Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, mes chers collègues, habitat dégradé, indécent, indigne, insalubre ou dangereux : les termes ne manquent pas pour décrire la situation que vivent plusieurs millions de nos concitoyens en France, au XXIe siècle…
Les drames comme celui de Marseille nous rappellent, au prix de vies humaines, combien nos politiques publiques sont peu efficaces pour résorber ces situations.
Pourquoi ? Voilà bien la question que nous devons nous poser. Les rapports ne manquent pas, entre celui sur le mal-logement rendu chaque année par la Fondation Abbé Pierre et ceux commandés par les collectivités territoriales ou les services de l’État, tel le rapport de l’IAU, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France, remis en décembre dernier.
On parle de 450 000 logements indignes ou insalubres recensés en France, mais leur nombre serait plutôt, en réalité, de 1 à 2 millions. Nous savons qu’il est très difficile de détecter ces situations, que beaucoup de propriétaires dissimulent lorsqu’ils ne respectent pas la loi, tandis que certains locataires n’osent pas les dénoncer, craignant de perdre le seul logement qu’ils aient pu trouver.
Ces situations sont donc difficiles à détecter, mais elles sont surtout bien trop longues à traiter : voilà où le bât blesse. Lors d’une visite de terrain de la commission des affaires économiques en Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers, à laquelle je participais, Mme la maire nous a fait visiter une copropriété ayant fait l’objet d’un premier signalement en 1999, voilà vingt ans. Depuis, malgré quelques travaux, essentiellement sur la façade, le bâti a continué de se dégrader, au point que certains immeubles sont devenus inhabitables, le reste de la copropriété étant toujours occupé. Au bout de vingt ans, le problème n’est toujours pas résolu ; la situation s’est au contraire aggravée, devenant même dangereuse aujourd’hui !
Les causes de ces délais incroyablement longs, nous les connaissons : impécuniosité des propriétaires, biens en déshérence, syndics défaillants, procédures trop longues et trop complexes, difficulté à se substituer aux propriétaires, mais aussi, monsieur le ministre, faiblesse des moyens de nos tribunaux, particulièrement en Seine-Saint-Denis. Les contentieux en matière d’urbanisme sont parfois, dans ce département, relégués très loin dans la file d’attente…
Cependant, au cours des dix dernières années, nous avons fait évoluer notre droit dans le bon sens. La question posée par notre collègue Bruno Gilles est de savoir s’il faut encore le modifier. Peut-être, ai-je envie de répondre, mais je voudrais tout de même souligner que la difficulté principale tient aux moyens.
On demande à nos collectivités locales d’en faire toujours plus dans ce domaine : permis de louer, permis de diviser, recrutement d’agents pour aller vérifier la salubrité des appartements… Tout cela suppose des moyens. Or, dans le même temps, vous demandez aux collectivités territoriales de limiter l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à 1, 2 % au maximum : il y a là une incohérence. Dès lors, monsieur le ministre, peut-être faudrait-il exempter la politique publique du logement, si importante, de l’application de cette toise que vous imposez à l’ensemble des collectivités.
Concernant les moyens que la puissance publique met sur la table, je voudrais aussi évoquer le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, le PNRQAD. Associant l’ANAH, l’ANRU et l’État, il était doté de 380 millions d’euros et devait permettre, grâce à l’effet de levier, de mobiliser 1, 5 milliard d’euros. Pour 1 million de logements à traiter, cela représentait 150 euros par logement… Mes chers collègues, il ne faut pas se payer de mots : on n’y arrivera pas.
Si l’on veut réaliser pour 20 000 euros de travaux dans un million de logements, il faut trouver 20 milliards d’euros.
Je sais que les choses ne sont pas simples sur le plan budgétaire, particulièrement dans la période actuelle, monsieur le ministre. Vous avez évoqué une somme de 18 milliards d’euros, en incluant, si j’ai bien compris, les budgets de l’ANRU, qui ne traite pas particulièrement de ces sujets, et de l’ANAH. On n’y est pas !
Le seul moyen de parvenir à régler dans des délais raisonnables un problème d’une telle ampleur serait, à mon sens, de mettre sur pied quelque chose qui ressemblerait à l’ANRU 1 de Jean-Louis Borloo, qui avait bien compris qu’il fallait intervenir massivement dans les délais les plus courts possible. Mes chers collègues, je ne dis pas que c’est facile, mais si nous ne le faisons pas, nous aurons beau modifier tous les textes que nous voudrons, nous ne serons pas plus efficaces pour autant.