Le 2 octobre 2018, les ministres des transports d'Allemagne, de Belgique, du Danemark, de France, du Luxembourg et des Pays-Bas ont signé un appel à la mise en place d'un agenda social dans l'aviation, afin de garantir des conditions de travail équitables et appliquer de façon cohérente les droits sociaux existants. Il s'agit notamment d'encourager l'application, au niveau international, de principes de concurrence loyale ainsi que des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du Travail (OIT). La Commission européenne n'a pour l'heure rien proposé en la matière. Sa stratégie pour l'aviation présentée en décembre 2015 mériterait d'être en effet complétée en matière sociale.
Depuis 2012, les personnels navigants des compagnies aériennes sont rattachés au régime de sécurité sociale de l'État au sein duquel se trouve leur base d'affectation - je pourrai revenir si vous le voulez sur la définition de cette notion. Si la base d'affectation constitue une référence en matière de sécurité sociale, elle ne possède pas, cependant, d'équivalent au niveau européen en matière de droit du travail. La France a élaboré de son côté la notion de « base d'exploitation » en 2006. Celle-ci est définie comme un ensemble de locaux ou d'infrastructures à partir desquels une entreprise de transport aérien exerce de façon stable, habituelle et continue son activité. Ce lieu constitue le centre effectif de l'activité professionnelle des salariés de ladite entreprise : ils y travaillent, y prennent leur service et y retournent après l'accomplissement de leur mission. C'est donc cette base d'exploitation qui détermine le droit du travail applicable.
La dérégulation complète du secteur du transport aérien et l'émergence des compagnies low cost ont coïncidé avec un contournement des règles relatives à la base d'affectation et permis de réduire les coûts. Ces stratégies contribuent, là encore, à créer les conditions d'une concurrence déloyale entre les compagnies nationales et les nouveaux opérateurs. Le rapport présente l'incidence pour Air France en termes de points de chiffres d'affaire.
Dans un secteur où les marges sont réduites, l'impact des charges sociales est direct sur la compétitivité de l'offre et la capacité de la compagnie à défendre ou gagner des parts de marché.
Le principal biais observé en matière de fraude consiste à décorréler la base d'affectation - lieu de versement des cotisations sociales - du lieu de mise en place des équipages. D'autres techniques existent, comme le recrutement de faux indépendants, qui représentent environ 70 % des équipages de Ryanair. Vueling et Easyjet ont pour leur part été condamnées en France pour le recours à de faux détachements. La pratique du « Payer pour voler » est toujours mise en oeuvre dans certaines compagnies aériennes, établies notamment en Europe de l'Est. Elle consiste à imposer aux pilotes de payer les qualifications techniques nécessaires pour piloter les avions sur lesquels ils sont affectés.
À la lumière de ces observations, nous estimons indispensable que la base d'exploitation soit la référence pour l'application du droit du travail aux salariés des compagnies aériennes, en prenant notamment appui sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Il convient également de parvenir à un encadrement européen du statut d'indépendant afin d'éviter les fraudes. Enfin, dans ce secteur, comme dans celui du transport routier, la mise en place d'un régime européen du travailleur hautement mobile est urgente. Il garantira un niveau élevé de protection sociale, une mobilité sûre et durable et la fin des distorsions de concurrence.
Reste qu'au-delà de l'adoption de nouveaux textes censés clarifier le droit existant secteur par secteur, il convient de parvenir à un renforcement de la coopération administrative entre les États d'envoi et d'accueil des salariés détachés, afin de traiter rapidement les cas de fraude au détachement et d'éviter la mise en place de stratégies durables d'optimisation sociale.
Nous avions mis en avant deux pistes l'an dernier pour rendre la lutte contre la fraude au détachement plus efficace en allant au-delà de la simple coopération administrative : la sécurisation du certificat de détachement A1 et l'appui au projet de la Commission européenne de création d'une Autorité européenne du travail. Mais les négociations entre les législateurs sur ces questions n'ont pas permis pour l'heure d'aboutir à des réponses pleinement satisfaisantes.
S'agissant des certificats, qui s'imposaient jusqu'à présent aux autorités du pays d'accueil, la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne devrait aider la France à les contester : l'arrêt Altun de février 2018, confirmé quelques mois plus tard, laisse la porte ouverte à une contestation rapide en cas de fraude avérée. Il faudrait maintenant oeuvrer à une codification de cette jurisprudence afin que ce certificat soit plus rapidement déqualifié, dès lors qu'il existe des doutes sérieux quant à la réalité de l'affiliation du salarié détaché au régime de sécurité sociale du pays d'établissement. Cette codification ira de pair avec la création d'un numéro de sécurité sociale européen. La révision en cours des règlements de coordination de sécurité sociale constitue une occasion, que les législateurs n'ont malheureusement pas saisie.
S'agissant du projet de règlement de la Commission européenne instituant une Autorité européenne du travail, le compromis obtenu entre le Conseil et le Parlement européen le 14 février dernier apparaît plus que timide. L'Autorité aura pour tâches principales d'informer les citoyens et les entreprises de leurs droits et devoirs dans des situations transfrontières et de faciliter l'échange d'informations entre les États membres en mettant en contact dans un même lieu des agents de liaison, comme le fait Europol. Elle devrait coordonner et faciliter des inspections conjointes - à la demande des États membres - dans une situation transfrontalière en cas de fraude, d'abus et de travail au noir. Elle jouera également un rôle de médiation en cas de litiges entre deux États membres. L'Autorité n'aura donc qu'un rôle facultatif. La création de l'Autorité ne remet pas en cause l'existence de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, où peuvent être contestés les certificats A1 mais dont le mode de fonctionnement est régulièrement remis en cause, en raison de sa lenteur.
En l'état actuel du dispositif, la création de l'Autorité européenne est donc au mieux un premier pas ; il conviendra d'observer avec vigilance son action dans les mois à venir afin d'évaluer sa véritable utilité. Vous trouverez la plupart de nos observations dans la proposition de résolution européenne qui vous est soumise.
Vous le voyez, nous avons un peu avancé sur le transport routier, mais nous sommes loin du compte concernant le transport aérien.