Merci beaucoup. Je vais dans un premier temps vous présenter succinctement les missions de Météo-France, avec un focus particulier sur la contribution au dispositif d'indemnisation des catastrophes naturelles, en prenant l'exemple particulier de la sécheresse. J'essaierai, dans un deuxième temps, sur la partie recherche et changement climatique, de vous montrer comment nous travaillons, en terminant par un panorama des effets constatés du changement climatique sur les aléas concernés par le dispositif d'indemnisation des catastrophes naturelles.
Le champ d'action de Météo-France, outre l'atmosphère, couvre aussi l'océan superficiel et le manteau neigeux. Au premier rang des missions de l'établissement public se trouve la sécurité météorologique des personnes et des biens, incarnée par le dispositif de vigilance météorologique. La notion de risque météorologique et d'aléa naturel irrigue l'ensemble des missions de l'établissement ; par exemple, la sécurité du trafic aérien suppose aussi le signalement de phénomènes dangereux pour l'aéronautique. Nous travaillons sur l'aspect patrimonial du climat, c'est-à-dire sa mémoire, mais menons également des activités de recherche et de documentation sur l'évolution attendue du climat, compte tenu du changement climatique. Nos travaux portent ainsi, notamment, sur l'évolution attendue de l'intensité et de la fréquence des évènements météorologiques extrêmes.
Concernant le dispositif d'indemnisation des catastrophes naturelles, Météo-France se positionne en appui scientifique et technique dans le cheminement entre la demande effectuée par un particulier et l'éventuelle procédure d'indemnisation. Nous fournissons, à la demande des préfectures des rapports scientifiques et techniques, qui sont ensuite utilisés par la commission interministérielle « catnat » pour rendre son avis. Je vous rappelle que Météo-France ne siège pas au sein de cette commission.
Je voudrais souligner que cet appui scientifique et technique est au meilleur état de l'art possible dans différents domaines. Il s'agit, d'une part, de donner la meilleure restitution possible du phénomène, et d'autre part, de qualifier et de caractériser le phénomène par rapport à la climatologie, en s'appuyant sur la littérature scientifique, nos activités de recherche propres, mais également toutes les mesures disponibles, depuis les stations météorologiques conventionnelles jusqu'aux moyens de télédétections. Météo-France apporte ce support scientifique et technique pour tous les aléas couverts par le dispositif, à l'exception du risque sismique. Nous ne sommes néanmoins pas le seul organisme technique à jouer ce rôle, puisqu'il peut également être fait appel au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), au Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) pour les submersions marines ou encore aux services de prévisions de crues pour les inondations. In fine, c'est la commission interministérielle « catnat » qui examine les éléments à sa disposition, dont les rapports techniques de Météo-France, pour émettre un avis sur le dossier qui lui est présenté par la préfecture.
Je vous propose de faire un point particulier sur la sécheresse géotechnique. La commission interministérielle « catnat » fixe des critères permettant de définir une catastrophe naturelle sécheresse. Ces critères se fondent sur un indice d'humidité du sol, le SWI (Soil Wetness Index), qui constitue un standard au niveau international, ayant donné lieu à de nombreuses publications scientifiques ; il ne s'agit en aucun cas d'une création de Météo-France ou d'un indice spécifique au dispositif « catnat ». Nous disposons d'une archive de ce SWI depuis 1989. Concrètement, le SWI évalue l'état de la réserve en eau du sol, sur une profondeur d'environ deux mètres. Il s'agit donc de l'état du sol superficiel et non du remplissage des nappes phréatiques. Le SWI évalue cet état par rapport à la réserve utile, qui est un indice variant entre zéro et un. À zéro, le sol est très sec et les végétaux ne peuvent plus en tirer d'eau, tandis qu'à un, le sol est saturé d'eau et a atteint sa réserve utile.
Les rapports relatifs à la sécheresse géotechnique sont produits sur une base annuelle par Météo-France, au 1er trimestre de l'année N+1, tandis que pour d'autres aléas, comme les précipitations, les rapports sont produits sur évènements. Ces rapports opèrent des calculs en fonction des critères fournis par la commission interministérielle « catnat ». Ils sont ensuite examinés par la commission, qui les croise avec d'autres éléments, notamment les zones de présence d'argile identifiées par le BRGM, pour déterminer les communes en état de catastrophe naturelle sécheresse.
