Mes chers collègues, le respect des critères de Copenhague est une condition nécessaire pour pouvoir adhérer à l'Union européenne. Ces critères incluent le respect de l'État de droit et le respect des droits des minorités.
Suite à la tentative de coup d'État de juillet 2016, l'état d'urgence a été décrété. Celui-ci autorise le président de la République à prendre des décrets-lois pour garantir la pérennité du régime. Ces textes doivent, selon la constitution turque, être validés par le Parlement dans un délai de trente jours suivant leur publication. Or, cela n'a pas toujours été le cas. Pourtant, ils ont permis l'organisation de purges massives aboutissant à la révocation de plus de 150 000 fonctionnaires et le placement en détention provisoire de plus de 44 000 personnes. Ces décrets ne pouvant initialement faire l'objet d'aucun recours, une commission a été spécialement mise en place pour examiner les recours en juillet 2017. À ce jour, 125 000 recours ont été déposés. 36 000 ont été examinés et 2 300 décisions ont été favorables aux requérants. Dans quelles conditions ces personnes vont-elles être réintégrées ? Compte tenu de ces chiffres, il est clair que si cette commission représente une avancée, elle n'apporte pas de solution concrète à court terme aux personnes mises en cause à tort. Celles-ci sont en quelque sorte condamnées à une véritable mort civile. Elles ne peuvent retrouver un emploi, leur employeur potentiel ayant peur d'être accusé de terrorisme.
Face à ces mesures manifestement disproportionnées, en avril 2017, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a décidé de rouvrir la procédure de suivi concernant la Turquie. Je rappelle que c'est après qu'il avait été mis fin à la procédure de suivi que la candidature turque à l'Union européenne avait pu être officialisée. La réouverture de cette procédure de suivi a d'ailleurs suscité une forte opposition en Turquie.
En juillet 2018, l'état d'urgence a été levé. Nos interlocuteurs sur place, membres de l'AKP, nous avaient affirmé que la lutte contre FETÖ allait se poursuivre mais de manière plus proportionnée et plus respectueuse de l'État de droit ; ce que du reste, l'Ambassadeur de Turquie en France nous avait, ici même, confirmé. Résultat : la semaine dernière encore, près de 700 personnes ont été arrêtées car accusées d'avoir des liens avec l'organisation FETÖ !
Aujourd'hui, on ne peut que constater et regretter la dérive autoritaire du régime pour qui il est nécessaire de lutter contre FETÖ qu'il considère comme une menace existentielle pour la Turquie, à l'instar de Daesh ou du PKK.
Au cours de notre déplacement, nous avons cette fois pu nous rendre dans le Sud-Est, région majoritairement peuplée de kurdes. Il est vrai que la région est moins dangereuse qu'en 2017, bien que des véhicules militaires continuent de patrouiller dans les villes. Nous avons été autorisés à nous rendre à Diyarbakir, mais pas à Cizre, ville située sur la frontière avec la Syrie où de graves événements se sont déroulés et où nous souhaitions pourtant nous rendre.
Alors qu'un cessez-le-feu entre le PKK et l'armée turque était en vigueur depuis 2012, les affrontements ont repris en juillet 2015 à la suite de l'attentat de Suruç qui a causé la mort de 32 militants kurdes. Le PKK avait alors accusé les autorités d'Ankara d'avoir laissé l'État islamique commettre cet attentat et de raviver le conflit.
Le Sud-Est de la Turquie a été le théâtre de violents affrontements en 2015 et 2016 qui ont opposé l'armée turque au PKK. Aujourd'hui, si les conflits armés ont cessé, les forces de police continuent d'être régulièrement la cible d'attentats.
Nous nous sommes rendus à Sur dans le centre historique de Diyarbakir. Ce quartier, où s'étaient retranchés des membres du PKK, a été complètement rasé par l'armée turque. Il est aujourd'hui bouclé et en reconstruction. Certains de nos interlocuteurs sur place nous ont affirmé que les autorités turques ne s'étaient pas assurées d'avoir fait évacuer les populations civiles avant d'engager la lutte armée dans ce quartier entièrement cloisonné et soustrait aux regards.
Par ailleurs, la fondation des droits de l'Homme en Turquie que nous avons rencontrée a dénoncé les violences policières dans la région et nous a présenté un rapport accablant pour les autorités turques sur les événements survenus à Cizre fin 2015. En effet, ce rapport fait état de graves violations des droits de l'Homme impliquant l'assassinat de 665 personnes dont 38 enfants. Depuis la publication de ce rapport, le président de la fondation fait l'objet d'une enquête pénale. Enfin, les associations promouvant la culture kurde sont privées de subventions et subissent des pressions pour limiter leurs activités.
Sur le plan politique, le leader du HDP est en prison ; il a obtenu un score de 8 % aux élections présidentielles et la Cour européenne des droits de l'homme a demandé sa libération. C'est de sa cellule qu'il a fait campagne pour les élections présidentielles. Les maires HDP des principales villes ont été destitués et remplacés par un administrateur. Nous avons rencontré le gouverneur de la ville de Diyarbakir qui nous a expliqué que les mairies administrées par le HDP utilisaient, selon lui, l'argent public pour financer des activités terroristes, ce qui justifiait leur destitution.
Voilà, mes chers collègues, ce que l'on peut dire de la situation actuelle en Turquie. Je laisse à présent la parole à Jean-Yves Leconte qui fera le point sur les relations entre l'Union européenne et la Turquie dans ce contexte.