Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je n’aurai pas recours à la facilité qui consiste à considérer le Premier ministre d’alors comme seul responsable de la situation qui est évoquée devant notre assemblée aujourd’hui.
Pour autant, il nous faut bien reconnaître que, si les gouvernements successifs ont eu à cœur d’améliorer la performance de l’achat public, en revanche, durant cette période, l’État s’est révélé être un bien mauvais négociateur ; j’emploie ce terme plutôt que de parler de vendeur, puisqu’il s’agit de concessions.
S’il en fallait une illustration, la privatisation des concessions autoroutières en serait sans doute la plus patente. J’en veux pour preuve le rapport de la Cour des comptes. Elle estimait que, si la privatisation des autoroutes avait rapporté une recette de 14, 8 milliards d’euros, il ne manquait alors pas moins de 10 milliards d’euros pour que cette opération puisse être considérée comme ayant été réalisée au juste prix.
De plus, les conditions dans lesquelles cette privatisation s’est opérée n’ont pas permis d’éviter que se constitue ce que d’aucuns qualifient – je ne suis pas loin de le penser également – de « rente » pour les sociétés concernées. Pire encore, ces dernières ont été incapables de protéger les intérêts légitimes des usagers, dont on sait que le recours à ces infrastructures s’est fortement accru ces dernières années.
Ces rentrées d’argent vous auraient sans doute été très utiles, madame la ministre, à l’heure où vous défendez l’objectif d’une grande politique d’infrastructures et de mobilités. Il nous faut constater à grand regret que le projet de loi qui sera examiné dans cet hémicycle à partir du 19 mars prochain manque cruellement de moyens pour réaliser une ambition pourtant partagée.
Revenons-en à la proposition de loi de nos collègues. Si son article 1er a le mérite de reprendre, de manière exhaustive, les sociétés concessionnaires d’autoroutes, il ne rend que d’autant plus ardues, voire hypothétiques, les chances de faire aboutir une nouvelle fois cette proposition.
En effet, dans une période où les urgences sont inversement proportionnelles aux moyens dont dispose l’État, et alors que toutes les pistes visant à améliorer les recettes de celui-ci sont en proie à une contestation de plus en plus grande de la part de nos concitoyens, on ne peut imaginer que l’État soit en mesure de mobiliser les 45 milliards d’euros nécessaires à l’aboutissement néanmoins souhaitable de cette proposition de loi.
Madame la ministre, nous sommes les représentants des territoires : celles et ceux qui nous élisent sont rompus à l’exercice des mandats locaux. Chaque année, ils font adopter un budget équilibré et sincère, comme l’exige la loi. Chaque année, dans la conduite des politiques publiques dont ils ont la charge, il leur arrive de procéder à des délégations de service public, voire à des cessions de biens immobiliers. Ils y parviennent, sans jamais procéder à un appauvrissement volontaire de la collectivité dont ils ont la charge. Cela devrait inspirer le gouvernement auquel vous appartenez, à l’heure où il propose la privatisation d’Aéroports de Paris.
Si nulle économie collectiviste n’a fait la démonstration qu’elle était de nature à accompagner le développement personnel et collectif d’un pays, l’économie libérale, voire néolibérale, est tout aussi indigente ! Peut-être les excès de l’une et de l’autre permettront-ils de tirer les enseignements qui nous amèneront à légiférer différemment à l’avenir.
À l’heure du grand débat national, il ne m’apparaît pas saugrenu de définir avec précision les politiques stratégiques qui ne peuvent ni ne doivent échapper au contrôle de la puissance publique, c’est-à-dire de la Nation tout entière, par le biais de ses représentants.
Vous le voyez, mes chers collègues : bien que nous soyons conscients de la pertinence de la question posée au travers de cette proposition de loi, les conditions dans lesquelles la privatisation s’est opérée, les protections juridiques qu’offrent les contrats, ainsi que les montants d’indemnisation que nécessiterait un retour dans la sphère publique de ces autoroutes nous conduisent à nous abstenir sur ce texte.
Pour autant, il nous apparaît impératif que l’État conserve les ingénieries administratives, juridiques et financières nécessaires pour que nous puissions mettre à profit la décennie qui nous sépare du terme des concessions afin de préparer au mieux le retour à une gestion par l’État de ces grandes infrastructures.
Si, d’aventure, les données économiques s’amélioraient dans de telles proportions qu’il nous soit possible d’anticiper 2031, alors, mes chers collègues, je ne doute pas que nous puissions être amenés à voter favorablement la troisième proposition de loi que déposeraient alors nos collègues du groupe CRCE !