Intervention de Mgr Olivier Ribadeau Dumas

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 12 février 2019 à 16h30
Audition des représentants de la conférence des évêques de france : mgr olivier ribadeau dumas secrétaire général et porte-parole mgr luc crépy évêque du puy-en-velay président de la cellule permanente de lutte contre la pédophilie et Mme Ségolaine Moog déléguée pour la lutte contre la pédophilie

Mgr Olivier Ribadeau Dumas, secrétaire général et porte-parole de la Conférence des Évêques de France :

Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer. Je fais cette intervention avec humilité et un profond respect ; je voudrais redire ma compassion et ma proximité avec les victimes, qui n'est pas feinte. Je la fais également avec la détermination qui marque l'action de la Conférence des Évêques de France ces dernières années en n'oubliant pas la spécificité de l'organisation de l'Église catholique, qui n'est pas une holding avec autant de filiales que de diocèses. Un principe clé de cette organisation est l'autonomie d'un évêque dans son diocèse.

Cette audition est positive pour l'Église de France, dans le cadre de son action de lutte contre la pédocriminalité. Le fait que des institutions se saisissent de ce sujet est une aide pour avancer et améliorer nos pratiques. Nous avons appris de l'ensemble des auditions que vous avez menées que toutes les institutions sont confrontées au même type de difficultés pour établir une juste approche de ce sujet.

Il n'est pas besoin de redire le scandale que représentent tous les abus sexuels sur mineurs et personnes vulnérables commis par des clercs. Un seul acte est inadmissible et intolérable. Leur multiplicité ne fait que renforcer cet état de scandale que ressentent légitimement nos concitoyens dont les catholiques. L'actualité, depuis plusieurs années, en porte la trace. Ce qui arrive en Autriche, aux États-Unis, en Irlande, en Allemagne ou en Belgique a un retentissement dans l'opinion publique française. Pour reprendre l'expression de Mme Pedotti, directrice de la publication de Témoignage chrétien, devant vous : le nuage de Tchernobyl ne s'est pas arrêté à nos frontières.

Je veux redire à toutes les personnes victimes ma profonde honte et celle de tous les évêques pour ce qui est advenu ainsi que ma tristesse et ma douleur que nous n'ayons pas pu agir plus tôt, mieux et avec plus de rigueur. Les évêques de France ont, il y a près de vingt ans, abordé à frais nouveaux la question de la pédocriminalité avec l'affaire de l'abbé Bissey qui est rapidement devenue pour l'opinion publique l'affaire Pican. Leur souci, au début des années 2000, a été de traiter les affaires en cours, c'est-à-dire de gérer le présent et de mettre en place une politique efficace de prévention, notamment par la publication du guide Lutter contre la pédophilie. À cette époque, ils ont regardé vers l'avant et non, il faut bien le reconnaître, dans le rétroviseur. Comment expliquer qu'ils n'aient pas eu conscience des centaines de victimes qui avaient été abusées dans les années 1950, qui s'étaient tues depuis cette époque faute de pouvoir parler ou de porter plainte, dont l'entourage n'avait rien dit et dont les agresseurs n'avaient pas été sanctionnés si ce n'est parfois par un transfert dans un autre lieu ? Sans doute justement parce qu'ils n'avaient pas rencontré de victimes et qu'ils ne s'étaient pas rendu compte que leur souffrance, qu'elle date de quinze, vingt-cinq, trente ou quarante ans, ne se prescrirait jamais. En effet, l'agression subie laisse une trace indélébile dans le corps, dans l'âme et aussi dans la relation à Dieu. Sans doute également, même si c'était inconsciemment, parce qu'une logique a prévalu sur une autre : celle de la protection d'une institution dont on ne pouvait imaginer qu'elle puisse, même de façon extrêmement minoritaire, receler en son sein des criminels, sur celle de l'accueil, de l'écoute, de l'accompagnement et du soin à apporter aux victimes.

Permettez-moi en revanche de réfuter le mot « omerta » pour parler de l'attitude des responsables de l'Église dans le traitement de ces affaires. Il n'y a pas eu de système généralisé ni organisé d'omerta et ce, en raison même de l'organisation de l'Église selon laquelle chaque évêque est le responsable de ce qui se passe dans son diocèse. Il y a cependant eu, dans une première phase, une surdité, un aveuglement devant la souffrance parfois inexprimée des victimes, ainsi qu'un déni, l'impossibilité d'admettre que de tels faits puissent se produire au sein du clergé. C'était si incroyable et impensable qu'il y a eu une sidération, une pétrification. Cette culture de surdité et d'aveuglement a petit à petit changé. Je puis en témoigner. Un élément important a été la révélation des faits reprochés à l'abbé Preynat à Lyon par l'action courageuse, tenace, difficile pour nous aussi, des victimes réunies au sein de l'association La Parole Libérée. Le travail des journalistes et des enquêteurs a heureusement contribué à faire cesser cette attitude.

