Favoriser la mobilité de tous sur l'ensemble du territoire, c'est l'objectif affiché par le Gouvernement dans ce projet de loi d'orientation des mobilités. Il ne peut être que partagé, quand les oubliés de la République mettent en avant le défaut de mobilité comme un élément de fracture territoriale et sociale.
Le Gouvernement a souhaité rénover le cadre juridique général des transports et leur organisation, fixés par la loi de 1982 d'orientation des transports intérieurs, dite « LOTI », dans ce projet de loi dont la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable est saisie au fond et la commission des lois s'est saisie pour avis. Les acteurs locaux auditionnés nous ont fait part de leur satisfaction quant à la large concertation mise en place par le Gouvernement. Ils nous ont dit que l'essentiel des dispositions leur convenait. Le mouvement social que nous connaissons aujourd'hui a conduit le Gouvernement à reporter l'examen du projet de loi, dont l'examen en séance publique au Sénat est désormais prévu en mars.
Les amendements que je vous proposerai se concentrent sur quatre objectifs principaux : favoriser l'exercice des compétences de mobilité par les collectivités territoriales ; protéger les données personnelles, exigence qu'il faut concilier avec la nécessité d'échanger des informations pour favoriser des technologies de mobilité souple ; garantir l'équilibre des mesures de sûreté et de sécurité dans les transports ; améliorer la cohérence de certaines dispositions au regard des règles de la commande et de la domanialité publiques - ce qui concerne notamment les ports.
Pour ce qui est de la gouvernance, j'ai tout d'abord souhaité améliorer le mécanisme de définition de l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM). L'objectif du projet de loi est que des AOM exerçant leurs compétences couvrent l'ensemble du territoire. Leurs compétences sont également élargies. Elles pourront organiser des services réguliers de transport public de personnes, mais aussi des services à la demande, du transport scolaire ainsi que des services de mobilité active (marche ou vélo), de mobilité partagée, comme le covoiturage, ou encore de mobilité solidaire en faveur des personnes défavorisées ou des personnes handicapées. Cet élargissement de leurs compétences signe le passage d'un droit au transport à un droit à la mobilité. Ces droits ne sont cependant pas opposables.
Selon le projet de loi, les AOM sont d'abord les communautés d'agglomération, les communautés urbaines et les métropoles. Nous devrons rappeler notre attachement à l'architecture territoriale et à la philosophie de l'intercommunalité. C'est la commune qui détient la compétence d'organisation de la mobilité et qui, le cas échéant, la transfère à l'intercommunalité. Attribuer directement la qualité d'AOM à ces établissements publics de coopération intercommunale relève d'un souci d'efficacité et de pragmatisme et ne doit pas être vu comme une remise en cause de la logique intercommunale.
Le projet de loi prévoit qu'au sein des communautés de communes qui ne se sont pas vu transférer la compétence d'organisation des mobilités par leurs communes membres, celles-ci conservent initialement leur qualité d'AOM. Ces communes membres devront cependant délibérer avant le 30 septembre 2020 pour organiser le transfert de cette compétence à la communauté de communes au 1er janvier 2021, ce qui est matériellement impossible compte tenu des échéances municipales. À défaut, la compétence serait transférée à la région, à l'exception des compétences déjà exercées par les communes sur leur territoire. Je proposerai donc un amendement qui clarifie le mécanisme de transfert au sein des communautés de communes et qui repousse l'échéance du transfert à la région au 1er juillet 2021. Nous sommes en phase, en la matière, avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Une fois la compétence d'organisation de la mobilité transférée à la région, le projet de loi prévoyait une réversibilité dans deux cas : si deux communautés de communes fusionnaient ou si la communauté de communes adhérait à un syndicat mixte exerçant la compétence d'organisation des mobilités. Il me semble nécessaire de proposer un troisième cas, celui d'un accord entre la région et la communauté de communes.
Je proposerai également de définir l'autorité organisatrice de la mobilité sur le territoire des îles monocommunales et des futures communes-communautés - si la proposition de loi sur les communes nouvelles est votée - car elles ont été oubliées dans la rédaction du projet de loi. Celles-ci pourraient décider de conserver la compétence ou de la transférer à la région, comme les communautés de communes.
Le projet de loi prévoit que les plans de déplacements urbains soient remplacés par les plans de mobilité. Je proposerai un amendement portant le délai de 18 à 24 mois pour l'adoption de ce plan par les nouvelles AOM dont le ressort territorial est inclus dans une agglomération de plus de 100 000 habitants.
Je proposerai également d'améliorer la coordination des différents acteurs de la mobilité, par quatre amendements - je rappelle que ceux qui se déplacent franchissent régulièrement les périmètres des AOM. Le premier amendement assouplit les délégations que la région peut accorder à une autre collectivité territoriale ou AOM. Le deuxième a trait à l'obligation faite aux régions de définir des bassins de mobilité. Je proposerai une obligation de concertation avec le département, les intercommunalités et les AOM, mais surtout que l'on sollicite leur avis consultatif lorsque la cartographie de ces bassins doit être arrêtée. Le troisième introduit l'obligation de conclure des contrats opérationnels de mobilité afin de s'assurer que les bassins de mobilité ont bien défini les modalités de coordination des réseaux de transport pour assurer la continuité des services de mobilité. Le quatrième consacre une consultation minimale annuelle du comité des partenaires, créé au sein de chaque AOM.
