Intervention de Gabriel Attal

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 5 mars 2019 à 16h30
Service national universel snu — Audition de M. Gabriel Attal secrétaire d'état auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

Je vous remercie pour cette invitation autour d'un sujet qui me tient à coeur tout comme il tient à celui de nombreux Français : l'intégration républicaine, le lien entre armée et Nation, l'engagement. J'ai la chance et l'honneur de mettre en oeuvre ce projet depuis ma nomination le 16 octobre dernier aux côtés de Jean-Michel Blanquer. Vous avez déjà abordé de nombreux points avec le général Menaouine. Vos travaux ont été une source d'inspiration du groupe de travail et des réflexions que j'ai menées avec le ministre de l'éducation nationale. La construction de ce dispositif se poursuit ; le Parlement sera associé lors de la présentation du projet de loi sur le SNU - un texte législatif n'est pas nécessaire pour réaliser une expérimentation, il ne le sera que lorsque nous rendrons le dispositif obligatoire pour tous les jeunes.

Nous avons fait tout sauf de l'entre-soi ; nous avons largement consulté, notamment 75 000 jeunes, dont un échantillon représentatif de 50 000 d'entre eux, puisque cette consultation s'est déroulée durant les journées de défense et de citoyenneté, qui rassemblent chaque année tous les jeunes, par-delà leurs origines sociales et géographiques. Ces réponses nous ont permis de construire le dispositif en tenant compte de leurs attentes.

Nombre d'entre vous s'intéressent à ce sujet et ont même été sources de propositions et d'évaluation sur ces questions ; je tiens à saluer votre travail.

Le SNU est une promesse de campagne du Président de la République, et revêt trois grands objectifs : d'abord, créer ou recréer un moment de mixité sociale, de cohésion territoriale, de creuset républicain pour la jeunesse autour des valeurs de la République ; ensuite, apporter aux jeunes des formations dans un contexte où les risques ont évolué - formation aux premiers secours et à la gestion d'événements graves comme des catastrophes naturelles et des attentats terroristes ; enfin, lever les freins à l'engagement. S'engager, c'est donner ce qu'on a de plus précieux, son temps, au service de l'intérêt général. S'engager, c'est bon pour l'intérêt général mais aussi pour celui ou celle qui s'engage. Les jeunes qui sont engagés, par exemple auprès d'associations ou des pompiers volontaires, partent avec plus de chances dans la vie que d'autres. Ils ont davantage confiance en eux, s'interrogent sur leur orientation, développent des compétences - notamment de savoir-être - pour s'insérer ensuite plus facilement dans le milieu professionnel. Tous les jeunes ne s'engagent pas, non pas que certains soient plus altruistes ou plus tournés vers l'intérêt général que les autres, mais parce qu'il y a des freins socio-culturels, géographiques et souvent psychologiques qui persuadent certains jeunes qu'ils n'auraient rien à apporter à la société. Notre pays a encore du mal à montrer à ces jeunes leur utilité sociale. Voilà l'un des objectifs du SNU. Il y a plus de vingt ans, le président Jacques Chirac a pris une bonne décision en suspendant le service militaire, puisque la professionnalisation de notre armée s'est déroulée dans de bonnes conditions ; en revanche, il aurait fallu le remplacer par un autre dispositif pour poursuivre cette ambition de cohésion sociale, de mixité territoriale et de creuset républicain.

