Nous poursuivons en 2019 le travail que notre Délégation a entamé l'an dernier pour analyser le retard de nos PME en matière numérique et chercher à y remédier.
Après un déplacement à Bruxelles et l'autre à Berlin, nous nous sommes rendus au Danemark le 14 décembre dernier. Sous la conduite de la présidente de notre délégation, quatre d'entre nous ont participé à cette journée à Copenhague : Nelly Tocqueville, Fabien Gay, Jacques Le Nay et moi-même. Nous avons eu l'occasion d'échanger avec des représentants d'entreprises, français implantés au Danemark ou bien danois, ainsi qu'avec des représentants de l'administration danoise et avec notre ambassade à Copenhague.
Nous avons choisi de nous rendre au Danemark parce que ce pays est leader européen de la transition numérique.
La Commission européenne publie chaque année un rapport qui mesure un Indice de l'Économie Numérique et de la Société, le DESI : celui publié en 2018 montre que le Danemark est le pays le plus digitalisé de l'Union Européenne (UE). Au cours de ces deux dernières années, ce pays a renforcé sa position dans tous les domaines : la connectivité, le capital humain, l'utilisation des services Internet et les services numériques publics.
Le Danemark est donc un pionnier en termes d'utilisation des technologies numériques, tant dans l'administration publique que dans les entreprises : l'intégration du numérique y est globalement acquise dans 60 % des entreprises, contre une moyenne de 40 % dans l'UE et encore moins en France.
Bien sûr, ce taux de 60 % n'est qu'une moyenne ; si l'on va plus dans le détail, on observe que l'adoption des technologies numériques augmente avec la taille des entreprises. C'est vrai au Danemark, comme dans toute l'UE d'ailleurs. D'après SMVDenmark, qui représente les intérêts de quelques 20 000 PME danoises, à peine 30 % des entreprises de moins de 20 salariés sont hautement numérisées, contre 85 % des plus grandes. Malheureusement, aucune donnée n'est disponible sur les entreprises de moins de 10 salariés.
Concernant les entreprises de l'UE et pas seulement celles du Danemark, le constat à plus grande échelle se confirme : sur tous les volets de la numérisation, les PME européennes sont à la traîne des grands groupes, qu'il s'agisse de l'intégration de logiciels CRM ou ERP, de la présence sur les réseaux sociaux, de la numérisation de la chaîne logistique ou du commerce en ligne.
Le Danemark ne compte que 5,7 millions d'habitants, ce qui le rend difficilement comparable à la France - cela représente à peu près la population des Hauts-de-France. Sa performance en matière numérique reste néanmoins remarquable. Comment expliquer cette avance ?
Elle tient d'abord à une volonté très forte : en 2011, a été établie une Agence pour la numérisation. Cette agence, placée sous la tutelle du ministère de l'industrie et des finances danois, a pour mission de transformer d'abord le secteur public danois. Son action a déjà permis d'économiser 400 millions d'euros annuels de dépenses publiques. Depuis, et dans une vision plus large, le ministère a élaboré une stratégie de croissance numérique pour la période 2018-2025, par crainte que le Danemark se fasse distancer par d'autres pays, particulièrement asiatiques. Cette stratégie, publiée en février 2018, comprend 38 initiatives qui visent six objectifs majeurs : renforcer l'attractivité du Danemark dans le secteur numérique, soutenir la transformation numérique des entreprises (y compris des PME), améliorer les compétences numériques de l'ensemble des Danois, adapter la réglementation aux nouveaux business model numériques (en la testant préalablement auprès des entreprises dans un « bac à sable réglementaire »), développer l'économie autour des données et renforcer la cyber-sécurité. La mise en oeuvre de cette stratégie mobilisera 135 millions d'euros d'ici 2025 et son objectif est notamment d'intégrer le Big data et l'intelligence artificielle dans les systèmes de production des entreprises. Le gouvernement danois y affiche sa volonté d'influer sur l'élaboration des normes actuellement développées pour les diverses technologies numériques, à commencer par les « cobots », les robots collaboratifs.
Un effort spécifique est fait à l'adresse des PME, qui sont la cible d'une initiative dédiée intitulée « SME : digital », pour les aider à « grimper à l'échelle numérique », selon la formule du Gouvernement danois. A la tête de cette initiative, se trouve un « Conseil des PME » qui dessine de nouvelles perspectives à l'adresse du ministère de l'industrie. Ce programme « SME : digital » prévoit que les PME bénéficient d'informations sur les nouvelles opportunités technologiques, d'assistance pour leur transformation numérique, de formations au numérique, d'un meilleur accès au capital risque, d'un centre national de e-commerce promouvant les produits danois à l'export et enfin, en partie grâce au Fonds européen d'investissement, d'une subvention à hauteur de 50 % (et d'au plus 13 500 euros) de leurs dépenses de transformation numérique, qu'il s'agisse de consulting, de mise en place de solutions numériques ou de e-commerce. À ce propos, nous avons pu échanger dès notre arrivée avec une jeune femme qui a monté une entreprise proposant un service d'accompagnement des PME sur Internet : il est conçu sous la forme d'un abonnement mensuel que souscrit la PME pour améliorer et tenir à jour sa présence digitale, grâce à un site internet construit en partenariat avec Orange et grâce à d'autres outils simples et peu chers, soit une centaine d'euros par mois environ.
Ce volontarisme de l'État danois produit des fruits. Nous avons pu mesurer combien le secteur public était un moteur pour la digitalisation du secteur privé, à plusieurs niveaux : d'abord, l'État pratique lui-même une dématérialisation complète. Il impose aux entreprises la facturation électronique depuis déjà 2005. De même, depuis 2011, les remboursements des indemnités maladie et maternité sont exclusivement numériques. Enfin, depuis 2013, toutes les entreprises doivent avoir une boîte aux lettres électronique, si bien que la correspondance ne s'effectue plus que par mail avec les administrations. Les entrepreneurs que nous avons rencontrés ont pu faire une comparaison intéressante entre la France et le Danemark : en France, la dématérialisation est rarement totale et il faut souvent ajouter un dossier papier au dossier numérique. Au Danemark, un mail fait foi. En outre, la signature digitale permet une identification facile, si bien que chacun a accès à l'ensemble des sites web publics contenant ses données personnelles, ainsi qu'aux transactions bancaires en ligne. Ce système est utilisé par 80 % des Danois. Enfin, un portail unique propose en ligne 1 800 formulaires pour les entreprises et reçoit 25 millions de visites par an ; 92 % des demandes obtiennent une réponse immédiate et donc il suffit de 5 minutes pour créer son entreprise : le registre du commerce est mis à jour en direct ! On croit rêver ! Selon moi, le Danemark apporte bien la preuve que la digitalisation des relations entre entreprises et gouvernement emporte la digitalisation des entreprises elles-mêmes.
De surcroît, c'est le pays dans son ensemble qui mise sur le développement du secteur numérique.