Madame la présidente, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de la tenue de ce débat dans votre hémicycle. L’inscription à l’ordre du jour, au sein d’une niche parlementaire, de la discussion de cette proposition de loi est un signe fort de l’attachement des sénateurs au développement de la vie associative.
L’examen de cette proposition de loi intervient après l’adoption, à l’unanimité, de la proposition de résolution relative à l’engagement associatif et à sa reconnaissance, déposée par le groupe Modem à l’Assemblée nationale, le texte qui nous réunit aujourd’hui ayant également été adopté à l’unanimité par les députés.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire devant le Parlement, les associations sont un trésor pour notre démocratie. Dans les territoires, elles font vivre chaque jour des projets et des actions d’intérêt général ; elles participent d’une économie plus humaine ; elles contribuent à l’éducation informelle des enfants de la République ; elles favorisent l’accès à la culture pour tous, l’accès aux soins, l’accès au droit ; elles font vivre la démocratie au quotidien… Elles agissent jour après jour, majoritairement de façon bénévole, de façon désintéressée, sans intérêt capitalistique, au bénéfice de la collectivité. Je tiens donc, avant tout, à les remercier de leur action et à leur rendre hommage.
Néanmoins, le tissu associatif se trouve à un moment charnière : de nombreuses transformations sont en cours, les méthodes de travail changent, les habitudes des acteurs se modifient, les profils des bénévoles et les modes d’action varient, la société évolue dans son rapport à l’engagement et ses attentes envers le secteur privé.
Je me réjouis que cette proposition de loi contienne plusieurs dispositions importantes pour répondre à ces défis.
Tout d’abord, elle vise à encourager la prise de responsabilités associatives en tenant compte des contraintes, notamment financières, qui pèsent sur les dirigeants associatifs bénévoles, et à simplifier la vie des associations : c’est l’objet des articles 1er et 5.
Ensuite, elle tend à inciter les jeunes à s’engager dans le monde associatif : c’est l’objet de l’article 2.
Enfin, elle a pour objet de garantir aux jeunes Algériens la possibilité d’effectuer leur service civique, disposition qui avait été fragilisée par une omission dans la loi Égalité et citoyenneté : c’est l’objet de l’article 3.
Les articles 4 et 5 soulèvent des problématiques complexes, dont nous aurons à débattre.
En premier lieu, il est nécessaire d’encourager l’engagement associatif, en particulier les parcours bénévoles. Les associations occupent une place essentielle dans la vie collective de notre pays et le fonctionnement de notre modèle de société. Quelques chiffres suffiront à illustrer ce fait : la France compte 1, 3 million d’associations, le monde associatif 21 millions d’adhérents et 12, 9 % d’associations employeuses, ce qui représente 1, 83 million d’emplois, soit 9, 8 % des emplois du secteur privé. Il s’agit là d’emplois à très forte utilité sociale et, de surcroît, non délocalisables, ce qui renforce leur intérêt.
Le monde associatif est donc un acteur social et économique de premier plan. Je tiens à saluer tout particulièrement l’engagement des bénévoles qui le font vivre au quotidien, aux côtés des adhérents et des dirigeants associatifs, sans compter leur temps et, bien souvent, en prenant sur leur vie personnelle, voire professionnelle. Ces bénévoles participent au fonctionnement et à l’animation des associations, sans contrepartie, si ce n’est la satisfaction de travailler pour l’intérêt général. Ils sont 13 millions en France à donner de leur temps, de leur énergie, pour renforcer le lien social entre les Français, tisser des solidarités entre les territoires et faire vivre les idées, le sport, la culture ou tout simplement leur village.
La fonction de dirigeant bénévole exige un véritable engagement personnel et une disponibilité importante. Elle nécessite également des compétences dans les domaines du droit et/ou de la comptabilité. Enfin, être dirigeant bénévole, c’est souvent engager sa responsabilité personnelle. En effet, en l’état actuel du droit, la responsabilité financière du dirigeant bénévole d’une association est susceptible d’être engagée s’il a commis des fautes de gestion. Il peut être appelé à supporter personnellement des dettes, y compris en cas de simple négligence, alors même que son patrimoine est bien distinct de celui de l’association, qu’il exerce cette fonction sans aucune contrepartie financière et que l’association a un but d’intérêt général.