À terme, grâce au SNU, l'ensemble d'une classe d'âge pourra partager un moment autour des valeurs de la République. C'est dans cet esprit que ce dispositif avait été proposé dans le programme du Président de la République : à la différence notable du service militaire, il concernera à la fois les garçons et les jeunes filles, et personne ne sera réformé. Les personnes en situation de handicap participeront à ce moment de cohésion - a minima à partir du moment où elles sont scolarisées. Le SNU sera l'un des outils de cette société inclusive qui nous tient à coeur. Toute une classe d'âge se retrouvera, l'année suivant l'année de troisième, vers 15-16 ans. Pendant quinze jours, en hébergement collectif, ils vivront en maisonnée, en compagnie, en brigade, afin de renforcer cet esprit français républicain, loin de leur quotidien et de leurs foyers. Beaucoup découvriront pour la première fois un monde différent, au-delà de leur environnement immédiat ; ce monde leur tend les bras. Ils verront que des initiatives, des atouts, des perspectives existent dans des territoires souvent éloignés du leur, initiatives dont ils n'ont pas forcément connaissance parce qu'il y a encore une « assignation à résidence » dans notre pays : de nombreux jeunes ignorent les opportunités qui existent un peu partout en France. Cette phase de cohésion et ce creuset républicain doivent ouvrir les jeunes les uns aux autres et transmettre un socle de valeurs communes afin de forger une société de la résilience, qui efface les fractures présentes, au sein d'une jeunesse marquée par les attentats de 2015 et qui ne demande qu'à s'engager, qui veut aider son prochain - dès lors qu'elle sait comment le faire, et qu'elle a été formée pour le faire. Nous voyons cette soif d'engagement, notamment à travers des mobilisations pour le climat, mais la jeunesse peine à trouver les voies de l'engagement. Tel est l'objectif du SNU.

Cette jeunesse est marquée encore par un très fort taux de décrochage scolaire. Même si nous travaillons à chaque étape de la scolarisation pour réduire ce décrochage - dédoublement des classes en éducation prioritaire (REP et REP+), dispositif « devoirs faits » avec l'aide aux devoirs pour tous les collégiens, extension de l'obligation de formation de 16 à 18 ans, plan d'investissement dans les compétences pour apporter les moyens nécessaires à la formation de tous les jeunes. Le SNU sera une brique supplémentaire dans cette politique, afin qu'aucun jeune ne sorte de la phase obligatoire du SNU sans avoir non pas une perspective d'insertion toute tracée - ce serait un peu ambitieux - mais un interlocuteur et une voie qui commence à se dessiner. Les NEET (Not in Education, Employment or Training), ces jeunes sans formation, sans emploi ni diplôme sont près de trois millions en France, et 100 000 jeunes chaque année alourdissent ce contingent. Après la phase de cohésion, ils seront appelés à effectuer une mission d'intérêt général de deux semaines, soit 84 heures, perlées sur une année scolaire, auprès d'une association, une collectivité, d'une structure publique ou d'un corps en uniforme comme les sapeurs-pompiers. L'engagement est toujours volontaire, mais encore faut-il qu'il soit éclairé. Chaque jeune doit savoir qu'il a quelque chose à apporter, chacun dans son domaine et à son niveau. À l'issue de ce bloc commun obligatoire de deux fois quinze jours, une phase volontaire autour d'un engagement de trois à douze mois sera proposée aux jeunes qui le souhaitent.

J'ai annoncé à la mi-janvier une expérimentation dans treize départements, dont un ultramarin, qui seront préfigurateurs en juin prochain : les Ardennes, le Cher, la Creuse, l'Eure, la Guyane, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Saône, la Loire-Atlantique, le Morbihan, le Nord, le Puy-de-Dôme, le Val-d Oise et le Vaucluse. M'étant rendu dans chacun d'eux, j'ai une visibilité d'ensemble sur la déclinaison territoriale du SNU. Malgré les délais restreints, chaque département a trouvé un lieu d'hébergement disponible entre le 16 et le 30 juin 2019 pour accueillir entre 150 et 200 jeunes. Le personnel encadrant est en cours de recrutement. Les chefs de centre et leurs adjoints, identifiés, seront formés à partir de fin mars.

