L'objectif de la présente audition - estimer si la proposition du président du Sénat de me nommer membre du Conseil constitutionnel est justifiée - apparaît pour chacun limpide, mais l'originalité de la situation tient certainement au fait que la tâche de le démontrer me soit confiée. J'avoue compter sur vous pour juger ce que je devrais être sachant ce que j'ai été, avant de vous confier ce que je suis.
Comme membre du Conseil constitutionnel, je devrai prêter serment devant le Président de la République et jurer de fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et de garder le secret des délibérations et des votes.
Je le ferai sans crainte, sans faillir, ayant déjà par deux fois prêté serment : devant la cour d'appel de Bourges pour exercer la profession d'avocat avec dignité, confiance, indépendance, probité et humanité - je n'ai jamais manqué à ce serment - et dans l'hémicycle quand j'ai juré, comme juge à la Cour de justice de la République, de garder le secret des délibérations et des votes et de me conduire comme un digne et loyal magistrat. Là encore, je m'y suis montré fidèle.
Le serment des membres du Conseil constitutionnel est seul à mentionner expressément l'impartialité, laquelle repose, pour partie, sur la confiance. Peut-être aurez-vous la conviction que je puis manifester cette qualité en vous rappelant que, lors des travaux menés au Sénat, j'ai toujours veillé, avant d'établir ma conviction et de vous soumettre une solution, à porter à votre connaissance les éléments nécessaires à la sincérité des débats. Mon attitude fut identique dans le cadre de mes responsabilités de président du comité de déontologie du Sénat, pour l'exercice desquelles le Président Larcher m'a assuré une totale indépendance. L'impartialité des membres du Conseil constitutionnel les oblige à exercer une compétence strictement limitée et à ne jamais écrire la loi à la place du législateur. Je ne crois pas vous avoir donné la moindre raison de vous faire douter de ma capacité à tenir cet engagement.
Je suis un homme libre et je ne changerai pas, comme je n'abandonnerai pas mes convictions. La compétence du Conseil constitutionnel pour garantir la protection des libertés individuelles et publiques confère à ceux qui y siègent une responsabilité majeure. L'idée d'un Sénat gardien des libertés n'est pas le monopole d'un groupe politique, mais la fierté de l'institution sénatoriale.
Pour illustrer ma détermination à rester libre, je vous rappelle qu'en mars 2012, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à la protection de l'identité, j'ai estimé qu'en créant un fichier permettant d'identifier toute personne à partir de ses empreintes digitales, le législateur porterait une atteinte grave aux libertés individuelles et, en particulier, à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Contre l'avis du Gouvernement, pourtant issu de la même majorité, le Sénat a suivi mes préconisations.
Cela a sans doute été l'un des moments les plus forts de mon mandat parlementaire. Je remercie le président Bas de l'avoir cité en introduction.
L'Assemblée nationale se montra plus docile face aux volontés du Gouvernement. Mais, dans une décision du 22 mars 2012, dans des termes qui rappelaient fort ce qui avait été retenu par le Sénat, le Conseil constitutionnel déclara anticonstitutionnelles les dispositions afférentes à ce fichier comme portant une atteinte grave à la protection de la vie privée. Ce n'est pas tant d'avoir eu raison qui me procura une profonde satisfaction, mais plutôt d'avoir convaincu mes collègues !
Je porte une attention particulière aux décisions du Conseil constitutionnel relatives à la protection des libertés et des droits fondamentaux. Je partagerai, et attiserai si nécessaire, sa vigilance sur cette exigence. J'aurai également la préoccupation constante de rechercher la conciliation et, même plus, l'harmonie, entre les libertés, tout en veillant au nécessaire équilibre entre les libertés et l'action publiques. Je veillerai plus particulièrement au respect des prérogatives de chaque assemblée dans la procédure parlementaire et au maintien de collectivités territoriales réellement libres de s'administrer elles-mêmes. Bien entendu, il ne s'agit pas de transformer la République une et indivisible en une fédération de collectivités, mais l'équilibre semble en la matière encore lointain : des réformes, via peut-être des précisions constitutionnelles, apparaissent nécessaires. Quant au bicamérisme, je le crois consubstantiel à la démocratie. Selon les mots du président René Monory : « deux chambres, c'est deux chances » pour la protection des libertés, l'expression démocratique, la qualité de la loi et la représentation des territoires.
Je serai donc libre, fidèle à mes convictions et impartial dans l'analyse de la volonté du constituant. Il m'est impossible de vous assurer d'une compétence absolument éclairée en droit constitutionnel, mais j'apprendrai. Pour éclairer votre jugement et ne rien dissimuler de ce que sera ma conduite, je fais mienne cette devise qui pourrait être celle du Sénat : « jamais non par idéologie, jamais oui par discipline ».