Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui modifie l’article 371-1 du code civil, lu par l’officier d’état civil lors de la célébration du mariage, en y inscrivant le principe selon lequel l’autorité parentale s’exerce sans violence.
Nous convenons tous des bonnes intentions des auteurs de ce texte et de l’intérêt qu’il y a à réduire les violences au sein des familles, tant pour les couples que pour les enfants. C’est d’ailleurs si vrai que le code pénal prévoit déjà un arsenal de mesures permettant de sanctionner, de punir et de condamner les parents qui iraient trop loin.
Le juge aux affaires familiales peut également, selon l’article 515-9 du code civil, délivrer en urgence une ordonnance de protection lorsque les violences exercées au sein d’un couple « mettent en danger un ou plusieurs enfants ».
Ajoutons que la Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 29 octobre 2014, la pratique jurisprudentielle du « droit à la correction » en rappelant que ce droit reconnu aux parents « a pour limite l’absence de dommages causés à l’enfant, la correction devant rester proportionnée au manquement commis et ne pas avoir de caractère humiliant ».
La nouvelle rédaction du code civil proposée par la présente proposition de loi revêt une portée davantage pédagogique et symbolique que juridique, puisqu’elle ne prévoit même pas de sanction pénale. Aussi, je m’interroge sur la libre appréciation que les juges feront des violences éducatives ordinaires.
Je me méfie toujours de ces textes qui, sous couvert de bonnes intentions, intentions que nous partageons tous, consistent à distribuer officiellement des bons et des mauvais points, et, en l’occurrence, à stigmatiser les parents.
Lorsque l’on contraint physiquement un enfant à aller au coin, le texte s’applique-t-il ? Lorsqu’un enfant reçoit une tape sur la main parce qu’il a voulu toucher une plaque électrique un peu trop chaude, est-ce grave ? Contraindre un enfant à ranger sa chambre ou sa salle de jeux en le prenant par le bras, élever la voix quand il n’écoute pas, est-ce que ce sont des violences psychologiques telles qu’il en résulterait des perturbations tout au long de la vie ?
S’il est du devoir du législateur d’agir pour lutter contre toutes les formes de violence contre les mineurs, ce n’est pas à la loi de dire ce qu’est un bon ou un mauvais parent. Tous ceux qui sont devenus parents savent que rien ne peut vous préparer à la parentalité. C’est au fur et à mesure des années et des expériences que l’on apprend à bien s’occuper d’un enfant. J’ajoute que fixer des règles et les faire appliquer est essentiel pour que les enfants deviennent des adultes respectueux de la vie en société.
Veillons, dès lors, à ne pas contrarier l’autorité parentale, car c’est aux parents qu’il appartient de trouver les voies et les moyens de parvenir, dans le respect de la légalité, à la bonne éducation, laquelle varie d’ailleurs selon les familles, en fonction de leurs références et des points sur lesquels elles insistent. Au sein même d’une famille, les manières de procéder diffèrent selon les enfants, chacun ayant sa personnalité.
Il existe, à mon sens, bien d’autres phénomènes auxquels il faudrait s’attaquer en priorité, avec plus de force – je pense aux vols avec violences, aux agressions sexuelles, ou encore au harcèlement scolaire, dont sont victimes 700 000 élèves, parmi lesquels un sur quatre déclare avoir pensé au suicide. Ces phénomènes détruisent beaucoup plus de vies, notamment les vies de très jeunes enfants, que l’éducation parentale.
Par ailleurs, il serait souhaitable de développer les dispositifs de soutien à la parentalité ; parfois, en effet, il est nécessaire d’aider les parents à être parents. Beaucoup de maires soutiennent déjà de tels dispositifs, mais il conviendrait d’en généraliser la mise en œuvre sur l’ensemble du territoire et de les faire monter en puissance.
Il faut banaliser le recours à ce type de services pour éviter le risque de stigmatisation ou de prescription et pour répondre de manière concrète aux nouveaux besoins exprimés ou ressentis par les parents.
Des progrès restent à faire pour mieux appréhender l’hétérogénéité des situations parentales. L’offre existante est encore trop généraliste, donc insuffisante. Elle doit être articulée avec une autre offre destinée à répondre aux besoins spécifiques de certains publics, de façon à couvrir toute la population. Il s’agirait par exemple de développer des programmes à destination des parents d’adolescents, des parents de différentes origines culturelles, des parents qui se séparent, des familles monoparentales, etc.
J’aurai également une pensée pour les enseignants – on les oublie trop souvent –, qui se retrouvent de plus en plus, dès la maternelle, devant des enfants à qui les règles n’ont pas été apprises.
En conclusion, mes chers collègues, notre société doit certes se montrer à la hauteur de ses principes, humanistes et républicains, en réaffirmant la place qu’elle donne à l’enfant ; mais elle ne doit pas instaurer de confusion malsaine ; elle ne doit pas culpabiliser ; elle ne doit pas faire tomber sous le coup de la loi des comportements qui ne sont pas violents, mais qui sont tout simplement nécessaires, parfois, dans l’éducation de nos enfants.
Nous voterons ce texte bien qu’il se contente de rappeler une règle de bon sens, dont la violation est déjà sanctionnée par la loi.