Mi-février, j'ai lancé un concours dans treize lycées professionnels pour trouver l'uniforme, ou plutôt la tenue commune des jeunes. Il m'a semblé important de m'appuyer sur le savoir-faire de nos jeunes en lycée professionnel, notamment dans les filières mode et design, pour imaginer cette tenue commune, avec un cahier des charges précis : les couleurs tricolores, les symboles de la République, la devise républicaine... Fin mars, un jury de quatre personnes sélectionnera la tenue commune : le général Benoît Puga, ancien chef d'État-major particulier des présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande, actuellement grand chancelier de la Légion d'honneur ; Marie Trellu-Kane, fondatrice d'Unis-Cité, précurseur du service civique ; Simon Porte Jacquemus, jeune créateur français qui s'impose sur la scène internationale comme la relève des créateurs de mode ; et une jeune élue du Conseil national de la vie lycéenne scolarisée à Angers.

J'ai lancé hier, en compagnie de Sébastien Lecornu et de Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État aux armées, la plateforme de recrutement qui centralisera le recrutement pour l'ensemble des départements choisis. Au vu de mes déplacements, j'ai pu mesurer l'attente, même s'il est trop tôt pour disposer de chiffres. La plateforme numérique reçoit énormément de connexions depuis hier. Les préfets et les recteurs m'ont informé de nombreuses candidatures spontanées avant même le lancement de la phase de recrutement. Nous aurons probablement beaucoup plus de mal à gérer les frustrations de ceux qui n'auront pu être retenus qu'à recruter des volontaires pour cette expérimentation.

Les cohortes de volontaires appelés en juin devront être représentatifs de la diversité de la jeunesse française, afin d'éviter tout biais social, culturel ou géographique - certains jeunes ayant davantage accès à l'information. Si besoin, nous irons chercher des volontaires dans chaque catégorie. Chaque département a cartographié sa jeunesse - nombre d'apprentis, de décrocheurs, de jeunes en situation de handicap, de jeunes scolarisés... Nous travaillons avec les missions locales et le réseau information jeunesse.

Cette phase pilote testera notre organisation et nos objectifs en étant pragmatique et économe en moyens. À terme, 800 000 jeunes seront concernés. La phase pilote, qui concernera 2 000 à 3 000 jeunes, coûtera environ quatre millions d'euros. Il n'était pas utile de créer une ligne budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2019. À partir de 2020, un programme budgétaire spécifique sera prévu pour sa montée en puissance.

En 2019, ces quatre millions d'euros seront des crédits compensés en fin de gestion sur le programme 124 pour la masse salariale et sur le programme 163 pour les autres crédits - hébergement, activités, transport... Ces programmes sont gérés par le ministère de la jeunesse.

Une phase pilote suppose aussi une évaluation. Au terme de cette phase de cohésion, un premier bilan sera effectué. Le taux d'encadrement de l'expérimentation est très élevé - un encadrant pour cinq jeunes, contre un pour douze voire quatorze mineurs dans les accueils collectifs de mineurs classiques. Nous évaluerons l'utilité de maintenir ou d'adapter ce ratio. Nous établirons un bilan sur l'organisation pratique. À ce stade, il est assez compliqué d'établir une évaluation budgétaire du dispositif en rythme de croisière, dès lors qu'un certain nombre de décisions importantes seront prises à l'issue de la phase pilote, et qu'elles conditionneront cette évaluation. Au vu des projections, nous serons bien en-deçà de 1,5 milliard d'euros. Les évaluations jusqu'à 7 voire 10 milliards d'euros se fondaient sur la construction de centres dédiés pour accueillir des jeunes en hébergement collectif - cela ne sera pas nécessaire.

Les arbitrages pour le calendrier de montée en puissance seront effectués à l'issue de cette phase pilote. Le rapport du général Menaouine préconise une mise en place jusqu'en 2026. Lors de ma nomination, j'ai souhaité qu'on puisse, si possible, aller plus rapidement. Nous sommes en train d'évaluer cette possibilité.

Je suis à la disposition du Parlement pour répondre à vos questions. De nombreux élus et sénateurs sont membres des comités de pilotage départementaux dans les treize départements pilotes, pilotés par le préfet, le recteur et le délégué militaire départemental.

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