Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 février 2019 : 1ère réunion
Institutions européennes — Audition de Mme Nathalie Loiseau ministre chargée des affaires européennes sur le suivi des résolutions européennes du sénat

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Nous accueillons aujourd'hui la ministre chargée des affaires européennes pour nous informer sur le suivi des résolutions européennes qu'a adoptées le Sénat durant l'année parlementaire 2017-2018. C'est un moment important pour notre commission, qui s'inscrit dans la cadre de sa contribution au contrôle parlementaire sur l'action du Gouvernement. Il s'agit en effet pour nous d'échanger avec vous, Madame la Ministre, sur le sort qu'ont connu les résolutions européennes ; ces résolutions, prévues à l'article 88-4 de la Constitution, sont l'instrument qui permet au Sénat d'indiquer au Gouvernement les orientations qu'il souhaite voir défendues dans les négociations entre États membres, au sein du Conseil, sur les projets de texte européens, avant que ces derniers ne deviennent des règlements, des directives ou des décisions de l'Union européenne.

Ce sont ainsi 1 088 textes européens qui ont été soumis à notre commission au cours de la session parlementaire 2017-2018. L'examen de ces textes, qui n'ont pas tous une portée politique, a donné lieu à dix-huit résolutions. Le temps nous manquera pour toutes les évoquer aujourd'hui. Aussi, nous nous focaliserons sur plusieurs d'entre elles. Je vous remercie, Madame la Ministre, d'avoir accepté d'entrer avec notre commission dans ce dialogue approfondi, déjà en partie alimenté par les fiches de suivi que je sais gré au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) d'établir, de façon quasi systématique désormais.

La première résolution que nous souhaitons aborder concerne le filtrage des investissements directs à l'étranger (IDE). Le Parlement européen a approuvé la semaine dernière le règlement établissant un cadre pour le filtrage des IDE dans l'Union européenne, qui fait suite à une initiative conjointe de la France, de l'Allemagne et de l'Italie. La résolution du Sénat du 7 janvier 2018, adoptée sur proposition de notre commission, saluait cette démarche qui consacre et encadre les dispositifs nationaux de contrôle de ces investissements pour des motifs d'ordre public et de sécurité, et instaure un mécanisme de coopération et d'échange d'informations entre les États membres et la Commission.

La négociation européenne a été difficile, mais elle a conduit à un texte de compromis qui reprend l'essentiel de la position défendue par la résolution sénatoriale. Conformément à ce que le Sénat avait souhaité, le texte adopté met l'accent sur l'identification des investissements effectués par des structures contrôlées directement ou indirectement par des États étrangers ou bénéficiant d'aides publiques. Il renforce le dispositif d'échange d'informations entre les États membres qu'il assortit de délais impératifs. Enfin, il conforte la protection de la confidentialité des données. Cela permet, à la veille des élections européennes, d'envoyer un message à nos concitoyens pour conforter l'idée que l'Europe est une structure qui protège. Elle n'est ni ouverte ni naïve, mais elle ne s'enferme pas non plus dans un schéma protectionniste, comme c'est le cas de l'autre côté de l'Atlantique.

Deuxième sujet : l'Acte européen pour la cybersécurité. Lors d'une réunion en trilogue le 10 décembre dernier, les législateurs européens se sont mis d'accord sur ce projet d'Acte. Nous ne pouvons que nous en réjouir, tant le sujet revêt désormais une importance cruciale pour nos démocraties et nos économies. Autre raison de se réjouir, une grande partie des préconisations et des demandes du Sénat ont été reprises.

Il était en effet apparu à nos deux rapporteurs, Laurence Harribey et René Danesi, que la proposition initiale de la Commission européenne souffrait de plusieurs défauts pouvant être rassemblés sous deux thématiques principales : d'une part, dans un système européen renforcé, elle accordait une place trop grande à l'Agence européenne pour la cybersécurité (ENISA) alors qu'on avait besoin de plus de subsidiarité en ce domaine ; d'autre part, la mise en place d'un cadre européen de certification obligatoire de sécurité informatique des produits et services mis sur le marché ne tenait pas compte de l'expertise acquise par certains États, dont la France, alors qu'elle figure parmi les premières au monde.

