cours des années, etc.

Le modèle combiné que nous préconisons articule un paiement à la qualité, sur le principe de la ROSP, ou rémunération sur objectifs de santé publique, pour les médecins généralistes, des forfaits pour la prise en charge de patients chroniques - ce qui inclut les situations chroniques, par exemple la perte d'autonomie d'un patient souffrant de multipathologies -, des paiements à la structure, grâce à une aide au regroupement des professionnels de santé, sur le modèle des maisons de santé pluridisciplinaires. Cela peut concerner toute forme d'organisation, la numérisation, la production d'indicateurs de qualité.

Nous préconisons des modes de rémunération combinés et une application différente selon les secteurs du système de santé.

L'évolution des modes de régulation nous paraît un point essentiel, en particulier la vision pluriannuelle. Dans la plupart des secteurs économiques (énergie, industrie...), on n'imaginerait pas une régulation annuelle. Or le système de santé est un secteur où les professionnels ont besoin d'investir : appareils, systèmes d'information... C'est pourquoi la visibilité est nécessaire. Nous préconisons que les trajectoires tarifaires soient connues trois ou quatre ans à l'avance - il ne faut pas que ce soit la roulette russe chaque année.

Déjà, dans le cadre du projet de financement de la sécurité sociale, l'Ondam est annoncé pour trois ans. Il faut que l'État prévienne les établissements de santé des évolutions des tarifs à venir. Faudra-t-il tenir compte de l'inflation ? C'est au Gouvernement et au Parlement d'en décider. Le système de santé, comme tout système complexe, mérite de donner la même visibilité à l'ensemble des acteurs.

Tels sont les principaux enseignements et recommandations du rapport. Il s'agit d'un travail collectif : nous avons rencontré de nombreuses organisations professionnelles et des associations de patients. Nous avons tenu compte de ce qui était acceptable pour les uns et les autres. Tout changement de financement entraîne des changements pour les acteurs concernés. Ce n'est pas le seul levier à mettre en oeuvre : il faut une politique plus globale, mais ce changement n'a de sens que s'il soutient une transformation du système de santé plus globale et si les professionnels de santé modifient leurs comportements.

Il faut des évolutions dans la durée. La prise en charge des maladies chroniques doit passer d'une prise en charge par épisode à une prise en charge dans la durée : cela nécessite un travail de moyen terme pour aboutir à un contact régulier entre le professionnel et le malade chronique, quel que soit la nature de ce contact, physique, téléphonique ou autre. Il paraît important que tout patient chronique ait des contacts de long terme et réguliers avec des professionnels de santé, y compris quand lui-même n'est pas très regardant sur le sujet. Ce nouveau mode de contact permet de prévenir les dégradations.

J'ai présenté ce rapport à des patients dans différents territoires. Il s'agit non d'une réforme merveilleuse - on est loin du grand soir ! -, mais d'une réforme pragmatique pour faire évoluer le système de financement de la santé dans les cinq ans à venir.

La tarification à l'activité resterait une tarification importante, car elle permet de maintenir la très forte réactivité de notre système de santé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion