Intervention de Didier Mandelli

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 6 mars 2019 à 9h00
Projet de loi modifié par lettre rectificative d'orientation des mobilités — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli, rapporteur :

Le présent projet de loi a été déposé par le Gouvernement sur le bureau du Sénat le 26 novembre dernier. Le texte a depuis subi divers aléas. Annoncé depuis les Assises de la mobilité de 2017, il aura mis un an à voir le jour, après être passé par moult versions, de la première qui comprenait plus de 200 articles à la dernière qui n'en comporte plus que cinquante. Le calendrier de son examen a également été mouvant puisqu'il a été repoussé en raison de la crise dite des gilets jaunes et du lancement du grand débat national, dont les conclusions, connues dans le courant du mois de mars, pourraient contenir des dispositions nouvelles concernant le secteur des transports. Je vous propose que nous ne nous privions pas de les devancer, voire de faire émerger des solutions et d'ouvrir des débats. Le Sénat est la première assemblée saisie sur ce texte important. Espérons que le Gouvernement concrétisera cette marque de confiance en reprenant un grand nombre de nos propositions.

J'ai conduit mes travaux dans un état d'esprit très ouvert, constructif et exigeant. Nous sommes nombreux à partager cet état d'esprit puisqu'un grand nombre d'entre vous ont participé à la centaine d'auditions que j'ai menées. Vous êtes tous désireux de faire avancer les choses sur le sujet essentiel des mobilités. Confrontés aux mêmes difficultés dans vos territoires, vous considérez ce texte comme une opportunité pour ne pas manquer ce que d'aucuns appellent « la révolution des mobilités ».

Parmi les enjeux essentiels du projet de loi, le principal me semble être l'existence de « zones blanches de la mobilité », expliquant les fractures territoriales qui traversent notre pays. Ces inégalités sont creusées - voire créées - par des systèmes et des politiques de transports contribuant, depuis des années, à élargir le fossé entre les habitants des métropoles et des centres urbains, connectés et efficacement reliés aux pôles économiques et sociaux du territoire, et les habitants exclus de l'accès aux réseaux et aux offres de transports. Alors que le besoin de mobilité n'a jamais été si fort, des millions de Français n'ont pas accès à une offre variée de transports du quotidien. Ils sont condamnés à recourir à la voiture individuelle.

Le projet de loi recouvre d'autres enjeux, comme le bouleversement des usages, qui emporte des défis environnementaux, économiques et industriels, et l'irruption du numérique qui a des conséquences tant sur les offres de transports que sur la demande et pose des questions juridiques complexes en lien avec le droit de l'Union européenne. Je salue à cet égard le travail de notre collègue Benoît Huré, rapporteur pour la commission des affaires européennes, en vue de formuler des observations sur la transposition du droit européen dans le projet de loi. Nous avons tâché d'en tenir compte et de nous appuyer sur ses conclusions autant que possible ; qu'il n'hésite pas à apporter tous les compléments nécessaires de ce point de vue.

Je salue aussi notre collègue rapporteure pour avis de la commission des lois, Françoise Gatel, avec qui, vous le verrez, nous avons étroitement travaillé sur les sujets de gouvernance, d'ouverture des données et de sécurité dans les transports.

Les défis auxquels se trouve confronté le secteur des transports se résument en une équation simple à énoncer, mais difficile à résoudre : comment faire pour que la révolution des mobilités ne constitue pas une nouvelle machine à créer des gagnants et des perdants, mais au contraire, une opportunité pour « désenclaver » ?

Les attentes étaient élevées à la fin des Assises de la mobilité ; l'ambition affichée par le projet de loi l'est tout autant. Plus de trente-cinq ans après la loi du 30 décembre 1982 d`orientation des transports intérieurs (LOTI) et dix ans après le Grenelle de l'environnement, le Gouvernement entend sortir des écueils du passé. Il souhaite en finir avec les incantations, les objectifs irréalistes et les promesses non financées. Nous le souhaitons tous et attendons des réformes financées, des engagements crédibles et des actes. L'ambition est louable, mais qu'en est-il vraiment ?

Sur la forme, il convient de saluer la concertation qui a précédé et accompagné la rédaction de ce projet de loi. Tous les acteurs l'ont dit : ils ont été associés, écoutés - bien que pas toujours entendus - et consultés. Ce texte ne sort pas des tiroirs de l'administration, mais s'appuie bel et bien sur les conclusions des Assises et sur les propositions concrètes des acteurs de terrain. En revanche, tous ont exprimé une forme de déception quant à l'amaigrissement considérable du projet de loi au fur et à mesure des versions, traduisant bien souvent des renoncements et des « coups de rabot » portés à l'ambition initiale. Il en résulte un texte qui s'apparente à une succession de mesures disparates, à un « inventaire à la Prévert » de dispositions souvent utiles mais s'arrêtant parfois au milieu du gué ou ne s'inscrivant pas dans une véritable vision des mobilités de demain.

