Intervention de Jean-Pierre Decool

Réunion du 7 mars 2019 à 15h00
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre DecoolJean-Pierre Decool :

La France doit-elle s’endetter plus encore ? L’article 3 prévoit une augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés. C’est évidemment inenvisageable et fantaisiste depuis l’adoption de la loi de finances pour 2018 qui prévoit sa baisse progressive, ce dont, bien entendu, nous nous félicitons.

Le Gouvernement est par ailleurs engagé dans un grand et beau chantier : le fameux projet de loi d’orientation des mobilités, dit LOM. Dans une dizaine de jours, nous aurons un débat en séance publique, qui traitera notamment des autoroutes et des projets d’infrastructures, mais pas de leur mode de gestion, ce que nous regrettons. Ce débat est opportun non pas aujourd’hui et pour demain, mais demain pour dans quinze ou vingt ans, lorsque les concessions arriveront progressivement à leur terme.

Il faut bien l’admettre : la privatisation n’est pas la meilleure idée que nous ayons eue il y a treize ans, non seulement parce que le prix des cessions a largement été sous-estimé selon le rapport établi en 2009 par la Cour des comptes, mais aussi parce que les contrats de concessions se sont révélés extrêmement « piégeants » pour l’État. Cette privatisation fut bien une bonne affaire, mais pas pour l’État !

Au moment même où la très grande partie du réseau est déjà bâtie, la rentabilité de ces infrastructures ne fait qu’augmenter : 1, 4 milliard d’euros ont été distribués en dividendes aux actionnaires en 2014, puis 3, 3 milliards d’euros en 2015, 4, 7 milliards d’euros en 2016 et 1, 7 milliard d’euros en 2017.

L’Autorité de la concurrence a indiqué dans son avis de 2014 que les sociétés concessionnaires d’autoroutes affichaient une rentabilité exceptionnelle qui ne se justifiait ni au regard de leurs coûts ni au regard des risques pesant sur elles.

Par ailleurs, la réalisation des travaux sur les tronçons concédés a suscité une vive inquiétude, puisqu’ils sont souvent effectués par des entreprises liées aux sociétés concessionnaires. Cette pratique est de nature à augmenter le prix de ces travaux, d’abord, parce que la concurrence s’en trouve réduite, ensuite, parce que le montant des travaux donne lieu à des contreparties de la part de l’État, allant d’une hausse supplémentaire des péages à l’allongement des concessions consenties. Les sociétés concessionnaires pourraient succomber à la tentation d’augmenter les prix des travaux réalisés par des sociétés amies !

À cette situation s’ajoute l’augmentation constante des péages – plus de 20 % depuis la privatisation. Nous en sommes relativement protégés dans les Hauts-de-France, où nombre d’autoroutes sont gratuites.

Je me permets à cet égard de rappeler l’article 4 de la loi de 1955 portant statut des autoroutes. Celui-ci dispose que « l’usage des autoroutes est en principe gratuit » : de nos jours, ce principe ressemble à s’y tromper à une exception. La plupart des autoroutes sont en effet payantes et les augmentations des tarifs sont très difficiles à endiguer. En 2015, l’État a tenté de geler leur hausse, mais cela a été fait en violation des contrats de concessions. Pour cette raison, à partir de cette année et pour les quatre prochaines années, l’usager paiera, en plus de l’augmentation annuelle classique, une augmentation dont le produit équivaudra à 500 millions d’euros.

Nous regrettons d’autant plus vivement le manque de vision stratégique de l’État sur ce dossier – de la privatisation de 2006 au suivi aléatoire des concessions accordées aux sociétés d’autoroutes – que ce manque de vision aboutit à des conséquences malheureuses pour les usagers, c’est-à-dire les Français.

Dans ce contexte, le rôle de l’Arafer doit être renforcé pour plus de transparence et de concurrence et pour réduire ces dommages collatéraux.

Le groupe Les Indépendants ne votera donc pas cette proposition de loi, inopportune en l’état, mais il prend date : le débat sur la gestion de nos autoroutes est nécessaire. Il l’est dans le cadre concessif développé en 2006 et qui doit évoluer, madame la ministre, pour réduire les conséquences incroyables pour l’État et pour les usagers ; il l’est surtout pour les prochaines années, lorsqu’il s’agira de reposer la question du mode de gestion de ces infrastructures stratégiques.

Le débat que nous aurons prochainement sur le projet de loi LOM sera, nous l’espérons, l’occasion de poser les bases de ces réflexions.

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