Il semble que les négociations aient permis de revenir à plus de sagesse. L'ENISA viendra en appui et non en substitution des agences nationales puisque chaque État membre devra disposer d'une agence à l'image de l'ANSSI française. Cela favorisera l'établissement d'un réseau de confiance sur l'ensemble du territoire européen. C'était l'un des enjeux principaux de cette négociation. En effet, la cybersécurité met en jeu la souveraineté, ce qui nécessite que chaque État membre dispose d'une expertise nationale, doublée d'un travail efficace en coopération avec les autres États membres.

En outre, les États membres seront plus présents dans la gouvernance du cadre de certification. C'était le second enjeu important, afin d'éviter une certification inefficace, donc inutile. Car, au-delà, c'est notre souveraineté numérique qui importe, et elle exige le développement d'une filière économique d'avenir en Europe.

Si nous avons des motifs de satisfaction au regard de ces deux premières résolutions, il n'en est pas de même pour les suivantes. Ainsi, les deux résolutions du Sénat sur la politique agricole commune (PAC) n'ont pas trouvé l'écho attendu. Plus précisément, nous nous inquiétons que les propositions de réforme de la Commission ne correspondent pour ainsi dire pas aux préconisations du Sénat. Elles en contredisent même certains points essentiels, et pas seulement sur le plan budgétaire. Face à ce constat, nous avons adopté à l'unanimité une troisième proposition de résolution européenne, le 14 février 2019, sur le rapport de plusieurs membres de notre commission, Pascale Gruny, Daniel Grémillet et Claude Haut.

Il convient, à mon sens, de sortir de l'approche uniquement budgétaire. Certes, je ne rêve plus en euros constants, mais je pense en euros courants. Quoi qu'il en soit, la proposition de la Commission, qui pèche par excès de subsidiarité, nous laisse à penser que la PAC de demain sera l'addition de vingt-sept PAC nationales. C'est là notre grande inquiétude, d'autant que notre pays a la fâcheuse tendance de toujours vouloir faire plus en matière environnementale, ce qui ne veut malheureusement pas dire faire mieux...

En définitive, si le reste du projet de réforme de la PAC demeure perfectible et amendable, ce nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC nous apparaît comme un point de blocage en soi, d'autant plus qu'il ne bénéficierait qu'à la seule Direction générale AGRI de la Commission européenne, et en rien aux agriculteurs. Le plus sage serait donc que la Commission, amenée à être renouvelée dans la foulée des élections européennes du 26 mai 2019, y renonce.

À travers vous, Madame la Ministre, nous appelons le Gouvernement à saisir cette ultime opportunité pour remettre à plat et réorienter un projet de réforme engagé sur une mauvaise pente. Il importe de ne pas commettre l'irréparable à l'heure où certains États continents comme les États-Unis, la Chine, le Brésil et l'Inde, augmentent leur engagement budgétaire agricole.

Enfin, j'évoquerais une dernière résolution dont le sort nous préoccupe : celle portant sur la politique de cohésion régionale, initiée par notre collègue André Reichardt. En ce qui concerne cette politique, le projet de cadre financier pluriannuel (CFP) de la Commission pour 2021-2027 fait apparaître, concernant la France, une diminution de 5,4 % de la dotation FEDER-FSE par rapport à la programmation précédente.

Cette réduction relative est partiellement compensée par le maintien de vingt-et-une des vingt-sept anciennes régions françaises métropolitaines et d'outre-mer en catégorie de régions en transition, dont nous redoutions la suppression. Cependant, la part européenne du cofinancement est réduite par rapport à la part nationale, ce qui risque de pénaliser les territoires. Pour le Sénat, la logique et l'efficacité de la politique de cohésion territoriale reposent sur une gestion réellement partagée entre l'Union, les États membres et les régions. Celles-ci doivent tenir un rôle prééminent dans les choix stratégiques opérés au plus près des territoires et dans la répartition des fonds. Cela vaut pour le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE), mais aussi pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), second pilier de la PAC, dont les régions doivent pouvoir être en situation de piloter, de mettre en oeuvre et de payer les aides. La Commission préconise également un certain nombre de conditionnalités liées à l'État de droit, ainsi que d'indispensables mesures de simplification. Sur ce dossier majeur, quelle ligne la France entend-elle faire prévaloir dans la négociation budgétaire en cours ?

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