Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un sujet éminemment important en agriculture : le foncier. En effet, on ne peut pas préserver l’agriculture sans préserver le foncier !
D’ailleurs, les récents travaux de la mission parlementaire d’information sur le foncier agricole font état de la nécessité de travailler sur le sujet. Monsieur le ministre, nous attendons avec impatience le dépôt et l’inscription à l’ordre du jour du projet de loi annoncé. Peut-être pourrez-vous nous en informer.
Un long travail mené entre l’auteur de ce texte, le député Jimmy Pahun, que je salue, et la filière conchylicole a montré l’urgence d’intervenir sur le sujet. Cette unanimité témoigne d’enjeux primordiaux : la préservation des bâtiments agricoles et l’installation des jeunes sont deux d’entre eux. En effet, beaucoup de territoires littoraux connaissent une situation tendue à cause de la spéculation sur le foncier qui y est constatée.
Cette proposition de loi vise à la fois à résoudre l’augmentation du prix du foncier pour favoriser l’installation et à empêcher le détournement de destination.
En cet instant, mes chers collègues, je veux appeler votre attention sur les sentiments contradictoires que nourrissent les professionnels face à nos travaux. Ils constatent une importante augmentation de déclarations d’intention d’aliéner depuis la communication sur cette initiative législative.
Ce que nous voulons prévenir, à savoir la transformation de nombreux bâtiments agricoles en résidences secondaires ou en restaurants, est momentanément accéléré par ceux qui veulent éviter les effets que nous visons en légiférant. Or, si le texte de l’Assemblée nationale n’est pas voté conforme, il devra y repartir, et un temps précieux sera perdu.
En commission, la volonté du rapporteur a été d’introduire un article pour pouvoir faire reconnaître l’exploitation du sel des marais salants comme une activité agricole. De même, un amendement du Gouvernement a été déposé hier soir, certainement avec l’accord du rapporteur.
Sur le fond, je comprends tout l’intérêt d’une telle disposition ; nous l’avons d’ailleurs votée en commission. Mais est-ce urgent à ce point ? Nous devrons prendre nos responsabilités. Le Sénat aura l’occasion de revoter cette disposition utile dès l’examen du projet de loi sur le foncier agricole.
Ce danger m’a été particulièrement souligné par les nombreux contacts que j’ai eus depuis notre réunion de commission. Je pense d’abord au président du comité régional de conchyliculture de Méditerranée, l’Héraultais Patrice Lafont, ainsi qu’au Comité national de la conchyliculture. Ils comprennent ce nouvel article, mais ils craignent, si le texte n’est pas conforme, que des situations irréversibles ne se créent.
C’est pour cela que j’ai déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement de suppression du nouvel article, afin de voter le texte conforme et de répondre ainsi au souhait des professionnels. Car qui connaît mieux qu’eux la réalité des situations sur les territoires ? À l’heure du grand débat, pour écouter les citoyens, nous ferions le contraire ?
Pour autant, je peux comprendre les augmentations de déclaration d’aliéner, car les agriculteurs ont besoin d’un complément à leurs modiques retraites. Je tiens une nouvelle fois à insister sur les montants dérisoires et scandaleux des retraites que perçoivent les paysans. De ce point de vue, leur souhait de vendre le plus cher possible leurs bâtiments pour s’assurer de quoi vivre dignement est compréhensible.
L’objectif d’un agriculteur est de transmettre son outil, car le dur labeur de toute une vie mérite mieux qu’une cessation d’activité. Monsieur le ministre, il faudra donc être vigilant, pour que la future réforme des retraites permette à tous les agriculteurs de bénéficier d’une pension leur garantissant de vivre dignement après avoir arrêté leur activité.
Ce texte s’inscrit parfaitement dans la préservation des bâtiments d’exploitations de cultures marines. Il permettra de freiner l’artificialisation, qui grignote au fur et à mesure l’agriculture.
Dans mon département, l’Hérault, ce sont 25 % des surfaces agricoles utiles qui ont disparu durant les trente dernières années. Vient s’ajouter à cela, dans les communes littorales, la « cabanisation », qui sévit aussi et qui capte les terres agricoles. Les maires de ces communes littorales ont beaucoup de mal à faire respecter leur droit de police. Comment constater les infractions sans pouvoir entrer dans les propriétés ?
