Les modes de financement que nous proposons bousculent les habitudes. Cela prendra plusieurs années. Le mode de financement, par ailleurs, ne peut pas tout. La nature humaine est beaucoup plus complexe !
Nos propositions pourraient conduire à des conditions originales d'organisation dans des zones manquant de professionnels de santé, mais il faut aussi se poser la question de la place de ces différents professionnels pour favoriser les coordinations nouvelles.
La psychiatrie est bien sûr un secteur important, mais son système de financement a le triste privilège d'être celui sur lequel on est le moins revenu au cours des trente dernières années. Il est donc peu adapté. Il ne s'agit pas de tout changer du jour au lendemain, mais l'on pourrait imaginer, par exemple, de mieux distribuer les dotations. Je vous renvoie au rapport. Un important travail est réalisé avec l'ensemble du secteur sur l'évolution du modèle. Le problème est que l'activité est peu décrite et que nous n'avons que peu de données sur certaines pathologies.
Cela rejoint une autre question : la nouvelle organisation sera-t-elle plus compliquée pour les médecins ? Nous espérons que non ; notre but n'est pas de faire en sorte que les modèles de financement soient compliqués. Pour instaurer une tarification à la qualité, on peut instaurer sept, huit, dix indicateurs, ou bien cinquante ou soixante-dix. Dans le rapport, nous prenons position à cet égard : au-delà d'une dizaine, nous pensons que cela devient trop compliqué.
De la même manière, on peut codifier 8 500 actes ou, comme en Australie ou ailleurs, en codifier seulement 5 000 ; cela fonctionne très bien. En effet, plus la nomenclature est longue, plus le médecin doit coder d'actes, et l'on peut se demander s'il vaut mieux qu'il perde une demi-heure à coder tout ce qui doit l'être ou qu'il apporte un indicateur clinique supplémentaire.
Les dossiers de patients recèlent de nombreuses données, mais on ne les utilise pas de manière statistique. On souhaite faciliter, au travers du projet de loi à venir, le recours à ces données, qui existent déjà - cela ne compliquerait donc pas le travail des médecins. Dans 98 % des pays du monde, on considère que l'utilisation statistique de ces données a du sens. Cela dit, il n'est évidemment pas question que chaque médecin les saisisse quatre fois dans quatre systèmes différents. Il faut donc coconstruire une procédure avec les professionnels de santé, afin de ne pas créer de complexité.
Je ne suis pas d'accord avec ce qui a été dit sur le mode de financement et le caractère libéral de la médecine, souvent très défendus en France. On oublie que, en Angleterre, les médecins généralistes sont libéraux - ce sont des practices liberal. Pourtant, depuis soixante ans, ils sont payés de manière totalement différente de chez nous. Il faut sortir de cette manière de voir ; on peut être médecin libéral et être payé au forfait, à l'acte ou à la qualité. La question du statut est différente, et nous ne nous la posons pas.
Dans les zones où il y a moins de médecins, la structuration des cabinets et le travail de coordination sont différents. Il y a plein d'organisations et de métiers à inventer, et le système fondé sur l'acte ne facilite pas le changement. Les pays qui ont changé leur organisation de soins ont investi dans la structuration des cabinets, car on ne peut pas y arriver uniquement en rémunérant à l'activité. Bien évidemment, cela prend du temps, et de nombreuses contraintes, financières et autres, pèsent sur une telle évolution - il est en effet difficile de demander à un médecin, qui travaille de la même manière depuis quarante ans, de changer complètement son organisation pour ses cinq dernières années d'activité.
On a aussi évoqué la télémédecine, qui pose la question de la nomenclature - celle-ci doit absolument être mise à jour - et celle de l'innovation - on ne trouvera pas de financement pour des actes que l'on n'imagine pas encore faire en télésanté. Il faut donc lancer de nouvelles expérimentations en permanence, afin de se poser, en permanence, de nouvelles questions. Puis, quand une expérience fonctionne, il faut la généraliser.
Le forfait monoprofessionnel est peut-être moins « transformant » que le forfait pluriprofessionnel, mais notre organisation actuelle ne permettra pas de mettre en place, dès demain matin, des forfaits pluriprofessionnels partout en France. Néanmoins, si des maisons de santé pluriprofessionnelles souhaitent, en accord avec un établissement, instaurer des financements plus combinés, et si une rémunération différenciée peut y concourir, il faut le permettre.
L'article 51 est essentiel pour nous. On a fait le choix, en France, de recourir à un financement national, et, quand on en discute, peu de professionnels sont favorables à des financements ou à des organisations purement régionaux. En revanche, faciliter les expérimentations peut permettre d'y recourir, et il faut, pour cela, passer par l'expérimentation prévue à cet article.
Nous pensons en effet que l'évolution des technologies et des prises en charge entraînera une évolution des modes de financement. L'expérimentation présente deux avantages : elle permet de faire des essais et elle montre aux professionnels, aux patients et à l'administration que des choses nouvelles sont possibles. Ainsi, l'assistant médical, qui paraît très révolutionnaire, existe déjà autour de nous - à Bruxelles, à Bonn, à Londres, à Douvres, à Milan, à Berne -, et il en existe même en France, puisque des médecins travaillent avec des infirmières ou des aides-soignants salariés, et cela fonctionne parfaitement.
Nous devons donc permettre à différentes organisations d'exister. Or le mode actuel de financement ne permet pas d'innover dans l'organisation. Nous souhaitons donc favoriser des modes un peu différents de structuration ou de forfait. Quand un médecin suit un patient chronique, avec un financement au forfait, il ne se demande plus combien de fois il le convoquera à son cabinet, et il peut même le suivre en télésanté. La seule question que cela pose est celle de savoir si un télésuivi exclusif est possible. L'assurance maladie et les syndicats de médecins, ainsi que de nombreux patients, pensent plutôt que non. Cela peut évoluer, je n'en sais rien, mais l'idée d'une combinaison du suivi physique et du suivi à distance semble majoritaire.
J'en arrive à la question relative à la filière pharmaceutique. Cette filière doit effectivement évoluer ; elle a commencé de le faire dans ses modes de financement. En effet, si la filière est uniquement rémunérée en fonction du nombre et de la valeur de médicaments délivrés, elle a intérêt à une prescription non pertinente ; cela n'est pas sain. Je crois que les acteurs de cette filière sont prêts à imaginer des organisations mieux conçues.
Quant à la non-pertinence des prescriptions, le mode de financement joue, mais il n'est pas le seul facteur. La vision entre pairs est importante, de même que la communication entre systèmes d'information, pour éviter les actes redondants - si le patient, qui a déjà recouru à l'imagerie en ville, oublie son image en se rendant à l'hôpital, il faut en refaire une. Toutefois, effectivement, le financement peut permettre d'améliorer cela, d'où notre idée des indicateurs de pertinence des actes. À cet effet a été mis en place un groupe de travail avec la Haute Autorité de santé et la médecine-conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie, avec notamment le Pr Lyon-Caen, qui doit définir ces indicateurs de pertinence. En réduisant l'incitation à faire des actes, on diminuera le nombre d'actes inutiles.