Intervention de Emmanuel Chiva

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 février 2019 à 9h45
Audition de M. Emmanuel Chiva directeur de l'agence de l'innovation de défense au ministère des armées

Emmanuel Chiva :

L'Agence a la possibilité de recruter hors de l'ADS (armées, directions et services du ministère des armées) ; nous venons d'ailleurs de lancer une procédure pour le recrutement d'un chef de projet en intelligence artificielle, ouvert à la société civile. Nous souhaitons valoriser les parcours et innover dans le domaine de la formation, en imaginant des méthodes d'apprentissage qui s'appuieraient sur les nouvelles technologies (simulateurs, jeux, etc.). La fidélisation de nos collaborateurs est également un enjeu important.

L'Agence n'est pas un incubateur et ne prend donc pas de participation directe dans les entreprises. Il existe néanmoins un outil d'investissement permettant de soutenir le développement des entreprises stratégiques pour la base industrielle et technologique de défense, qu'elles soient ou non innovantes. Ce fonds, intitulé « Definvest », est co-piloté par la direction de la stratégie de la DGA. Pour les entreprises de taille plus modeste, il faudra trouver de nouveaux moyens pour entrer à leur capital tout en préservant les intérêts de leur fondateur.

L'Agence de l'innovation de défense participe à l'élaboration des feuilles de route technologiques européennes au sein des groupes de travail de l'Agence européenne de défense (AED), aux côtés de la DGA et du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF). La coopération européenne est l'une des priorités fixées par la ministre des armées, et c'est également une nécessité, notamment pour des raisons budgétaires. À titre de comparaison, la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) américaine, qui ne s'intéresse qu'aux technologies peu matures et aux projets très risqués (« DARPA Hard »), dispose d'un budget annuel de 2,3 milliards d'euros. Les moyens financiers dont nous disposons sont bien moins importants et nous contraignent à mieux sélectionner les projets et à davantage coopérer, tant au niveau européen avec l'AED qu'au plan national avec le CIDEF. Dans le domaine capacitaire, l'accent sera porté sur le développement de démonstrateurs technologiques pour préparer les sous-systèmes essentiels à la réussite des programmes européens - comme la motorisation des futurs aéronefs, par exemple. L'innovation transverse est également un domaine essentiel sur lequel nous ne souhaitons pas travailler de manière autonome. Nous coopérons avec les Allemands, les Britanniques, mais aussi avec les Américains qui sont très ouverts à la coopération, sous réserve, bien entendu, de préserver les intérêts stratégiques de chaque État. Dans le domaine des technologies peu matures, une coopération a été mise en place avec Singapour ainsi qu'avec l'Australie, à la suite du contrat de vente de sous-marins.

Les incidences du Brexit seront très limitées car les termes de notre coopération avec le Royaume-Uni sont définis par les accords bilatéraux de Lancaster House. Nos deux pays souhaitent d'ailleurs poursuivre une coopération étroite dans les années à venir.

Les questions de renseignement sont systématiquement prises en compte dans les travaux de l'Agence qui relève, comme plusieurs services de renseignement, du ministère des armées. Nous entretenons des liens avec Intelligence Campus, créé à l'initiative de la Direction du renseignement militaire (DRM), via l'Innovation Défense Lab. Un premier évènement conjoint a ainsi été organisé le 5 février dernier sur la synthèse de documents issus de sources ouvertes, et d'autres le seront avant l'été. Plusieurs innovations en cours de développement trouveront des applications dans le domaine du renseignement.

Les armées souhaitent investir dans l'intelligence artificielle afin, entre autres, de pallier le manque de ressources humaines spécialisées dans l'analyse et l'interprétation des images satellitaires. Aux côtés de PME et de grandes entreprises comme Thalès et Dassault, nous participons au programme Man-Machine Teaming (MMT) qui explore la possibilité de développer un système aérien cognitif, prenant en compte l'environnement du pilote et l'aidant dans ses prises de décision.

Le programme Artémis a lui vocation à mettre en place une architecture permettant de faire émerger des cas d'usage concrets de l'intelligence artificielle.

Nous avons aussi dû créer une task force dédiée à l'intelligence artificielle au sein du ministère. Je ne peux malheureusement pas vous donner beaucoup plus d'informations sur ses conclusions, qui seront détaillées dans un rapport remis prochainement à la ministre. Nous sommes par ailleurs en train de recruter le futur « chef de projet intelligence artificielle » qui assurera la bonne coordination au sein du ministère et avec les autres ministères.

S'agissant de votre question sur les ressources, M. Perrin, et sur le foisonnement de l'innovation. Il est évident que des capacités importantes seront données aux laboratoires du ministère. La taille de l'Agence - seulement une centaine de personnes - en est en quel sorte une garantie: le but n'est pas de centraliser, mais de déléguer les tâches à un réseau de relais dans une logique « d'entonnoir », pour assurer une bonne remontée de l'innovation vers le ministère.

Quant aux 15% que vous évoquiez, il s'agit de l'agrégat soutien à l'innovation, 85% des crédits études amont relèvent effectivement des agrégats capacitaires. Il y a un pilotage de ces crédits, en liaison avec l'EMA, avec l'ADS qui est en charge de l'orientation de l'innovation planifiée et de la préparation des opérations d'armement. Il faut cependant avoir une vision d'ensemble. On ne peut résumer l'innovation ouverte et l'impulsion que nous souhaitons donner à ces seuls 15%. Nous nous organisons avec la direction des opérations de la DGA dont les « managers études amont » seront rattachés à l'Agence d'innovation de défense. Cela nous permettra de remplir notre rôle de pilotage et d'orientation des études préparatoires aux programmes d'armement.

Enfin vous m'interrogiez sur la possibilité de créer de nouveaux instruments financiers. Encore une fois, je ne peux pas vous apporter de réponses très concrètes, mais c'est en cours d'étude. Quels instruments financiers devons-nous conserver ? Adapter ? Créer ? Une première réponse à ces questions sera donnée dans le plan stratégique qui est en cours d'élaboration.

Il en va de même pour les indicateurs d'efficience. À ce sujet, permettez-moi de rappeler qu'il s'agit là d'une problématique générale qui n'est pas uniquement propre à l'Agence d'innovation de défense. Comment évaluer une politique d'innovation ? Avec le nombre de projets encadrés ? Le taux d'échec de ces projets ? Ce qui est certain, c'est que l'innovation nécessite une acculturation au risque et une acceptation de l'échec maîtrisé.

Ce qui est sûr, c'est que les retombées de ce soutien à l'innovation dans les programmes d'armement seront un bon indicateur. Il faut des programmes viables, notre objectif est de considérer l'innovation de bout en bout. La veille et les expérimentations doivent garder pour objectif final l'acquisition et le déploiement de nouvelles technologies. Nous devons aussi construire cette évaluation de manière plus large. Le retour d'expérience de l'Agence nationale de la recherche sera précieux dans l'élaboration des indicateurs : il faudra aussi prendre en compte les aspects capacitaires et économiques.

Ces questions trouveront une réponse plus précise dans les documents de stratégie qui doivent encore être présentés à la ministre en avril.

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