Cependant, et c’est un regret, je ne suis pas en mesure aujourd’hui de soutenir devant vous cette proposition de loi, dont je crains qu’elle ne parvienne pas réellement à atteindre ses objectifs. Nous avons déjà eu l’occasion d’en débattre en commission.
Le rapporteur l’a rappelé, une première version de cette proposition de loi avait été déposée par le président Kanner, que je salue. Elle aurait ouvert la voie à un dépôt de plainte anonymisé pour les sapeurs-pompiers victimes d’agressions en raison de leur fonction. Nous en avons discuté ensemble en commission et nous avons partagé le constat que le texte, tel qu’il était présenté, pouvait porter atteinte assez durement aux droits de la défense et qu’il présentait un risque important d’inconstitutionnalité.
Aussi, vous avez décidé de modifier la proposition de loi en commission et par un amendement que vous avez adopté, le texte que nous examinons prévoit désormais d’étendre la procédure de témoignage anonyme prévue à l’article 706-58 du code de procédure pénale à toutes les procédures portant sur une infraction commise sur un sapeur-pompier.
Cette nouvelle rédaction du texte ne paraît toujours pas satisfaisante.
Tout d’abord, ce nouvel amendement ne protège pas spécifiquement les sapeurs-pompiers victimes d’agressions. Il permettrait à tout témoin dans une procédure impliquant une agression sur un sapeur-pompier de témoigner sous X, quelle que soit la gravité de l’infraction commise.
Je viens de le rappeler, je partage évidemment la préoccupation de chacun de protéger les témoins, mais cet impératif doit être concilié avec l’atteinte portée aux droits de la défense.
Aujourd’hui, le législateur a décidé d’un seuil de peine de prison encourue au-dessus duquel un témoignage sous X est possible.
Ce seuil portait à l’origine sur les peines supérieures à cinq ans d’emprisonnement, il a été baissé en 2002 aux peines supérieures à trois ans. L’étendre à toutes les infractions, sans aucune exception en dessous de ce seuil, tel que la proposition de loi le prévoit, porterait – je le crois – atteinte au principe de proportionnalité et à l’équilibre fondamental entre la protection des témoins et les droits de la défense. Permettez-moi donc de douter de la constitutionnalité de la proposition de loi en l’état.
Ensuite, le droit actuel ne connaît aucune dérogation spécifique aux règles de témoignage sous X. C’est la vocation même du droit pénal d’être universel, de fixer des règles pour tous sans risquer de créer des exceptions au gré des événements ou des situations. Je crois qu’il serait difficile, en l’état actuel des choses, de justifier une exception centrée sur les sapeurs-pompiers, aboutissant à ce que, pour des infractions de même gravité, les témoins dans les affaires les concernant bénéficient d’une protection supérieure aux témoins dans d’autres affaires.
Je ne suis donc pas certain que cette proposition de loi parvienne à atteindre son objectif et à renforcer plus encore la protection des sapeurs-pompiers.
Comme vous le savez, le droit pénal prévoit déjà des protections supplémentaires qui touchent, elles, directement les sapeurs-pompiers.
Je pense notamment à des peines encourues plus lourdes lorsque la victime est sapeur-pompier dans les cas de meurtre, d’actes de torture et de barbarie, de violences ayant entraîné une incapacité plus ou moins longue, de violences commises avec usage ou menace d’une arme ou d’embuscade. Je note que ces crimes et ces délits sont tous répréhensibles d’une peine supérieure à trois ans d’emprisonnement lorsque la victime est sapeur-pompier, et donc qu’en l’état actuel du droit les témoins peuvent d’ores et déjà témoigner sous X dans toutes ces procédures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, encore une fois, je comprends bien votre préoccupation de protéger nos sapeurs-pompiers : croyez bien que, avec tout le Gouvernement, je la partage totalement.
Je veux rappeler les nombreuses initiatives qui ont déjà été lancées pour nous assurer qu’aucune agression contre les sapeurs-pompiers ne puisse rester impunie.
Nous devons, et je crois que c’est la bonne solution, renforcer et continuer à mettre en place les dispositions existantes. Il faut, par exemple, permettre un accueil privilégié, systématiquement, des sapeurs-pompiers qui viennent déposer plainte dans les commissariats ou dans les brigades de gendarmerie.
Le Gouvernement a déjà pris des mesures pour agir en ce sens, et c’est ainsi qu’aux termes d’une circulaire du 13 mars 2018, des mesures doivent être mises en place pour inciter et faciliter le dépôt de plaintes des sapeurs-pompiers victimes d’agressions. La circulaire demandait ainsi, notamment, le dépôt de plaintes sur rendez-vous ; le dépôt de plainte dans les centres de secours ; la domiciliation du sapeur-pompier victime à la direction du service d’incendie et de secours pour éviter les représailles ; la protection fonctionnelle ; ou encore, et nous y sommes très vigilants avec la garde des sceaux, un suivi attentif de la réponse pénale en lien étroit avec les parquets.
Nous tenons à ce que ces mesures soient mises en place, et un télégramme ministériel a encore récemment rappelé l’impératif de suivi de ces objectifs.
Je tiens également à rappeler qu’à l’heure actuelle, des protocoles interservices départementaux sont mis en place pour que ces mesures deviennent réalité. Ils permettent une meilleure coopération opérationnelle entre les forces de sécurité intérieure de chaque département : policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers.
Je pense par exemple à des échanges d’information accrus, lesquels ont régulièrement lieu – ces protocoles existent dans tous les départements français –, à des appels préventifs en cas de problème connu ou encore à la mise en place de points de regroupement avant une intervention des sapeurs-pompiers dans un secteur sensible – l’intervention se fait alors avec des policiers ou des gendarmes. Ces conventions montrent leurs effets et nous rappelons régulièrement aux préfets la nécessité de veiller à leur bonne mise en place.
J’avais rappelé devant votre commission que nous avions dans le département du Nord, cher monsieur Kanner, une convention particulièrement opérationnelle, qui donnait pleinement satisfaction à l’ensemble des acteurs.
Enfin, et ce point est très important, nous devons pouvoir compter sur l’intransigeance des parquets devant les attaques inacceptables dont sont victimes les sapeurs-pompiers. Là encore, je sais que c’est le cas, et rien que ces dernières semaines, des peines d’emprisonnement fermes ont été prononcées à l’encontre de personnes ayant agressé des sapeurs-pompiers.
Ainsi, un individu victime d’un accident de la route à Dunkerque et son frère venu le secourir, qui s’en étaient tous deux pris aux pompiers, ont été condamnés à une peine de prison ferme. De même, deux frères de la petite couronne en région parisienne s’en étaient pris violemment aux sapeurs-pompiers, car ils estimaient que ces derniers mettaient trop de temps à libérer leur père coincé dans un ascenseur : ils ont également été condamnés à des peines de prison ferme. Ces affaires se sont produites ces dernières semaines.
Soyez donc certains, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est pleinement conscient et impliqué pour assurer la meilleure protection possible aux sapeurs-pompiers.
Cependant, et je le regrette encore une fois, je ne crois pas que cette proposition de loi puisse apporter une protection supplémentaire – j’insiste sur ce terme – à nos sapeurs-pompiers aujourd’hui. Je crains qu’elle ne réponde pas au principe de proportionnalité, qu’elle ne soit pas constitutionnelle et qu’elle n’ait pas d’effet supplémentaire utile par rapport aux protections accrues dont bénéficient d’ores et déjà les sapeurs-pompiers dans le droit pénal et que j’ai rappelées.