Intervention de Elisabeth Borne

Réunion du 7 mars 2019 à 15h00
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes — Rejet d'une proposition de loi

Elisabeth Borne :

Historiquement, les sections à péage étaient loin des agglomérations ; elles servaient essentiellement aux trajets occasionnels des particuliers et au transport de marchandises sur de longues distances.

Or, du fait de l’extension des agglomérations et des changements des modes de vie, on constate que beaucoup de Français sont aujourd’hui amenés à utiliser l’autoroute pour leurs déplacements quotidiens. Cela pose notamment la question de l’acceptabilité de ce modèle d’autoroute à péage pour ce type de trajets.

Dans le même temps, le modèle d’une infrastructure financée entièrement par l’usager a un avantage dans un contexte où l’acceptabilité de l’impôt est, elle aussi, discutée.

Parlons à présent de la privatisation des sociétés d’autoroutes survenue en 2005.

Cette décision conduisait, par nature, à priver l’État des dividendes qui étaient jusque-là affectés aux investissements dans les infrastructures de transport. On peut s’étonner que cette évolution fondamentale n’ait pas été précédée de la révision de contrats qui, contrairement à ce que l’on observe généralement pour ce qu’on appelle les « actifs régulés » et notamment, en France, pour les aéroports, ne font pas l’objet d’un recalage périodique entre l’autorité concédante et le concessionnaire.

Ces contrats conclus entre l’État et des sociétés d’économie mixte qu’il contrôlait alors régissent désormais ses relations avec des sociétés cotées, dont la logique est nécessairement différente.

Je crois que le déséquilibre dans les relations entre l’État et les concessionnaires d’autoroutes vient de là ; cela explique les questions récurrentes sur les relations entre l’État et les concessionnaires.

Cela dit, ce modèle a tout de même évolué, en particulier par l’accroissement de sa transparence à la suite, notamment, des travaux de l’Autorité de la concurrence.

S’agissant de la transparence des relations contractuelles entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, il convient de rappeler que la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques est venue imposer la mise à la disposition du public par voie électronique des contrats autoroutiers.

Par ailleurs, depuis 2016, l’Arafer, autorité de régulation sectorielle strictement indépendante, rend des avis publics sur les projets de nouveaux contrats de concession, mais aussi sur tous les projets d’avenants ayant une incidence sur les tarifs de péage.

La Commission européenne, quant à elle, contrôle les renégociations de contrats ayant pour objet l’allongement de la concession, afin de s’assurer du respect du droit communautaire de la concurrence et de la commande publique.

Le Parlement a également vu ses moyens de contrôle, d’évaluation et d’information considérablement renforcés. Depuis l’intervention qu’a représentée la loi du 6 août 2015 précitée, c’est ainsi au législateur qu’il revient d’autoriser l’allongement de la durée des contrats de concession.

Par ailleurs, depuis 2009, le Parlement est chaque année destinataire d’un rapport sur l’exécution et le contrôle des contrats de concession d’autoroutes et d’ouvrages d’art, mais aussi d’un rapport sur l’évolution des péages pour chaque exploitant autoroutier.

Il convient de souligner que, à la suite de la crise de 2015, s’est opéré un rééquilibrage des relations entre l’État et les sociétés concessionnaires.

En effet, un dispositif limitant les surprofits a été introduit, autant que c’était possible, dans les contrats historiques : en cas de surperformance économique sur la période d’allongement du contrat, les tarifs de péages sont revus à la baisse, ou la durée de la concession est réduite.

L’État peut également récupérer l’avantage financier résultant des décalages constatés dans l’échéancier réel des investissements liés aux nouvelles opérations au regard de l’échéancier d’investissements contractualisé.

Par ailleurs, des mécanismes d’incitation à la performance sont désormais prévus. Une liste d’indicateurs a notamment été établie : leur non-respect par les sociétés concessionnaires donne lieu à l’application de pénalités financières.

Enfin, la loi du 6 août 2015 a créé l’Arafer, qui dispose d’un pouvoir de contrôle et de sanction de l’activité des concessionnaires.

Ces éléments ont conduit, ces dernières années, à un certain rééquilibrage des relations entre l’État et les concessionnaires d’autoroutes.

S’agissant du protocole de 2015, monsieur le rapporteur, je crois que vous avez vous-même répondu à votre question relative à la communicabilité de ce protocole transactionnel : elle sera prochainement tranchée par le Conseil d’État. Au demeurant, les dispositions que ce protocole contient ont depuis lors été transcrites dans les contrats de concession, qui sont eux-mêmes publics.

J’ajouterai enfin que la remise de 30 % accordée aux usagers réguliers ayant souscrit un abonnement, dont j’ai obtenu la mise en place après d’intenses négociations, constitue une première. Sa mise en œuvre s’effectue, en effet, sous la seule responsabilité de la société concessionnaire, sans aucune compensation, que ce soit par l’État ou par les usagers, aujourd’hui ou demain.

Je voudrais conclure sur ce point : demander aux sociétés concessionnaires de prendre leurs responsabilités était la seule voie. En effet, du fait des conditions de la privatisation que j’ai évoquée, l’État ne peut ni modifier l’équilibre du contrat avant son terme ni en changer la nature sans compensation. Je l’ai déjà dit : racheter les concessions ne me semble pas être une option. La priorité était de rééquilibrer les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires.

Enfin, comme je l’ai mentionné précédemment, les concessions d’autoroutes arriveront à leur terme dans une dizaine d’années, pour les premières d’entre elles. La question de savoir quel modèle l’État choisira pour la suite se posera donc prochainement. Si le choix de nouvelles concessions doit être fait, il faudra alors veiller à ce que les contrats soient équilibrés. L’État pourrait aussi bien évidemment choisir de gérer lui-même son réseau autoroutier.

La situation actuelle n’est pas idéale, mais je crois qu’il faut tout faire pour l’améliorer et, surtout, penser à l’avenir. En tout cas, ce n’est pas en rachetant aujourd’hui les concessions que le financement de nos transports et l’entretien de nos infrastructures se porteront mieux.

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