Intervention de Benoît Huré

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 6 mars 2019 à 9h00
Projet de loi modifié par lettre rectificative d'orientation des mobilités — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Benoît HuréBenoît Huré, au nom de la commission des affaires européennes :

La Conférence des présidents a demandé, à titre expérimental, à la commission des affaires européennes de formuler des observations sur les projets ou propositions de loi contenant des dispositions permettant l`intégration du droit européen en droit français. Cette démarche s`inscrit dans la problématique générale de lutte contre la sur-transposition. Elle est ici mise en oeuvre pour la cinquième fois sur le projet de loi d`orientation des mobilités.

Il s`agit de vérifier que toute sur-transposition est identifiée et justifiée. En effet, à partir du moment où une norme européenne s`impose dans tous les États membres de l`Union européenne, il n`y a en principe pas lieu d`y ajouter des contraintes nationales supplémentaires. Cette approche permet plus de lisibilité pour nos concitoyens et moins de distorsions de concurrence pour nos entreprises. Nous nous inscrivons ainsi pleinement dans les objectifs du Conseil national d`évaluation des normes que préside Alain Lambert, ancien ministre du budget et ancien sénateur. Il déplorait ainsi les conséquences de la dérive normative qui caractérise notre pays : « En dix ans, le Conseil national d`évaluation des normes a examiné 3 000 textes. Leur coût global atteint près de 15 milliards d`euros pour les collectivités locales. J`affirme que ces 15 milliards auraient pu être économisés ». Par ailleurs, j`imagine que les entreprises ont eu à assumer des dépenses similaires, plombant ainsi leur compétitivité. Un président d`exécutif de mon département, excédé par les conséquences financières de l`application restrictive, voire abusive, d`une norme a assuré au préfet de l`époque : « des points de croissance dorment dans les parapheurs de l`administration française ».

Le projet de loi d`orientation des mobilités est centré sur les transports, et plus particulièrement les transports routiers, domaine fortement marqué par le droit européen. Les transports représentent, en effet, une des dimensions essentielles du marché intérieur en tant qu'ils constituent le support nécessaire de la libre circulation des personnes et des marchandises. La politique européenne des transports entend faciliter les déplacements. Elle organise, à cette fin, la coordination et la connectivité des différents modes de transports, définit des exigences de sécurité et comporte une dimension environnementale forte, qui se traduit par des objectifs exigeants en matière de performance énergétique pour décarboner le secteur. En novembre 2017 et mai 2018, la Commission européenne a présenté un nouveau « Paquet mobilité » particulièrement substantiel, qui entend progresser dans ces trois directions. Les discussions sont d`ores et déjà bien avancées sur un grand nombre de ces textes qui pourraient être adoptés avant les élections européennes.

Le projet de loi s`inscrit donc dans ce cadre européen, dont il met en oeuvre un certain nombre de prescriptions. Il prévoit notamment les mesures d`application de plusieurs règlements européens sur lesquels, par définition, existent peu de marges de manoeuvre pour les États membres. Une illustration en est donnée à l`article 9, qui définit les modalités d`accès aux données des services de transports pour permettre la mise en place de services destinés à informer les usagers des différents modes de transports disponibles pour rejoindre une destination. Cet article reprend une faculté ouverte par le règlement délégué n° 2017/1926 pour prévoir que la réutilisation de ces données en grandes quantités peut être soumise au paiement d`une redevance dans les conditions prévues par ledit règlement. L`article 23 reprend également les dérogations prévues par la directive de 2010 modifiée en matière de pré-équipement des parcs de stationnement rattachés à des immeubles pour permettre l`installation de bornes de recharge des véhicules électriques. L`article 9 va toutefois au-delà des obligations imposées par le règlement délégué, tout en s`inscrivant dans sa logique. En effet, il prévoit l`ouverture, non seulement des données statiques, mais également des données dynamiques qui permettent de connaître l`état du trafic en temps réel. L`inclusion de ces données n`est pas une obligation européenne, mais le considérant 12 du règlement délégué en fait mention et précise qu`elle doit alors porter sur les informations énumérées dans son annexe. De même, l`article 9 inclut la localisation des véhicules disponibles sans bornes dans les données qui doivent être mises à disposition. Enfin, il anticipe de deux ans la date d`ouverture des données par rapport à l`échéance fixée par le règlement délégué.

À l`exception de cet article, le projet de loi comporte peu de mesures qualifiables de sur-transpositions. Nous pouvons toutefois considérer comme telles les obligations d`aménagement de places de stationnement pour les véhicules électriques des personnes handicapées ou la collecte et la mise à disposition de données pour faciliter les déplacements des personnes à mobilité réduite. Mais il s`agit ici de sur-transpositions assumées !

Plusieurs règlements encadrent les émissions de CO2 et de particules par les véhicules routiers, les engins à moteur non routiers et les navires de transport maritime. Ils confient aux États membres le soin de surveiller le respect des règles fixées et de mettre en place un suivi comportant la possibilité de prendre des mesures conservatoires et d`infliger des sanctions en cas de manquement. Le projet de loi renvoie à des ordonnances le soin de désigner les services compétents et de fixer le niveau des sanctions, mais ni l`habilitation ni l`étude d`impact ne donnent d`indications sur ce qui est envisagé. Cette situation est d`autant moins satisfaisante que le dispositif applicable aux véhicules à moteur non routiers aurait dû être notifié le 7 octobre dernier !

Je souhaiterais par ailleurs attirer votre attention sur les dispositions du projet de loi autorisant l`accès à des données à caractère personnel en cas d`accident, à partir du système eCall embarqué ou pour la surveillance des données d`environnement des véhicules routiers connectés. Le texte européen fait explicitement référence au Règlement général sur la protection des données (RGDP) et à la directive sur la protection des données dans le secteur des communications électroniques. Une rigueur et une vigilance particulières devront accompagner l`extraction, l`utilisation, le traitement et la conservation de ces données par les personnes autorisées.

J'observe que la lettre rectificative déposée par le Gouvernement ajoute un article reprenant cinq dispositions qui figurent dans le projet de loi portant suppression de sur-transpositions, adopté par le Sénat le 7 novembre dernier. Il s`agit d`exploiter trois dérogations ouvertes par la directive de 2012 établissant un espace ferroviaire unique et de procéder à une mise en conformité. La démarche peut surprendre, mais elle va dans le bon sens !

Je souhaite enfin rappeler que la sur-transposition n'est pas seulement le fait de l'administration : le Parlement alimente également cette dérive en adoptant fréquemment des mesures contraignantes et coûteuses au regard de leur utilité. Je souhaiterais donc, sur le présent texte, un peu de sobriété dans la production d'amendements en commission comme en séance ; ils allongent inutilement les débats et réduisent quelquefois les ambitions, sans doute pour nourrir les statistiques d'activité... À défaut de sobriété, la commission des affaires européennes pourrait être amenée à reconsidérer son analyse.

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