Après l'assemblée des évêques à Lourdes en mars 2016, où le cardinal Barbarin a été au centre de l'attention des médias, le conseil permanent de la Conférence des Évêques, qui en est l'organe exécutif, a décidé de mesures fortes. La priorité a été donnée à l'écoute et à l'accueil des personnes victimes avec la mise en place de dispositifs dans les diocèses afin que toute victime puisse s'adresser à quelqu'un. Il existe aujourd'hui soixante-dix cellules de ce type, parfois inter-diocèses. Ce peut aussi être l'évêque qui accueille directement les victimes en présence d'un témoin. Entre 2010 et 2016, 222 personnes s'étaient adressées aux évêques. Entre 2017 et 2018, elles étaient 211, signe que la parole se délie.

Nous avons affirmé notre désir d'une coopération pleine et entière avec la justice de notre pays. Un évêque qui a connaissance d'un acte pédocriminel a l'obligation de vérifier que la justice est saisie soit par la victime ou sa famille, soit par l'auteur qui se dénonce, soit par un signalement qu'il effectue lui-même au procureur de la République. Dans la pratique, aujourd'hui, l'évêque effectue de plus en plus lui-même un signalement qui peut venir en complément des démarches entreprises par la victime ou sa famille ou l'auteur présumé. Entre 2010 et 2016, 137 signalements ont été effectués, contre 75 entre 2017 et 2018. La différence entre le nombre de victimes et le nombre de signalements s'explique par le fait que certains auteurs sont décédés, que plusieurs témoignages peuvent se rapporter à un unique auteur ou que certains signalements ne sont pas justifiés. Selon les normes votées par les évêques en 2012, l'ouverture du procès canonique par l'évêque, lorsqu'il a connaissance de faits vraisemblables, est suspendue tant que la justice pénale n'a pas rendu sa décision, afin d'en tenir compte.

Nous avons aussi décidé d'intensifier la prévention vis-à-vis de tous les acteurs en lien avec des enfants ou des jeunes : réédition du guide Lutter contre la pédophilie ; renforcement de la formation affective, relationnelle et sexuelle des séminaristes ; formation des clercs, des laïcs en responsabilité et du grand public. Depuis 2017, entre 7 000 et 9 000 personnes en responsabilité actuelle ou future ont pu bénéficier d'une sensibilisation ou d'une formation. Il faut enfin mentionner que lorsque des cas sont portés à la connaissance d'un évêque, celui-ci prend des mesures prudentielles à effet immédiat vis-à-vis de l'auteur présumé pour protéger de possibles victimes.

D'autres outils ont été mis en place plus récemment. Depuis le 12 avril 2016, une adresse e-mail, parolesdevictimes@cef.fr, recueille les témoignages de tous ceux qui le désirent. En juin 2016, nous avons créé la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie, présidée par Mgr Crépy et composée d'évêques, d'un juriste, d'un psychologue, d'un représentant de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) et de Mme Moog, déléguée de la CEF pour la lutte contre la pédophilie. Elle porte ce sujet dans la durée en traitant au fur et à mesure les questions et situations qui apparaissent. Nous avons également mis en place la Commission nationale d'expertise confiée à M. Alain Christnacht et composée de juristes, de pédopsychiatres, de psychiatres et de spécialistes de l'enfance. Elle est chargée de conseiller les évêques sur la justesse d'une mission confiée à un prêtre après sa condamnation, ou sa non-condamnation en raison de la prescription des faits.

Nous avons aussi créé un site internet intitulé « Lutter contre la pédophilie » qui rappelle les procédures à suivre par un responsable religieux averti d'un cas de pédophilie et qui oriente les victimes vers l'évêque du diocèse concerné. Enfin, Mme Moog a été embauchée à plein temps en tant que déléguée de la Conférence pour la lutte contre la pédophilie. Elle ne ménage ni son énergie ni ses actions.