Nous ne pouvons également que regretter les faiblesses de l'étude d'impact, trop peu détaillée sur un grand nombre d'articles. Elle ne permet pas une bonne information du Parlement sur les conséquences et les retombées juridiques des réformes proposées. Je m'interroge, en outre, sur le bien-fondé de la démarche du ministère qui a recouru à des consultants et à des cabinets de conseil pour la rédiger, alors que cette tâche relève d'une obligation constitutionnelle.

Le texte comporte cinquante articles et un rapport annexé détaillant la programmation financière des investissements de l'État dans les infrastructures de transports dans les dix prochaines années. Il en comportait quarante-quatre encore jusqu'à il y a quinze jours, mais une lettre rectificative du Gouvernement, déposée le 20 février, en a ajouté six. Cinq d'entre eux reprennent les dispositions relatives au secteur des transports ferroviaires du projet de loi portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français, adopté par le Sénat le 7 novembre 2018 et transmis à l'Assemblée nationale, sans avoir encore été inscrit à l'ordre du jour. Notre collègue Marta de Cidrac en était rapporteure pour la commission spéciale au Sénat. Je vous proposerai, avec son accord, de reprendre les trois modifications rédactionnelles qu'elle avait portées. Le dernier article ajouté prolonge l'habilitation du Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour sécuriser la convention de branche en cas d'échec ou de retard de négociations entre les partenaires sociaux dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs et de la fin du recrutement au statut de cheminot.

Le projet de loi comprend onze articles demandant des habilitations à légiférer par voie d'ordonnance, sans que le Gouvernement soit toujours à même de fournir des éléments précis sur les réformes envisagées. Autant que possible, je vous proposerai de raccourcir les délais ou de préciser le champ de ces habilitations, comme sur les véhicules autonomes. Je serai également favorable à la suppression de l'habilitation sur le sujet des véhicules connectés proposée par la commission des lois.

Le texte aborde un grand nombre de sujets regroupés au sein de cinq titres relatifs à l'organisation territoriale des mobilités, au cadre juridique applicable aux nouvelles mobilités, à la réduction de l'impact de la mobilité sur l'environnement et la santé publique, à la programmation des investissements de l'État dans les infrastructures de transports et à des mesures de simplification, soit des dispositions portant sur la sécurité des mobilités, la compétitivité du transport de fret maritime et fluvial français, les réseaux d'infrastructures de transport, la Caisse nationale de garantie des ouvriers dockers ou encore les drones.

Au cours de mes travaux, il m'est apparu que le projet de loi comportait en réalité deux dimensions bien distinctes, sur lesquelles le regard que je vous propose de porter est très contrasté. Un premier volet - qui constitue la quasi-intégralité du texte - comporte des dispositions de loi ordinaires sur lesquelles je vous proposerai un certain nombre de modifications ou d'ajouts, mais qui vont globalement dans le sens d'une amélioration des mobilités sur les territoires. Un second volet, comprenant la programmation financière et opérationnelle des investissements de l'État dans le secteur des transports, pose en revanche problème. En effet, il ne peut conduire, d'une part, qu'à une large déception quant au niveau retenu pour cette trajectoire financière, qui se situe bien en-deçà du scénario central proposé par le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) dans son rapport de février 2018 et qui nécessitait un investissement de l'État à hauteur de trois milliards d'euros par an et, d'autre part, à une profonde inquiétude quant à la sincérité et à la crédibilité de cette programmation.

Il me semble que l'absence de financement réaliste et clairement identifié porte atteinte à la crédibilité de la réforme. En effet, la trajectoire des dépenses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) fixée par le projet de loi, au rabais par rapport au scénario 2 que j'évoquais, repose sur des recettes pour le moins incertaines : la part de recettes des amendes radars paraît largement surévaluée et celles provenant de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) devraient, selon les informations qui m'ont été transmises, diminuer pour passer de 1,2 milliard d'euros en 2019 à 526 millions d'euros en 2022. Ce recul annoncé paraît d'autant plus scandaleux que l'augmentation de la TICPE, actée en 2014 pour abonder l'Afitf et financée par une augmentation du prix à la pompe pour les véhicules légers et les poids lourds, n'a pas à l'origine vocation à abonder le budget général, mais le financement de la remise en état de nos infrastructures.

Sur le volet programmatique, j'ai fait le choix de ne pas augmenter artificiellement les dépenses au niveau du scénario 2, afin de privilégier la crédibilité et la garantie de ressources permettant déjà de financer la trajectoire prévue. Je vous proposerai ainsi de prévoir, dans le rapport annexé, une sécurisation des ressources de l'Afitf et une affectation intégrale de l'augmentation de TICPE votée en 2014 pour compenser l'abandon de l'écotaxe. Enfin, je vous proposerai de soumettre cette programmation au contrôle du Parlement, éclairé par les travaux du COI, pérennisé dans la loi.

