Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 21 février 2019 à 8h35
Élargissement — Déplacement en turquie du 25 au 28 novembre 2018 : rapport d'information de mm. jean bizet jean-yves leconte et andré reichardt

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

L'ordre du jour appelle désormais la présentation d'un rapport sur la Turquie et ses relations avec l'Union européenne. En effet, Jean-Yves Leconte, André Reichardt et moi-même nous sommes rendus en Turquie en novembre dernier, à l'invitation de M. Gulpinar, président de la commission d'harmonisation Union européenne - Turquie au sein de la Grande assemblée nationale de Turquie. Nous en avons également profité pour nous rendre dans le Sud-Est, dans la ville de Diyarbakir où nous n'avions pas pu nous rendre lors de notre précédent déplacement pour des raisons de sécurité.

Je vais commencer par vous présenter la situation politique et économique en Turquie, puis André Reichardt fera un point sur l'État de droit, notamment dans le Sud-Est. Enfin, Jean-Yves Leconte vous expliquera comment ces éléments affectent les relations entre l'Union européenne et la Turquie.

Je commencerai par rappeler que l'adhésion à l'Union européenne implique le respect de l'État de droit. Or, à ce sujet, la situation en Turquie est plutôt préoccupante. Certes, nous n'oublions pas que la Turquie a été et reste une cible pour l'État islamique et le PKK. Des attentats meurtriers ont ensanglanté le pays entre juillet 2015 et mars 2017 faisant plus de 420 morts. Nous n'oublions pas également que la Turquie a dû faire face à une tentative de coup d'État, en juillet 2016, attribuée par les autorités turques à l'organisation FETÖ. 248 personnes ont été tuées et 2 200 blessées. Le Parlement, symbole de la démocratie, a été bombardé. Il s'agit d'un véritable traumatisme pour la population turque. Suite à cela, l'état d'urgence a été décrété, ce qui était nécessaire pour préserver la stabilité de la Turquie. Et cet état d'urgence a manifestement duré !

C'est dans ce contexte sécuritaire que se sont déroulés deux scrutins majeurs pour l'avenir de la Turquie dans des conditions qui n'ont pas été équitables. En effet, l'état d'urgence a permis au pouvoir en place de modifier les règles électorales par le biais de décrets-lois et de restreindre la liberté d'expression et de réunion de certains candidats. La réforme constitutionnelle, adoptée à une faible majorité, accroît considérablement les pouvoirs du Président de la République. La Commission de Venise - véritable bras armé constitutionnel du Conseil de l'Europe qui a acquis, au fil du temps, une véritable influence - avait dénoncé une concentration excessive des pouvoirs au profit du Président, au détriment du Parlement et du système judiciaire. De même, le Parlement européen avait vivement critiqué cette réforme. Les élections présidentielles et législatives ont ensuite consacré l'AKP, M. Erdogan ayant été réélu dès le premier tour.

Pour s'assurer une majorité à la Grande assemblée nationale de Turquie, l'AKP s'est allié avec le MHP, parti nationaliste. Cela a entraîné une scission au sein de celui-ci qui a abouti à la création du IYI, parti nationaliste et laïc. Son alliance avec le parti kémaliste, le CHP, n'a pas perduré suite à l'échec essuyé lors des élections législatives. Le parti de gauche pro-kurde, HDP, est marginalisé malgré de bons résultats aux élections législatives. En effet, l'alliance entre l'AKP et le MHP, parti nationaliste, complique toute reprise du dialogue. Quant à l'opposition, que ce soit le IYI ou le CHP, elle craint de s'allier avec le HDP en raison tant du risque de représailles judiciaires du régime que de celui d'un désaveu de ses électeurs les plus nationalistes. L'opposition est donc durablement divisée.

En mars 2019 auront lieu les élections municipales. Les résultats de l'AKP, qui cherche à se maintenir à Ankara et à Istanbul, et ceux du HDP dans les villes du Sud-Est seront observés de près.

Enfin, sur le plan économique, le taux d'inflation a nettement augmenté en 2018 pour s'établir à 24 %. Entre janvier et août 2018, la monnaie turque a perdu 40 % de sa valeur, ce qui a eu pour conséquence d'accroître le taux d'endettement des entreprises dont la dette est libellée en dollars ou en euros. Nos interlocuteurs de l'AKP refusent de voir là un problème économique. Ils dénoncent plutôt les pressions américaines sur la livre turque à l'été 2018, en raison du désaccord sur le sort du pasteur Brunson. Malgré un taux de croissance en baisse, ils ont affiché un certain optimisme. Ils espèrent que l'amélioration de la situation sécuritaire va favoriser une reprise du tourisme qui soutiendra la croissance.

Sur le terrain, la situation est différente. Le prix des produits alimentaires a nettement augmenté. Le prix de l'oignon, aliment de base dans la cuisine turque, a été multiplié par cinq en un an. Des spéculateurs ont même été arrêtés, accusés de constituer des stocks pour pouvoir les revendre plus cher.

En outre, la Turquie accueille aujourd'hui plus de quatre millions de réfugiés. Cela engendre de plus en plus de tensions sociales, notamment dans les petites villes où l'arrivée de ces réfugiés fait monter le niveau des loyers. De plus, le rythme de la croissance ralentit et certains Turcs s'étonnent des aides versées aux réfugiés alors qu'eux-mêmes en sont privés dans une conjoncture morose.

Voilà, mes chers collègues, ce que l'on peut dire de la situation politique et économique en Turquie. Je passe la parole à André Reichardt qui fera le point sur la situation des droits de l'Homme en Turquie.

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