Sur l’ensemble de ces questions, les jurisprudences sont contradictoires. Cette insécurité juridique est une source de préoccupation majeure dans le milieu associatif, car elle est un frein au renouvellement des instances dirigeantes des associations, alors même que le nombre de bénévoles est en hausse constante dans notre pays.
C’est pourquoi le Gouvernement accueille favorablement la modification législative proposée à l’article 1er de cette proposition de loi. Cet article atténue la responsabilité financière du dirigeant associatif bénévole en cas de faute de gestion, en étendant l’exception de négligence prévue à l’article L. 615-2 du code de commerce aux dirigeants d’associations et en atténuant les condamnations des dirigeants bénévoles au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. En un mot, l’article 1er vise à une meilleure prise en compte du statut du bénévole associatif dans les procédures de liquidation judiciaire.
Je me félicite de voir discutée cet après-midi la disposition figurant à l’article 1er bis A, introduit par voie d’amendement. En effet, j’avais inscrit cette mesure dans le plan de développement de la vie associative présenté à la fin du mois de novembre. Elle simplifiera la vie des associations en élargissant aux associations de moins de 20 salariés le champ du dispositif « impact emploi », qui permet déjà aux associations de moins de 10 salariés de transférer aux Urssaf un certain nombre de formalités administratives.
L’article 1er bis, tout aussi important, a trait à la possibilité de récupérer les fonds des comptes bancaires associatifs inactifs qui, au bout de trente ans, passent dans le budget général de l’État. Il s’agit là d’un serpent de mer, qui revient régulièrement dans les débats consacrés au financement de la vie associative ; c’est aussi un sujet que j’ai abordé en présentant la feuille de route pour le développement de la vie associative. Une autre proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale par la députée Sarah El Haïry, traite d’ailleurs de cette question.
L’an passé, 1, 9 milliard d’euros issus de comptes bancaires inactifs ont été versés au budget général. Une part de ce montant est liée aux associations : il nous faut pouvoir l’identifier et l’évaluer. Comme M. le rapporteur, je souhaite que ces montants servent au développement de la vie associative : que les fonds issus du monde associatif reviennent au monde associatif n’est que justice. Le rapport prévu doit porter non pas sur l’opportunité d’allouer ces fonds au développement de la vie associative – ce point ne fait pas débat –, mais plutôt sur les modalités de leur affectation, qui permettra d’augmenter les moyens consacrés à la formation des bénévoles, ainsi que de mieux accompagner les transitions des modèles associatifs. Il serait donc judicieux de recentrer le rapport sur ce sujet, qui nécessite un travail d’ensemble.
Si l’article 5 répond à l’objectif, que nous partageons tous, de simplifier la vie des associations, je crains que la création d’un rescrit unique délivré aux associations souhaitant s’assurer de leur caractère d’intérêt général ne puisse intervenir en ces termes, au regard des conséquences lourdes que cela emporterait.
Cette procédure ouvrirait un droit au bénéfice de certains avantages, notamment au régime fiscal du mécénat. L’examen de la gestion et du caractère lucratif de l’activité suppose également des compétences fiscales, au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, de l’impôt sur les sociétés, de la contribution économique territoriale, voire de la taxe sur les salaires et des impôts locaux directs. Seule l’administration fiscale dispose d’une compétence exclusive pour fixer les bases d’imposition. Dès lors, il lui appartient de définir les caractères de non-lucrativité et d’intérêt général, et d’en contrôler la bonne application ; cette compétence ne peut être confiée au représentant de l’État dans le département.
En outre, la création de cette procédure emporterait de lourdes conséquences pour l’organisation territoriale de l’État : seule l’administration fiscale est soumise à des règles de confidentialité inhérentes aux opérations de contrôle, de recouvrement ou de contentieux des impôts, auxquelles l’ensemble des agents appelés à connaître de cette nouvelle procédure de rescrit seraient mécaniquement soumis.
Dès lors, si je souscris pleinement à l’objectif de simplification de la vie des associations – le Gouvernement est tout entier mobilisé en ce sens et, conformément à la feuille de route pour le développement de la vie associative, des travaux ont été engagés à ce titre –, je ne peux accepter cette disposition en l’état.
Afin d’encourager les jeunes à s’engager dans le monde associatif, l’article 2 de cette proposition de loi prévoit d’inscrire la sensibilisation à la vie associative dans le cadre de l’enseignement moral et civique. Il complète ainsi utilement les dispositions de l’article L. 312-5 du code de l’éducation, dont le dernier alinéa prévoit que les collégiens et les lycéens sont incités à participer à un projet citoyen au sein d’une association d’intérêt général.