J'ai également choisi de ne pas faire figurer la liste des projets d'infrastructures dans le corps du projet de loi ou du rapport annexé, afin de respecter une logique de moyens plutôt que de céder à la tentation de promesses non financées. Je vous proposerai, en revanche, de prévoir qu'aucun projet ne doit être abandonné et que la programmation doit s'inscrire dans une logique de réévaluation quinquennale avec, à terme, l'objectif de répondre aux calendriers ambitieux prévus par le scénario 3.

En ce qui concerne la partie « loi ordinaire », je vous proposerai de donner aux collectivités territoriales - notamment les plus rurales - les moyens que le projet de loi ne prévoit pas pour organiser les services de mobilité : une extension du versement mobilité aux collectivités n'organisant pas de services réguliers, l'attribution d'une partie du produit de la TICPE aux territoires ruraux dont les ressources seraient insuffisantes et le fléchage des certificats d'économie d'énergie vers la mobilité propre.

S'agissant de la gouvernance, nous devons nous appuyer sur l'intelligence des territoires en garantissant souplesse et sécurité pour les acteurs, en particulier les collectivités territoriales. Je vous proposerai notamment, en accord avec la commission des lois, d'allonger le délai donné aux communes pour décider du transfert de la compétence d'organisation des mobilités aux communautés de communes ainsi que celui laissé aux AOM pour élaborer leur plan de mobilité. Nous pourrions également prévoir un nouveau cas de réversibilité pour les communautés de communes souhaitant récupérer la compétence, en commun accord avec la région. Je vous proposerai également de renforcer la coordination et la concertation entre les AOM, notamment via la réintroduction des contrats opérationnels de mobilité.

Concernant les nouvelles mobilités, le développement rapide des services de free floating pose diverses difficultés en termes de régulation, de sécurité et de tranquillité publique. Je souhaite permettre aux collectivités territoriales de soumettre ces services à des prescriptions particulières via un régime d'autorisation préalable. Il faut trouver un équilibre pour ne pas entraver le développement de ces nouveaux services tout en apportant aux collectivités le cadre juridique sécurisant qu'elles réclament légitimement.

Il m'apparaît, en outre, utile de définir l'activité de co-transportage de colis, de renforcer le contrôle de l'activité des vélotaxis, de permettre aux communes de mettre en place une tarification de stationnement spécifique pour les personnes en situation de vulnérabilité économique et sociale ou dont la mobilité est réduite et à la police municipale d'exercer un contrôle automatisé des voies de circulation réservées. Enfin, plusieurs amendements visent à assouplir les contraintes afférentes à la mise en place, par les collectivités territoriales, des zones à faibles émissions. Il me semble également important de pouvoir ouvrir les données nécessaires à l'information du voyageur dans des conditions équilibrées pour les opérateurs.

Je vous soumettrai aussi des propositions visant à développer l'offre de mobilité dans les zones peu denses en favorisant la constitution de « Maas » locaux, en précisant l'habilitation relative aux expérimentations de solutions de mobilité innovantes dans les zones peu denses, en modulant la prise en charge du tarif de raccordement des bornes de recharge électrique ouvertes au public pour aider davantage les zones peu couvertes et en améliorant le dispositif du forfait mobilités durables.

Afin d'encourager les modes de transports peu polluants pour lutter contre la pollution atmosphérique, mes propositions visent à favoriser le covoiturage, l'auto-partage et le développement des véhicules à faibles émissions, ainsi que la pratique du vélo et de la marche, notamment via un volet dédié aux itinéraires piétons et cyclables dans les plans de mobilité, un renforcement des possibilités de prévoir des stationnements dédiés aux abords des gares, ou encore l'adoption d'un schéma national des véloroutes et voies vertes.

Sur le volet du texte consacré à la sécurité routière et à la sûreté dans les transports, je vous proposerai de mieux concilier la protection des usagers, la répression des comportements à risque et la protection des droits et libertés. Un amendement renforce, en outre, la visibilité sur les passages piétons et favorise les modes de transports peu polluants. S'agissant de la sûreté dans les transports collectifs de personnes, je souhaite consolider et sécuriser les dispositions prévues en matière de recherche de matières explosives et de sécurisation des réseaux souterrains et de surface. Nous devons laisser le choix à Île-de-France Mobilités de recourir à un autre prestataire que le groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR) s'agissant des réseaux de surface, tout en permettant aux exploitants des services de transport de surface de commander directement des prestations au GPSR. Nous pourrions également prévoir un contrôle de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) sur la tarification de ces activités et sécuriser les évolutions juridiques relatives à la RATP dans le cadre de l'ouverture à la concurrence.

Enfin, concernant les secteurs maritime et fluvial, j'aimerais renforcer la compétitivité des grands ports maritimes, accompagner les collectivités territoriales face aux enjeux de la construction du canal Seine-Nord Europe, donner des outils de programmation à Voies navigables de France (VNF) et soutenir l'innovation via une expérimentation pour les bateaux autonomes.

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