Le deuxième axe de notre rapport, ce sont les fonctions ambiguës de M. Benalla à l'Élysée, source de fragilisation du dispositif de sécurité de la présidence de la République.
Du fait du pouvoir qu'on prêtait à M. Benalla, toute une série de dysfonctionnements se sont produits au sein d'un certain nombre d'instances de l'appareil d'État.
À l'opposé de la description qu'en ont faite les collaborateurs de la présidence de la République - un membre de la chefferie de cabinet aux missions traditionnelles -, nous nous sommes forgé la conviction qu'Alexandre Benalla a exercé de fait une fonction essentielle dans l'organisation et la gestion de la sécurité du chef de l'État, au risque d'en perturber le fonctionnement normal, en s'immisçant de façon permanente dans la marche des services de sécurité.
Selon sa lettre de mission officielle - dont nous avons fini par obtenir tardivement et difficilement communication -, M. Benalla était chargé d'une mission spécifique de coordination des services de sécurité de la présidence de la République que, contrairement à ses autres collègues collaborateurs du chef de cabinet, il exerçait seul et sous l'autorité directe du directeur de cabinet. Plusieurs éléments tendent à confirmer que, contrairement aux affirmations des proches collaborateurs du chef de l'État, cette mission ne recouvrait pas uniquement des fonctions d'organisation et de logistique. Selon toute vraisemblance, M. Benalla, fort de la confiance et de la liberté d'action qui lui étaient accordées et à la faveur de l'ambivalence de ses missions officielles, s'est arrogé un rôle central dans le fonctionnement des services de sécurité de la présidence.
En particulier, il est établi qu'il s'est immiscé à plusieurs reprises dans certaines décisions relevant de la gestion du dispositif de sécurité présidentiel, notamment pour la mise en oeuvre d'une cellule de réservistes de la gendarmerie nationale au sein du commandement militaire de l'Élysée et pour le recrutement de plusieurs agents, dont Vincent Crase.
Par ailleurs, il est hautement probable qu'Alexandre Benalla a participé activement au dispositif de sécurité des déplacements du chef de l'État, prenant un ascendant sur les responsables opérationnels et s'imposant comme un interlocuteur privilégié des autorités publiques de sécurité.
Nous avons également réuni des éléments concordants donnant à penser que M. Benalla exerçait dans les faits une fonction de protection rapprochée du Président de la République, pourtant obstinément niée par les collaborateurs de celui-ci. En témoigne sa présence permanente à proximité immédiate du chef de l'État, en position d'« épaule » ; justifié par le besoin de passer des messages au Président de la République, ce positionnement paraît n'avoir été adopté par aucun prédécesseur ni aucun collègue de M. Benalla.
Surtout, celui-ci a obtenu de la préfecture de police de Paris un permis de port d'arme dans des conditions inédites et dérogatoires au droit commun - à tel point que l'intéressé lui-même avait envisagé, à défaut, un arrêté secret du Président de la République... -, ce que seule une fonction de protection rapprochée pouvait justifier.
Le soutien appuyé de sa hiérarchie à sa demande, ainsi que les contradictions devant notre commission des collaborateurs de la présidence pour justifier ce permis de port d'arme - nous publierons dans le rapport les citations en cause -, accréditent l'idée que M. Benalla exerçait bien des missions de protection rapprochée. Il a par ailleurs reconnu avoir porté son arme en présence du Président de la République.
Qu'elles résultent d'une volonté expresse de sa hiérarchie ou d'une vision extensive de ses missions par l'intéressé, il ne fait nul doute que la présence et l'interférence d'un individu peu expérimenté et soucieux d'affirmer son autorité dans un milieu professionnel aguerri ont pu être source de dysfonctionnements et d'une fragilisation du dispositif de sécurité présidentiel.
La liberté et les pouvoirs excessifs laissés à un chargé de mission dans un domaine aussi sensible que la sécurité du président de la cinquième puissance mondiale témoignent à nos yeux de l'imprudence de la présidence de la République dans l'encadrement d'un individu ayant pourtant déjà fait preuve, par le passé, de comportements professionnels inappropriés : chauffeur d'Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, M. Benalla avait été licencié en raison de son manque de discrétion, de responsabilité et de transparence, notamment parce qu'il s'était déjà abusivement prévalu du soutien de celui-ci pour demander un permis de port d'arme...
Par ailleurs, il apparaît que M. Benalla jouait un rôle important au sein d'une cellule restreinte chargée de redéfinir la stratégie de sécurité de l'Élysée. Selon ses propres déclarations, il s'agissait d'organiser un dispositif ayant quelque autonomie, notamment vis-à-vis du ministère de l'intérieur. Dans une déclaration publique, M. Benalla a d'ailleurs expliqué qu'il y avait selon lui une certaine réticence de ce ministère à l'égard du dispositif sur lequel il travaillait.
Au vu de ces dysfonctionnements, il nous paraît nécessaire que les règles d'organisation du dispositif de sécurité de la présidence de la République soient réaffirmées et clarifiées, nous faisons des propositions de bon sens à cette fin.