Cet article rejoint les préconisations émises par le Haut Conseil à la vie associative dans son rapport « Favoriser l’engagement des jeunes à l’école », publié en novembre 2017. Ce document rappelait la nécessité de favoriser et de valoriser l’engagement associatif le plus tôt possible.
Le Gouvernement accueille très favorablement cette proposition. C’est d’ailleurs un choix fort que le Président de la République et le Premier ministre ont opéré en rapprochant au sein d’un seul ministère les politiques d’éducation formelle et informelle pour et avec la jeunesse de notre pays, mais aussi les politiques de vie associative, laquelle constitue une école de citoyenneté.
Ce rapprochement illustre la cohérence d’un portefeuille ministériel construit autour de deux idées-forces : la confiance et l’émancipation. Le but de toute éducation réussie, c’est l’émancipation de l’individu. Cela passe par une confiance en soi et en la société. Cela commence à l’école, mais se construit également en dehors, à côté et au-delà de l’école, notamment au travers de la vie associative.
Les associations sont au cœur d’une société de la confiance, de l’engagement et de l’entraide qui constitue le fondement du projet du Président de la République. La disposition de nos concitoyens à s’engager illustre en actes cette confiance dans la capacité des collectifs, des individus rassemblés à surmonter les difficultés, à mener à bien leurs projets et, chacun à son niveau, à transformer la société. Les associations sont plus que des instruments puissants au service de projets collectifs ; ce sont des écoles de citoyenneté.
L’article 3 vise à garantir aux jeunes Algériens la possibilité d’effectuer leur service civique, disposition fragilisée par une omission dans la loi Égalité et citoyenneté. Cela revient à remédier à un oubli dans une rédaction législative et à renforcer le droit des jeunes à s’engager, ce à quoi nous sommes bien évidemment tous favorables.
J’en viens aux dispositions relatives aux stages en milieu associatif.
Depuis la loi du 10 juillet 2014, le nombre de stages n’a cessé d’augmenter, tandis que la protection des stagiaires a été sensiblement renforcée. Le seuil du nombre de stagiaires par organisme d’accueil a fait ses preuves : il permet d’augmenter les chances de réaliser un stage de qualité. L’obligation de gratification se déclenche à partir de 308 heures de stage, soit l’équivalent de deux mois à temps plein.
La suppression du seuil pour une certaine catégorie de stages, d’une durée inférieure à deux mois et donc non gratifiés, pourrait ouvrir la porte à des abus, allant à l’encontre des principes que nous avons en partage. En effet, les associations pourraient avoir tendance à proposer davantage de stages d’une durée inférieure ou égale à deux mois, ce qui ne concorderait pas avec notre volonté de proposer des périodes de formation utiles aux jeunes en vue de leur insertion. L’encadrement de stagiaires plus nombreux en pâtirait mécaniquement, et la valeur pédagogique du stage diminuerait en conséquence. De surcroît, le risque de substitution à de véritables emplois serait important. Pour ces motifs, le Gouvernement est défavorable à ces dispositions.
Les associations constituent le cœur battant de notre démocratie. Je remercie sincèrement le groupe La République En Marche d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat. Le Gouvernement accueille très favorablement ce texte, qui s’inscrit pleinement dans la stratégie que nous déployons avec le mouvement associatif, via la feuille de route partagée que j’ai présentée le 29 novembre dernier. Celle-ci a vocation à être enrichie par des initiatives parlementaires comme celle qui nous réunit aujourd’hui, ainsi que par un certain nombre de missions et de rapports et par le grand débat national en cours qui, comme l’a déclaré lui-même le Président de la République, pourra déboucher sur l’élaboration de mesures nouvelles.
D’ores et déjà, cette proposition de loi apporte des réponses concrètes supplémentaires pour relever les défis qui s’imposent au monde associatif. Notre programme de travail pour 2019 permettra de prolonger et d’amplifier ce mouvement.
Si le secteur associatif doit, comme tout autre secteur, en permanence évoluer et se transformer, l’État doit jouer son rôle d’accompagnateur et d’appui. C’est aussi notre devoir en tant qu’élus de la Nation, et c’est ce que nous permet une fois de plus, cette après-midi, le texte dont nous allons débattre ensemble.