Intervention de Ségolaine Moog

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 12 février 2019 à 16h30
Audition des représentants de la conférence des évêques de france : mgr olivier ribadeau dumas secrétaire général et porte-parole mgr luc crépy évêque du puy-en-velay président de la cellule permanente de lutte contre la pédophilie et Mme Ségolaine Moog déléguée pour la lutte contre la pédophilie

Ségolaine Moog, déléguée pour la lutte contre la pédophilie :

La Conférence des Évêques de France m'a nommée, en septembre 2016, déléguée pour la lutte contre la pédophilie. Auparavant, j'avais été responsable pendant sept ans des aumôneries de l'enseignement public. Je suis chargée d'animer le travail de la Conférence des Évêques sur cette question, en lien avec les diocèses, les mouvements de jeunes, la Conférence des religieux et religieuses de France, des associations. Une part importante de ma mission consiste à accompagner, au quotidien, les évêques, de façon individuelle, dans les démarches et actions que suscite la réception de témoignages de personnes victimes ou d'éléments préoccupants.

Je distinguerai deux types de situations en fonction de l'âge de la personne victime au moment où l'information nous parvient. Dans la grande majorité des cas, il s'agit de personnes qui étaient mineures au moment des faits dénoncés mais qui sont devenues adultes au moment où l'information nous parvient. Souvent les faits révélés sont très anciens, ce qui ne retire rien à la gravité de l'acte commis. Les autres situations concernent des victimes encore mineures au moment de la transmission de l'information. Ces cas sont très rares, mais imposent une réaction immédiate.

Concrètement, les faits peuvent être portés à la connaissance d'un évêque de façon directe, par la victime elle-même devenue adulte, ou par l'entourage de la victime, des parents ou des proches, lorsque la victime est mineure. L'information peut aussi être transmise à l'évêque par le biais de relais locaux : des paroissiens, des enseignants, des animateurs de jeunes, d'un curé de paroisse ou d'un vicaire. Les faits peuvent aussi être signalés sur la plateforme de dépôt de témoignages que nous avons ouverte. Il arrive aussi, comme ce fut le cas dans quelques affaires récentes, que l'évêque soit informé par les autorités judiciaires au moment de la convocation d'une personne mise en cause ou de sa garde à vue.

Les règles d'action et les normes, dont se sont dotés les évêques, insistent sur l'importance de recevoir rapidement la personne qui témoigne, selon des modalités qui doivent convenir à cette personne. Il s'agit de lui manifester toute l'attention que l'on doit à celle ou à celui qui souffre. L'évêque doit accorder du crédit aux propos qui seront livrés afin de prendre des décisions ajustées et prudentes. Cet échange, lorsqu'il est possible ou souhaité par la personne victime, constitue un moment très important. Lorsque la victime est un mineur au moment de la révélation des faits, l'évêque ne reçoit pas l'enfant directement, mais peut recevoir parfois ses parents à sa demande. Il oriente toujours la famille vers des lieux ad hoc où la parole de l'enfant sera recueillie avec compétence. Dès lors que l'enquête a commencé, le procureur demande de cesser toute relation avec la famille d'une personne victime, ce qui se comprend très bien du point de vue de la justice, mais qui peut provoquer des incompréhensions et des reproches d'abandon de la part des familles qui attendent de l'Église un soutien dans leur démarche.

Si la justice n'a pas été saisie, l'évêque établit, autant que faire se peut, la vraisemblance des faits. Il invite la victime, ou ses parents lorsqu'il s'agit d'un enfant, à porter plainte, et invite l'auteur à se dénoncer. À défaut, il informe lui-même les autorités judiciaires des faits vraisemblables d'abus sexuels sur mineurs dont il a connaissance.

Les mesures prudentielles immédiates de l'évêque font très souvent l'objet d'un échange entre l'évêque et le procureur afin de s'assurer que ces mesures n'entravent pas les investigations. Dans certains cas, le procureur demande expressément à l'évêque de ne pas intervenir et d'attendre l'enquête, ce qui n'est pas sans poser problème pendant cette période intermédiaire qui peut durer plusieurs mois. Dans tous les cas, l'évêque assure le procureur de sa pleine coopération pour la manifestation de la vérité. À partir de ce moment, le contact avec la personne victime est fréquemment interdit. À la suite de ses premières démarches, l'évêque mène des rencontres avec les communautés d'où sont issues les personnes concernées, avec les confrères de l'homme mis en cause. Il lui faut expliquer, apaiser, sans en dire trop, faire taire les rumeurs éventuelles ou infondées, permettre à ceux qui le souhaitent d'exprimer leur colère, leur incompréhension ou d'apporter leur témoignage. Lorsque la personne mise en cause est morte sans qu'un procès ait eu lieu, l'évêque reçoit la personne victime, pour essayer d'apporter des réponses à ses demandes, en consignant le témoignage reçu ou en engageant une relation d'accompagnement si cela est voulu. Enfin l'évêque constitue le dossier canonique pour la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui est, à Rome, l'instance compétente pour juger et sanctionner canoniquement ces faits très graves. Cette instance suspend le cours de ses travaux le temps que la justice du pays se prononce.

Il arrive enfin que des personnes manifestent leur indignation en voyant des hommes, condamnés pour avoir commis des agressions sexuelles sur des mineurs, il y a vingt ou trente ans, ou qui n'ont pas pu faire l'objet d'une condamnation faute de procès en raison de la prescription, demeurer en fonction. Cette indignation est légitime. La commission présidée par Monsieur Christnacht doit conseiller les évêques sur les décisions à prendre à leur égard. Un évêque peut se trouver désemparé face à ces situations particulières, souvent nouvelles pour lui. Mon rôle consiste alors à l'informer davantage, à l'accompagner afin que les mesures de précaution soient prises et que l'ensemble des procédures soient appliquées, tant à l'égard des victimes que des autorités judiciaires ou de la personne mise en cause. Nous aidons aussi l'évêque à trouver la juste communication, respectueuse des droits des personnes, des personnes victimes comme des personnes mises en cause, et des besoins légitimes de la communauté. Nous assurons aussi une astreinte de réception des témoignages.

Une autre partie de ma mission consiste à animer, dans les différents diocèses, des sessions de sensibilisation ou de formation sur les maltraitances sexuelles faites aux personnes mineures ou aux personnes fragiles, et sur les protocoles d'action et de réaction, afin de mobiliser tous les acteurs au sein de l'Église et les rendre plus vigilants pour la sécurité des enfants et des jeunes, en les aidant à adopter les bons réflexes, les bonnes pratiques. La Conférence des Évêques de France et les diocèses ont déjà mené de nombreuses actions, mais force est de constater qu'il nous reste beaucoup à faire : de la prévention à la juste prise en considération de la situation des personnes victimes, en lien avec d'autres institutions.

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