Intervention de Jean Michel Naulot

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 14 février 2019 à 8h30
Actualisation du rapport sur la crise financière de m. pierre-yves collombat — Audition de M. Jean Michel naulot

Jean Michel Naulot, ancien banquier, ancien membre de l'Autorité des marchés financiers (AMF) :

Que la pression soit très forte ne m'étonne pas, ce qui m'étonne par contre, c'est la solidarité des banquiers centraux avec ces lobbies.

Concernant la spéculation boursière, rarement l'écart a été aussi important.

Vous citez BNP-Paribas, mais regardez la Deutsche Bank : 60 milliards de fonds propres et autour de 15 milliards de valorisation boursière. C'est un indice très important du fait qu'il y a un malaise.

Tout le système bancaire repose sur la confiance. À Jacques de la Rosière à qui je posais récemment la question de savoir s'il y avait une limite à l'action des banques centrales, il me citait Keynes, selon qui la seule limite est la question du retournement de la confiance.

C'est la même chose pour les banques : quand la capitalisation boursière s'éloigne trop de la valeur, c'est que les gens ont perdu confiance, c'est inquiétant en soi.

Concernant la question de l'équilibre à retrouver entre l'économie réelle et la finance, on voit bien à quel point, par contraste, on est entré dans ce que Philippe Séguin a été le premier à appeler le capitalisme financier dans les années 1990.

Dans le monde de l'entreprise, on a vu les actionnaires sortir de leur rôle dans le courant des années 1980 : ils sont passés de contrôleur du management à gouverneur de leur entreprise. Ils en ont pris la direction !

Dans un capitalisme industriel qui fonctionne bien, le management poursuit l'enrichissement collectif au sein de la société. Aujourd'hui, le management et les actionnaires font corps commun, au profit de leur propre enrichissement. C'est un pervertissement.

Alors, quelles solutions ? Il me semble qu'il en existe, de relativement simple. Il faut agir sur les marchés financiers !

En France, tout se passe comme si on n'écoutait que les gens qui s'intéressent aux banques, comme Jean Tirole, économiste français, président de la fondation Jean-Jacques-Laffont - Toulouse School of Economics, directeur scientifique de l'Institut d'économie industrielle à Toulouse et membre fondateur de l'Institute for Advanced Study in Toulouse par exemple.

D'autres, comme Michel Aglietta, un économiste qui propose des solutions pour réguler les marchés financiers, sont très peu entendus. Il avait notamment produit un remarquable rapport en 2007 sur les hedge funds.

Et pourtant, des dizaines de mesures pourraient, rapidement, réduire le volume de la finance : car c'est la seule solution - réduire le volume !

Prenons les hedge funds : ils sont tous, sans exception, domiciliés dans les paradis fiscaux et on a renoncé depuis 2008 à plafonner leurs effets de leviers. Voici deux mesures efficaces : limiter l'effet de levier à 5 ou 6, et domicilier le hedge fund là où le gérant exerce son activité, c'est-à-dire à Londres et à New York.

Idem pour le trading à haute fréquence : si vous vous mettez à facturer les ordres annulés, vous en ferez drastiquement chuter le volume, car c'est devenu une méthode.

Pour les produits dérivés, on peut forcer tous les produits dérivés à passer par des chambres de compensation : vous réduisez aussitôt tous les produits non liquides.

Ainsi, vous écrivez une page de dix mesures simples.

Cela rejoint la question du pilote : comment dialoguer quand vous avez autour de la table un Donald Trump ?

En conclusion, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'on ne mesure pas à quel point les banques centrales sont entrées dans le jeu des marchés financiers.

Accroissement des liquidités en circulation et creusement des inégalités depuis 30 ans : voici le paysage actuel, John K. Galbraith l'avait déjà décrit dans les années 30. Avant la crise, une petite minorité profite de la situation et ensuite, ce sont les classes moyennes qui paient. L'emprise des riches sur le système aboutit à un dérèglement du système.

Joseph E. Stiglitz l'a bien montré : l'absence d'augmentation du pouvoir d'achat des classes moyennes est un symptôme.

Il y a évidemment un lien entre les taux bas et l'envolée de la dette : on pousse les gens à s'endetter. On a tendance à sous-estimer l'effet des politiques des banques centrales sur le pouvoir d'achat et sur la financiarisation du système.

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