Intervention de Annie Guillemot

Réunion du 5 mars 2019 à 14h30
Lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux — Suite de la discussion d'une proposition de loi

Photo de Annie GuillemotAnnie Guillemot :

Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quatre mois, jour pour jour, l’effondrement de plusieurs immeubles à Marseille causait la mort de huit personnes et obligeait de nombreuses autres à quitter leur logement. Samia Ghali l’a dit avec son cœur : des enfants ont perdu leur histoire, des jeunes qui préparaient le baccalauréat ont perdu leurs cours, des personnes ont perdu leurs photos et, plus largement, tout ce qui fait leur intimité, car le logement, ce n’est pas seulement un toit. Monsieur le ministre, je pense vraiment que Marseille a besoin de la solidarité nationale.

En France, l’habitat insalubre représente de 450 000 à 600 000 logements, dont 70 000 sont situés en outre-mer. Ce sont donc plus d’un million de nos concitoyens, bien souvent les plus fragiles d’entre eux, qui y sont confrontés. Ce phénomène nous concerne tous. Il affecte tous les territoires et tous les types de logements. Le renforcement de la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux constitue donc un impératif national et exige que l’on puisse apporter des réponses plus rapides et plus efficaces. C’est pourquoi nous partageons les objectifs sous-tendant le texte de notre collègue Bruno Gilles, tout comme nous approuvons les trois séries d’actions qu’il propose, à savoir le renforcement des capacités de contrôle et d’intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements, l’accélération des réponses données aux situations d’insalubrité et de dangerosité des immeubles et le renforcement de l’efficacité des sanctions pouvant être prises contre les marchands de sommeil.

Néanmoins, nous voterons la motion présentée par Mme la rapporteure. En effet, même si l’arsenal législatif de lutte contre l’habitat indigne et dangereux et contre les marchands de sommeil a été renforcé à l’occasion de l’élaboration des trois derniers textes relatifs au logement – la loi ALUR, la loi relative à l’égalité et la citoyenneté et la loi ÉLAN –, il reste des « trous dans la raquette » ! Je pense notamment à la notion de gouvernance, dont l’efficacité est pénalisée du fait de la multiplicité des responsabilités et compétences. À ce titre, je pense aux maires, qui doivent assurer la protection des personnes mais se trouvent confrontés à la problématique du relogement alors que, bien souvent, les victimes n’ont plus accès au logement social et que la pénurie de logements est criante, comme c’est le cas à Marseille. Les maires, qui ne sont pas responsables de tout, doivent également faire face aux délais de nomination d’un expert – souvent de six à huit mois – puis de production d’un rapport…

Le sujet est très complexe. Songeons par exemple qu’un tribunal a récemment jugé une affaire dans laquelle une famille payait à la fois l’hôtel et le loyer de son logement. En effet, lorsque le maire prend un arrêté de péril, la suspension des effets du bail n’est pas toujours ordonnée, même en cas de logement impropre à l’habitation. Elle intervient bien souvent plusieurs mois après la prise en charge du dossier par les services compétents. Pour les intéressés, c’est la double peine !

Par ailleurs, des locataires réglant leur loyer en espèces se sont vus condamnés et expulsés pour loyer impayé. Des marchands de sommeil ont ainsi réussi à faire expulser leurs locataires ! Au cours des auditions que nous avons menées, des associations nous ont indiqué que le renforcement de la législation avait conduit les marchands de sommeil à exercer une pression accrue sur leurs victimes pour faire respecter la loi du silence.

Songeons qu’il existe aussi, à côté des marchands de sommeil, des propriétaires qui n’ont pas les moyens d’effectuer les réparations nécessaires. Le cas des copropriétés dégradées, que je connais bien, échappe souvent à notre vigilance : il est très difficile d’établir des constats d’insalubrité dans une copropriété dégradée.

Nous avons, en commission des affaires économiques, déjà entendu de nombreux acteurs ministériels, locaux ou associatifs. D’autres auditions sont à venir. Par ailleurs, certains membres de la commission se sont rendus à Aubervilliers, à Montfermeil ou à Marseille. L’ensemble de ces travaux et déplacements ont enrichi notre réflexion et nos analyses, ce dont je me félicite.

Pour autant, il paraît indispensable de contextualiser ce texte au regard d’une paupérisation grandissante, de la suppression du dispositif de l’APL accession, de la baisse des crédits alloués aux offices d’HLM, de l’évolution des moyens consacrés aux réhabilitations. Traiter de l’habitat insalubre dans un contexte de crise du logement nécessite de prendre du recul, afin de pouvoir parvenir à un texte abouti, au regard notamment des impératifs de simplification et de faisabilité. Cela est particulièrement important alors que le nombre de permis de construire délivrés a diminué de 7 % en 2018 et que les mises en chantier ont connu un recul du même ordre, la contraction étant de 18, 3 % par rapport au même trimestre de 2017. Il en va de même pour les logements collectifs, avec une baisse de 7, 5 % sur l’année 2018.

Comme nous l’avons dit lors des travaux en commission, le groupe socialiste et républicain considère que la protection des occupants de logements indignes doit être renforcée, notamment par la création d’un nouveau chapitre dédié. Ces occupants peuvent rester dans un grand dénuement et sous l’emprise de propriétaires qui n’hésitent pas à exercer diverses pressions. Il convient également de permettre aux maires de prendre des mesures conservatoires pour protéger, le cas échéant, les occupants et d’inscrire dans la loi DALO une présomption de bonne foi des occupants, afin d’éviter la résiliation du bail pour impayés, qui les prive de leur droit à relogement ou de recours à indemnisation. Il s’agit enfin de mettre le propriétaire à contribution : en cas d’interdiction définitive d’habiter, il devrait présenter trois offres de relogement, au lieu d’une seule actuellement.

Le groupe socialiste et républicain votera la motion de renvoi du texte à la commission présentée par Mme la rapporteure. Avant de conclure, je voudrais revenir sur le pacte social et écologique qui a été présenté aujourd’hui par dix-neuf associations, ONG et syndicats, conduits notamment par Laurent Berger et Nicolas Hulot. Sa première proposition est de garantir l’accès à un logement digne, d’encadrer les loyers dans les zones tendues, d’en finir avec les logements indignes et les passoires énergétiques. Voilà de quoi alimenter, monsieur le ministre, le grand débat national, dont le logement est malheureusement le grand absent…

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