Par exemple, Mme la maire de Bouzigues, au bord du bassin de Thau, a refusé un permis de construire à un propriétaire qui a tout de même réalisé des travaux pour transformer un mas en restaurant. Depuis lors, une procédure est ouverte ; elle coûte de l’argent à la commune et risque d’être très longue. Pendant ce temps, le restaurant continue de fonctionner…
De nombreux maires m’ont dit que les travaux effectués pour les changements de destination se faisaient souvent les week-ends. Mes chers collègues, vous imaginez bien la difficulté pour s’opposer aux contrevenants !
Ce texte vient donc à la fois en appui aux élus et aux professionnels pour combler les manquements actuels. Il fait remonter à vingt ans, au lieu de cinq ans, la période prise en compte avant l’aliénation pendant laquelle si une activité agricole a été exercée, la Safer peut préempter. Il permet également à celle-ci de demander une révision du prix à la baisse en cas de changement illégal de destination lors de la période considérée, afin de ramener celui-ci à un niveau raisonnable correspondant à l’activité qu’il s’agit de préserver.
Pour autant, rien dans ce texte n’est prévu en cas de succession. Nous aurons l’occasion de l’évoquer pendant la discussion.
Je voudrais aborder une nouvelle fois dans cet hémicycle le financement des Safer. Car qui dit préemption dit budget. Les Safer sont là pour installer et conforter les exploitations. Or la plupart d’entre elles n’ont que très peu de stock. Il est indispensable qu’elles aient les moyens nécessaires pour constituer un stock convenable et, donc, pour réussir l’implantation de nouvelles générations. C’est leur mission première.
La Fédération nationale des Safer, que nous avons auditionnée, nous a assurés que des conventions étaient passées avec les établissements publics fonciers et les collectivités territoriales, communes, départements et régions. L’objectif est d’assurer un financement.
Toutefois, je ne crois pas que ce soit le rôle des collectivités de financer. Certaines ont déjà du mal à assumer le financement de leurs compétences, dans un contexte de baisse de dotations. Il est indispensable qu’elles soient associées. Mais il faudrait pour cela, par exemple, leur donner un peu plus de représentation dans les conseils d’administration des Safer. À ce sujet, je vous recommande la lecture de l’excellent rapport de nos collègues François Pillet, René Vandierendonck, Yvon Collin et Philippe Dallier, Les outils fonciers des collectivités locales : comment renforcer des dispositifs encore trop méconnus ?, publié en 2013.
En revanche, les établissements publics fonciers, les EPF, ont pour compétence le « recyclage foncier », c’est-à-dire l’achat, le portage, la gestion de l’ensemble des études utiles à cette maîtrise foncière. Ils ont une capacité de financement hors pair, notamment grâce aux ressources liées à la taxe d’équipement, qui peut aller jusqu’à vingt euros par habitant et par an. Actuellement, la moyenne est de six euros. Et les EPF ont bien sûr évidemment la capacité d’emprunt, qui en fait un outil bien armé. Je vous le rappelle, une fois les biens acquis pour les collectivités, et après une période de portage foncier, ils revendent aux collectivités. Cela leur apporte des ressources supplémentaires non négligeables.
Pour pouvoir donner de l’autonomie aux Safer et leur permettre de faire perdurer une activité agricole, de préserver ainsi une activité économique et de l’emploi et de penser une stratégie d’aménagement de territoire, pourquoi ne pas flécher une partie de la taxe d’équipement vers les Safer ? Cela leur permettrait d’assurer leur mission en toute sécurité.
Aujourd’hui, certaines font entre 60 % et 70 % de leur chiffre d’affaires grâce à l’acquisition et à la revente de biens très importants, qui, pour la plupart, ne sont pas dédiés à des agriculteurs, car les prix sont prohibitifs.
Ce n’est pas la première fois que je formule cette proposition. Je ne doute pas que nous en discuterons lors de l’examen du futur projet de loi sur le foncier. Nous aurons à résoudre la question du droit de préemption pour les sociétés lors de la vente d’une partie des parts.
Comme chaque année, le Salon de l’agriculture a connu un grand succès, à la fois par le nombre de visiteurs, mais aussi par le nombre de collectivités et d’élus présents. Le monde politique a l’habitude de s’y montrer et d’y montrer ses bonnes intentions. Il est temps, après la communication, de faire preuve d’actes plus concrets.
En votant ce texte conforme, nous nous engageons à préserver nos espaces littoraux, à la fois idylliques et fragiles, et à maintenir une activité économique des cultures marines. Les professionnels s’efforcent de les protéger en produisant des huîtres et des moules, qui, cette année encore, ont été pour beaucoup récompensées au concours général de l’agriculture.
Cette proposition de loi est essentielle pour eux, pour préserver non seulement leur outil de travail, mais aussi leur avenir.