Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 mars 2019 à 9h35
Transports — Travailleurs détachés dans le secteur des transports : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mme fabienne keller et m. didier marie

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller, rapporteure :

Nous vous avions déjà présenté un rapport détaillé l'année dernière, visant la révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs.

L'adoption en juin 2018 de la directive modifiant celle de 1996 a constitué une première étape en vue d'une meilleure protection des travailleurs, y compris ceux du secteur du transport. Le recours massif au détachement depuis 2010 avait en effet biaisé sa perception pour en faire un synonyme de concurrence déloyale, contribuant à la disparition de certaines filières professionnelles dans les pays d'accueil.

Le Sénat, à l'initiative de notre commission, a multiplié ces dernières années les prises de position sur ce sujet pour dénoncer les cas de fraude et appeler à des réformes d'ampleur visant tout à la fois le droit du travail et le droit de la sécurité sociale : notre but est de permettre au dispositif du détachement de redevenir le symbole d'une Europe qui protège. Rappelons par ailleurs que 125 000 Français bénéficient de ce dispositif pour exercer un emploi à travers l'Union européenne.

Les salariés du secteur du transport se trouvent dans une situation particulière à l'égard du régime du détachement. Travailleurs par essence mobiles, ils sont au premier chef concernés par l'application des normes du pays d'accueil et le maintien d'une affiliation au régime de sécurité sociale du pays où leur entreprise est établie, si tant est qu'elle y exerce une véritable activité. Reste que le caractère éphémère ou volatil de leur activité fragilise une application pleine et entière de la réglementation européenne afférente. D'autant que cette réglementation peut s'avérer peu claire.

Abordons tout d'abord le cas du transport routier de marchandises. La modification de la directive de 1996 concernant le détachement des travailleurs, approuvée en juin 2018, renvoie à une lex specialis le soin de préciser les modalités d'application du régime du détachement au secteur du transport routier, intégrée dans le paquet Mobilité I qui contient également des projets de révision des normes européennes afférentes au temps de conduite et au cabotage. Nous avions pris position l'an dernier sur les propositions de la Commission, dénonçant leur manque de clarté et le fait qu'elles représentaient un danger pour nos entreprises, déjà peu compétitives. Il y a pourtant urgence à intervenir, tant la fraude sociale est importante dans ce secteur, comme nous le détaillons dans le rapport.

Le compromis obtenu au Conseil le 6 décembre dernier sur le paquet Mobilité I va dans le bon sens et rejoint nos orientations. Le régime du détachement sera appliqué systématiquement aux opérations de cabotage, avec des dérogations ciblées pour le transport international : les activités complémentaires de chargement ou de déchargement sont limitées en nombre à l'aller et au retour - une à chaque fois, ou deux à l'aller, ou encore deux au retour - à condition qu'elles soient réalisées entre deux pays traversés et que le véhicule soit équipé du chronotachygraphe numérique de deuxième génération qui permet de géolocaliser les camions. Il convient de rappeler, à ce stade, que la législation française prévoit une application du régime du détachement dès le premier jour d'entrée sur le territoire national.

Le déploiement du chronotachygraphe serait opéré au sein des flottes opérant à l'international en 2022 pour les nouveaux véhicules et avant le 31 décembre 2024 pour les autres.

Afin de lutter contre le phénomène de cabotage permanent, le compromis prévoit la mise en place d'une carence de cinq jours après une période de cabotage, la durée du cabotage restant limitée à sept jours et le nombre d'opérations à trois. Les véhicules utilitaires légers (VUL) de plus de 2,5 tonnes sont également ciblés par ces règles, au terme d'une période de transition de deux ans. Le recours à ces camionnettes pour échapper aux règles européennes est de plus en plus fréquent.

Le cabotage sera, par ailleurs, mieux encadré par la révision des normes en matière de temps de travail. Le Conseil souhaite ainsi instaurer un droit au retour dans le pays d'établissement de l'entreprise ou au domicile du chauffeur toutes les quatre semaines.

Le Parlement européen reste, de son côté, divisé. La commission transports n'a adopté, le 10 janvier 2019, que le rapport consacré au cabotage, rejetant les rapports visant le détachement et les temps de conduite. Les trois rapports avaient déjà été rejetés en plénière en juillet dernier. Un nouveau vote est prévu dans les prochains jours. Les équilibres en présence au Parlement européen, moins politiques que nationaux, rendent difficile tout pronostic quant à une adoption.

On peut donc s'interroger sur le choix de la Commission européenne de présenter aussi tardivement des textes - trois ans après le début de son mandat - sur un sujet aussi sensible. La proximité des élections européennes donne une caisse de résonance à ces sujets dans les principaux pays concernés et suscite des crispations. Nous en venons à craindre une adoption des textes sans que la cohérence du paquet soit respectée, rendant illusoire toute possibilité d'atténuer les formes de concurrence déloyale constatées et fragilisant les tentatives de contrôle. À l'inverse, l'absence d'accord pourrait laisser la faculté à la prochaine Commission européenne de travailler sur un véritable statut du travailleur hautement mobile européen, qui intègrerait bien évidemment les chauffeurs routiers. Cette démarche ambitieuse implique une réflexion combinant droit du travail, fiscalité et droit de la sécurité sociale.

Une réflexion doit être engagée sur le mode de rémunération des chauffeurs en veillant, bien évidemment, à respecter le principe de subsidiarité. Il ne s'agit pas de proposer pour l'instant une harmonisation des taux de charges sociales mais plutôt de parvenir à définir une assiette de prélèvement commune à tous les États membres.

Si le paquet Mobilité I venait à ne pas être adopté, les transporteurs ne se trouveraient pas, pour autant, confrontés à un flou juridique puisque, comme je l'ai indiqué plus haut, la directive du 28 juin 2018 prévoit expressément que le régime du détachement s'applique aux chauffeurs routiers. Cette directive n'entrera en vigueur que le 30 juillet 2020. La législation française qui prévoit que les normes en matière de détachement des travailleurs s'appliquent dès le premier jour d'entrée sur le territoire apparaît, en attendant, difficilement contestable.

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