Le SWI étant un élément central des rapports fournis par Météo-France sur les « catnat » sécheresse, je voudrais expliquer comment il est calculé. De manière générale, la représentation de la météo et du climat suppose de représenter aussi fidèlement que possible une large gamme de processus physiques, parmi lesquels les échanges physiques à l'interface sol - atmosphère. Par exemple, nous n'avons aucune chance de faire une prévision correcte de brouillard si, dans nos modèles météorologiques, nous ne savons pas représenter correctement les échanges de chaleur et d'humidité à la surface du sol.
Au sein de ces systèmes de prévision de Météo-France existe un modèle physique, hydrométéorologique plus précisément, qui représente ces échanges : évaporation, infiltration, drainage, diffusion, ruissellement ou utilisation de l'eau par les végétaux. Ce modèle Safran-Isba-Modcou (SIM) intègre comme données d'entrée les représentations atmosphériques du réseau de Météo-France en temps réel ; les échanges seront ensuite pilotés par des paramètres comme les précipitations, la température ou le vent pour ce qui est de l'évapotranspiration.
Ce modèle est confronté à la réalité et validé selon deux modes : d'abord, grâce à des campagnes de mesure au cours desquelles nous réalisons une mesure directe de l'humidité du sol. En effet, à l'heure actuelle, il n'existe pas de réseaux denses ou de mesures disponibles en temps réel pour déterminer l'humidité du sol superficiel. Nous avons donc recours à des campagnes de mesures pour obtenir ces informations, afin de les confronter directement avec le modèle SIM. Par ailleurs, le modèle est confronté en permanence, quoique de manière un peu moins directe, à d'autres mesures au travers des débits des fleuves et des cours d'eau, calculés par le schéma de sol.
Dans le modèle SIM, la France est découpée en mailles de 8 kilomètres de côté. Sur chacune de ces mailles, l'indice SWI est calculé à l'échelle de la saison ; ainsi, pour chacune des mailles, Météo-France calcule le critère prescrit par la commission interministérielle « catnat » et détermine s'il est satisfait. Dans notre rapport annuel, nous listons les mailles pour lesquelles le critère est rempli, en fournissant un ensemble de cartes par saisons.
Jusqu'en 2017, année incluse, les critères retenus différaient en fonction des saisons. La construction de ces critères résulte de plusieurs évolutions, initiées à la demande de la commission interministérielle « catnat », en 2000, 2003 et 2011. Nous sommes ainsi parvenus à un ensemble de critères complexes et peu lisibles pour les acteurs du dispositif, au premier rang desquels les sinistrés.
En 2018, la commission interministérielle a souhaité simplifier et harmoniser ces critères, pour les rendre plus compréhensibles et lisibles. Le processus de validation interministérielle n'ayant pas encore atteint son terme, ces critères ne sont pas applicables aujourd'hui, mais nous espérons pouvoir les utiliser dès le prochain rapport annuel fourni au premier trimestre 2019. Pour chaque saison, le critère deviendrait le même, conformément à ce qui existe pour d'autres aléas du dispositif « catnat ». Il s'agirait de comparer l'état du SWI pour la saison considérée à la climatologie calculée sur une cinquantaine d'années, tout en comparant à un état de sécheresse pour une durée de retour, c'est-à-dire la fréquence d'occurrence statistique d'un phénomène, fixée à 25 ans par la commission dans son rapport de janvier.
Je vous propose à présent de mettre le modèle SIM en perspective par rapport au système Terre, qui au coeur de l'activité de recherche de Météo-France. La climatologie suppose de se focaliser sur de longues périodes ; on est alors véritablement en présence d'un système, dans lequel il faut calculer l'évolution et les interactions de chaque composante.
SIM s'inscrit dans un système beaucoup plus complexe, où l'on retrouve les océans, les banquises, l'homme avec les émissions de gaz à effet de serre et le cycle de l'eau complet avec les lacs et les fleuves. Ce travail de recherche est mené au premier chef par le Centre national de recherche météorologique, qui est une unité mixte Météo-France - CNRS, en partenariat avec la communauté scientifique dans des domaines qui dépassent ceux de la météorologie : océanographes, spécialistes de la biosphère, de la cryosphère ou encore des sciences humaines et sociale pour ce qui touche à la composante humaine du système Terre.
Cet outil de modélisation qu'est le système Terre est la première contribution majeure de Météo-France aux travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Il existe quelques outils de ce type dans le monde, mis en oeuvre dans des exercices d'inter comparaison, pour échantillonner au maximum les scénarios possibles. Le modèle de climat de Météo-France constitue l'un des rares modèles au monde jugés réellement performants. Ce modèle donne lieu à de nombreuses publications internationales ; de plus, pour l'exercice en cours du GIEC, Météo-France est impliqué directement dans la rédaction des rapports, avec deux auteurs de chapitres et un coordinateur de chapitre.