Ce projet de loi est intelligent et pertinent mais il est d'une grande indigence : on ne parle jamais d'argent. Il conviendrait de rappeler au Gouvernement qu'une sérieuse question de financement se pose si l'on veut que les AOM exercent effectivement leurs compétences. Seul le financement des services réguliers de transport public est assuré par un versement mobilité, qui se substitue au versement transport et qui pourra être différencié selon la densité du tissu urbain et la capacité financière des territoires. Rien n'est prévu pour financer la mise en oeuvre des autres services, comme le transport à la demande ou les mobilités partagées. Le Gouvernement renvoie sur ce point au projet de loi de finances rectificative relatif aux finances locales prévu avant la fin de l'année. Je vous appelle donc à être vigilants lors de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités et de ce prochain projet de loi de finances rectificative, afin que la mobilité de tous soit bien financée sur l'ensemble du territoire.
Le projet de loi vise à assurer l'accès de tous à la mobilité. Je proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption des dispositions relatives à la mobilité sociale et solidaire, qui consistent principalement à rendre obligatoire la mise en place de modalités de transport pour les personnes handicapées, notamment par des mesures tarifaires préférentielles et la prise en compte de la nécessité d'un accompagnateur.
J'en viens aux dispositions du projet de loi visant à faciliter la mise en place de traitements de données personnelles dans le domaine de la circulation des véhicules routiers. Le Gouvernement demande une habilitation à légiférer par ordonnance sur les données des « véhicules connectés ». Il s'agit d'un sujet d'avenir très important : les besoins de mobilité souple peuvent être grandement facilités par ces échanges de données qui permettent à chacun de se connecter à tout moment et de répondre à son besoin individualisé de mobilité. C'est un enjeu économique pour les acteurs privés et une source nécessaire d'informations pour les collectivités publiques. Si l'intention est louable, le champ de l'habilitation demandée semble extrêmement large pour une rédaction imprécise. Il me semble que nous pourrions parvenir avec le Gouvernement à une rédaction plus satisfaisante en vue de l'examen en séance publique. Dans l'attente, je propose de rejeter cette habilitation.
Concernant les dispositifs facilitant la surveillance automatisée des voies ou des zones réservées à la circulation de certains véhicules, un juste équilibre doit être trouvé. Pour vérifier qu'un véhicule répond par exemple aux conditions du covoiturage et peut effectivement emprunter une voie réservée, un dispositif de contrôle automatisé n'est pas absurde. Mais nous devons prendre en compte les préoccupations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en évitant la constitution de gigantesques fichiers recensant les allées-venues en conservant les images de nos concitoyens, tout en permettant à un conducteur de contester son infraction. Il faut prévoir un masquage immédiat et irréversible des photographies des passagers et des tiers.
Le projet de loi comprend également un volet relatif à la sûreté et à la sécurité dans les transports, qui vise à sanctionner plus sévèrement les comportements dangereux. Il s'agit de veiller à l'équilibre et à la proportionnalité de ces mesures. Je proposerai de réserver à l'autorité judiciaire, et non à l'autorité administrative, le soin de sanctionner les agressions contre les examinateurs du permis de conduire. Dans la rédaction actuelle, le dépôt de plainte d'un examinateur pourrait entraîner l'interdiction administrative de se présenter au permis de conduire. L'ampleur du phénomène étant limitée et le dépôt de plainte ne constituant pas une preuve de la menace représentée par la personne qui en fait l'objet, cette mesure paraît totalement disproportionnée.
Le projet de loi contient en outre diverses dispositions liées à la sécurité routière qui confortent la répression à l'encontre des conducteurs utilisant leur téléphone. Elles renforcent également les mesures administratives et les sanctions applicables à la conduite sous l'influence de l'alcool ou de stupéfiants. Je proposerai quelques amendements, dont l'un aligne les sanctions encourues en cas de délit de refus de se soumettre aux contrôles par éthylotest sur celles prévues pour le délit de conduite sous l'empire de l'état alcoolique, afin de ne pas inciter les conducteurs à se soustraire à un dépistage. Un amendement revient sur l'extension du champ de la procédure administrative d'immobilisation et de mise en fourrière. L'officier de police judiciaire peut appeler à tout moment le procureur pour qu'il lui donne l'autorisation d'immobiliser le véhicule. J'estime préférable de ne pas trop étendre la mesure d'immobilisation administrative, afin d'éviter tout excès.
Le projet de loi crée un cadre légal spécifique autorisant les opérateurs de transport ferroviaire ou de métro à recourir à des équipes cynotechniques privées, c'est-à-dire à un chien renifleur et son maître, pour la détection d'explosifs. Cela peut faire gagner du temps et éviter de paralyser toute une gare pour un simple bagage oublié. Les compétences de déminage resteront régaliennes. Je vous proposerai d'encadrer cette délégation de compétence aux acteurs de la sécurité privée.
Le projet de loi propose d'étendre les compétences du groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR) de la RATP à l'ensemble des lignes de métro, y compris celles qui seraient confiées à d'autres sociétés à l'issue d'une mise en concurrence. Cette disposition ne soulève pas de difficulté, car il apparaît cohérent de maintenir une homogénéité sur le réseau.
Le projet de loi comporte plusieurs dispositions préparant la mise en place des péages à flux libre, c'est-à-dire automatisés. Il introduit un délit d'habitude, sanctionnant de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait d'éluder de manière habituelle le paiement du péage sur une autoroute. La peine de prison paraît excessive. Je proposerai un amendement préservant l'échelle des peines.
Enfin, l'article 35 du texte du Gouvernement sécurise le recours aux conventions de terminal portuaire et en précise le régime. Le juge administratif a récemment requalifié en concession une convention de terminal prise sous la forme d'une convention d'occupation du domaine public. Il fallait clarifier les choses.
Je souligne que nous avons travaillé en parfaite coopération avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie sur le fond.