Parallèlement, au cours de l'année et de façon régulière, des réunions d'échanges de bonnes pratiques sont organisées pour les référents diocésains ou pour les membres des cellules d'écoute et de formation, avec un programme établi par le Centre de protection des mineurs de l'Université grégorienne à Rome, très alerté sur ce sujet.

La détermination des évêques à lutter contre ce fléau et assainir le passé en guérissant au mieux les blessures n'a cessé de s'accroître et est aujourd'hui une réalité quotidienne. Cette conviction liée à l'action a été renforcée par le témoignage, à Lourdes en novembre dernier, de sept victimes devant les évêques. Elles ont exprimé leur traumatisme mais aussi échangé sur les mesures à prendre et les réflexions à mener. Les évêques qui n'avaient pas encore eu l'occasion de rencontrer de victimes ont ainsi pu mesurer ce que pouvait être leur vie après de tels abus. Au cours de cette dernière assemblée, de nouvelles mesures ont été décidées telles que la création d'une commission indépendante chargée de faire la lumière sur les abus sexuels commis sur les mineurs et personnes vulnérables depuis les années 1950, d'étudier le traitement de ces affaires dans le contexte des époques concernées mais aussi d'évaluer les mesures prises par la CEF et la Corref, depuis les années 2000 afin d'émettre des préconisations. La présidence en a été confiée à M. Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d'État. Il doit rendre un rapport public.

Par ailleurs, quatre dimensions d'un même processus de réparation font l'objet de différents groupes de travail associant des évêques, des juristes, des psychologues et psychiatres en lien avec des victimes : la prise en compte de l'aspect mémoriel, pour que l'on n'oublie jamais le drame vécu par les victimes en recueillant leurs témoignages et en étudiant l'opportunité de désigner un lieu particulier pour les conserver et un jour particulier dans l'année pour en faire mémoire ; l'étude d'un geste financier pour aider à la restauration des personnes victimes - la dimension financière a une part symbolique importante dans la reconnaissance de l'état de victime et la réparation des personnes ; l'intensification de la politique de prévention par la création éventuelle de nouveaux outils ; le suivi et l'accompagnement des auteurs ou personnes mises en cause, au besoin au sein de structures adaptées. Toutes ces mesures sont nécessaires. Nous savons que le chantier est encore devant nous.

Nous devons également tenir compte de la nécessité d'éviter une dénonciation abusive ou calomnieuse et de respecter la présomption d'innocence et les droits de la défense afin d'éviter des abus inverses qui conduisent aussi à des situations dramatiques. À titre d'exemple, une procédure pour dénonciation calomnieuse vis-à-vis d'un clerc a été déclenchée par le parquet.

La lutte contre la pédocriminalité est l'affaire de l'ensemble des fidèles et pas seulement des évêques. Le pape François nous y incite dans la lettre au peuple de Dieu qu'il a écrite le 20 août dernier. Il y évoque le cléricalisme comme source de ces abus, c'est-à-dire un usage tordu de l'autorité qui fait qu'on acquiert un pouvoir toxique, une emprise sur l'autre. C'est dans une juste articulation entre les responsabilités confiées aux laïcs et celles confiées aux clercs et dans une confiance renforcée que nous pourrons continuer d'avancer.

Vous nous avez également interrogés sur le secret de la confession. Le secret de la confession est un secret professionnel, au même titre que le secret médical ou que la relation entre un avocat et son client. Il obéit d'ailleurs aux mêmes règles juridiques. L'image d'un prêtre, ayant abusé d'enfants, allant confesser ses crimes à son évêque est un fantasme qui ne correspond pas à la réalité. Un évêque, en effet, n'a pas le droit de confesser ses prêtres. Enfin, je voudrais souligner que, paradoxalement, ce secret de la confession est une chance parce qu'il permet à des personnes, des victimes ou des proches, et quasiment jamais des auteurs d'abus sexuels comme je viens de le souligner, de s'exprimer en toute sécurité et sérénité. Bien souvent, nous sommes en présence de victimes qui ne veulent pas porter plainte. La confession permet d'entamer un dialogue, un chemin avec la personne, en l'incitant à aller parler à d'autres personnes, en dehors du secret de la confession. Je pense notamment à des enfants qui peuvent exprimer certaines choses en confession, et à qui on peut demander de reparler de ce sujet, en dehors de la confession, pour ouvrir d'autres possibilités d'action. La confession est parfois le seul lieu possible de révélations de faits de violences sexuelles et le confesseur qui reçoit ce secret ne reste pas sans rien faire.

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