La valorisation sous forme de services climatiques constitue un débouché majeur de cette activité scientifique, consistant à exploiter ces résultats climatiques complexes pour fournir un appui aux politiques publiques, à l'élaboration de stratégies d'adaptation au changement climatique ou d'atténuation.
Je voudrais, pour terminer, dresser un bref panorama, aléa par aléa, de ce que l'on sait en termes d'évolutions constatées jusqu'à maintenant, en s'appuyant sur nos archives, et attendues, en s'appuyant sur les projections climatiques.
La sécheresse géotechnique peut résulter d'un déficit de précipitations mais aussi de températures élevées qui favorisent l'évapotranspiration. En climat passé comme en climat futur, le signal est relativement faible pour les cumuls annuels de précipitation ; le déficit de précipitations n'est donc pas un élément déterminant sur l'évolution des sécheresses. En termes d'humidité du sol et de sécheresse agricole, c'est l'effet des températures qui l'emporte. En climat passé, nous avons pu observer et mesurer une extension des zones touchées par les sécheresses estivales et hivernales. En climats futurs, nous prévoyons un assèchement des sols en toute saison. Les graphiques qui vous sont présentés montrent que, dans un scénario pessimiste d'émissions de gaz à effet de serre, c'est-à-dire sans politique climatique, les conditions normales attendues entre 2071 et 2100 correspondraient au record de sécheresse que nous avons connu jusqu'ici.
Pour ce qui est des précipitations, le signal est faible en termes de cumul. En revanche, en climat passé, nous constatons une augmentation mesurée de l'intensité et de la fréquence des pluies extrêmes sur la zone méditerranéenne. En climat futur, les modèles climatiques indiquent la même tendance d'augmentation de l'intensité et de la fréquence des précipitations extrêmes.
Pour les cyclones, il n'y pas de signal attribuable au changement climatique en climat passé. Nous constatons de la variabilité, avec des périodes de pluies fortes ou de moindre activité en fonction des bassins, mais pas d'évolution attribuable au changement climatique. En climat futur, nous estimons que d'une manière générale, sans qu'il soit possible de le distinguer d'un bassin océanique à l'autre, le réchauffement de l'océan superficiel devrait se traduire par des cyclones moins fréquents mais plus intenses. Il faut néanmoins considérer avec prudence ces orientations, auxquelles le GIEC a attribué un niveau de confiance faible dans son dernier rapport. Grâce à l'évolution de la science, les prochains rapports pourraient voir ces degrés de confiance se préciser.
Le signal est plus clair concernant les avalanches. En climat passé, nous observons une tendance nette à la diminution du nombre et l'altitude d'arrêt des avalanches, données étroitement liées au réchauffement climatique et à la diminution de l'enneigement. Cette tendance devrait se poursuivre quel que soit le scénario d'émission de gaz à effet de serre, mais son amplitude pourrait évoluer ; la réduction du nombre d'évènements pourrait être de l'ordre de 20 à 30 %, sachant que seules les avalanches les plus graves, susceptibles d'endommager les infrastructures, affectent le dispositif « catnat ».
Pour ce qui est des tempêtes, le recensement des quarante tempêtes les plus sévères depuis les années 1980 traduit une forte variabilité, mais pas de tendance attribuable au changement climatique. En climat futur, le GIEC demeure très prudent : les modèles climatiques n'indiquent pas d'évolution pour la fréquence et l'intensité des tempêtes en moyenne latitude. Nous n'avons donc pas de signal en climat futur sur les tempêtes. L'éventualité d'un déplacement vers le nord, en direction des côtes britanniques, de ce type de phénomènes fait l'objet de travaux de recherche, mais demeure controversée, le GIEC lui attribuant un niveau de confiance très limité.
Pour finir, l'absence de signal sur les tempêtes pourrait se traduire, en apparence, par une absence de signal sur les submersions marines. Néanmoins, l'évolution attendue et mesurée de l'élévation du niveau de la mer, toutes choses égales par ailleurs, devrait conduire à une augmentation des submersions marines au cours du XXIème siècle. En climat passé, nous avons observé une élévation du niveau de la mer de l'ordre de 3 millimètres par an tandis que les projections climatiques indiquent, en fonction des émissions de gaz à effet de serre et donc de l'amplitude du réchauffement, une évolution de l'ordre de 3 à 10 millimètres par an, soit un mètre en fin de siècle.