Pour la quatrième année consécutive, je vous présente un rapport d'information sur le suivi des positions européennes du Sénat : résolutions européennes, avis motivés et avis politiques. Ce rapport traduit, dans le domaine des affaires européennes, l'attachement de la Haute Assemblée au contrôle des suites données à ses travaux dans le cadre plus général de l'application des lois. Ainsi, je participe désormais de façon régulière, avec les autres présidents de commission, au débat sur le bilan annuel de l'application des lois.
L'année écoulée a vu l'engagement d'une procédure expérimentale qui s'inscrit dans la problématique générale de la lutte contre la sur-transposition. La Conférence des Présidents a en effet décidé que notre commission formulerait des observations sur les projets ou propositions de loi contenant des dispositions permettant l'intégration en droit national du droit de l'Union européenne. Cette procédure expérimentale a été mise en oeuvre, jusqu'à présent, à cinq reprises, sur : le projet de loi relatif à la protection des données personnelles ; le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 9 août 2017 transposant la directive de 2015 sur les services de paiement dans le marché intérieur ; la proposition de loi transposant la directive sur le secret des affaires ; le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (Pacte) ; le projet de loi d'orientation des mobilités. La pérennisation de cette procédure donnera plus de visibilité encore à notre commission.
Mon rapport présente un bilan de la prise en compte et de la mise en oeuvre des différentes positions européennes adoptées par le Sénat, entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018.
Comme l'année dernière, je souligne la très grande qualité des informations contenues dans les fiches de suivi que nous adresse le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) sur les résultats des négociations. Nous en avons reçu dix-huit cette année. Comme l'année dernière, je souhaiterais que le SGAE, à l'avenir, nous transmette ses fiches de suivi de façon plus régulière, et plus seulement sur demande, quelques semaines avant l'examen de ce rapport, afin que la procédure devienne véritablement banalisée et que notre dialogue avec le Gouvernement soit fluide et permanent. Il y a quatre ans, lorsque nous avons mis cette procédure en place, le SGAE a marqué une certaine réticence, mais, avec le temps, nous avons réussi à établir un partenariat.
Je vous rappelle également l'audition très intéressante de Nathalie Loiseau, le 20 février dernier, qui comportait un débat interactif auquel de nombreux collègues ont participé. Cette audition a aussi constitué pour notre commission l'occasion d'une riche discussion politique, en particulier sur la PAC et la politique régionale. Je considère que cet exercice constitue désormais un moment incontournable du contrôle parlementaire de l'action gouvernementale en matière européenne.
Entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018, le Sénat a adopté dix-huit résolutions européennes, soit le même nombre que l'année précédente. Sur ces dix-huit résolutions, douze sont issues d'une proposition de résolution de notre commission, cinq d'une initiative d'un ou plusieurs de nos collègues et une du groupe de travail commun à notre commission et à celle des affaires économiques sur l'avenir de la PAC. Neuf résolutions ont donné lieu à un rapport d'information de notre commission et cinq à un rapport d'une commission permanente. Douze ont également fait l'objet d'un avis politique adressé à la Commission et deux ont même été l'occasion d'un débat en séance publique, sur les accords de libre-échange et la préservation de la PAC.
Quant aux avis motivés, le Sénat en a adopté 30 depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, dont quatre au cours de la période couverte par le rapport. Pour ce qui concerne les avis politiques, notre commission en a adressé treize à la Commission européenne entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018, contre 21 l'année dernière.
Le respect du délai de trois mois dont dispose la Commission pour répondre a continué à se dégrader. Chacun de nos avis politiques a bien reçu une réponse, mais, parmi les treize réponses reçues, seules cinq ont été envoyées dans le délai de trois mois, contre la moitié l'année dernière. Sur les huit réponses adressées après le délai de trois mois, la moitié l'a été avec un retard de deux ou trois mois. Je regrette cette évolution récente, dans un contexte où le dialogue politique entre la Commission et les parlements nationaux est plus que jamais nécessaire à la revitalisation du projet européen. Nous adresserons un courrier sur ce point aux présidents de la Commission et du Parlement européen. De même, à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), les résultats du travail de la task force sur la subsidiarité ont été considérés comme laissant vraiment à désirer.
Si la qualité des réponses de la Commission reste inégale et perfectible, elle s'est globalement améliorée par rapport aux années précédentes. La Commission a visiblement cherché à répondre de façon plus complète aux observations sénatoriales. Je me félicite de cette évolution. Nous devons d'ailleurs rester vigilants sur ce point ; nous avions estimé insuffisante la réponse de la Commission à notre avis politique sur la préservation de la PAC, qui nous a conduits à lui demander des précisions complémentaires au moyen d'un nouvel avis politique.
Enfin, le contrôle du principe de subsidiarité reste la question la plus délicate. Notre commission avait contribué activement aux travaux de la task force de haut niveau mise en place par le Président Juncker sur ce sujet. Je note une amélioration régulière des réponses de la Commission à nos avis motivés, qui sont plus argumentées et portent davantage sur les points critiqués par le Sénat. Nos avis motivés sont importants car ils conduisent la Commission à mieux expliquer sa démarche. Le Sénat est l'assemblée parlementaire européenne qui adopte le plus d'avis motivés. À Bruxelles, nous sommes considérés sur ce plan comme les bons élèves de la classe des 27 !
Sur le fond, on n'observe toutefois aucune évolution satisfaisante. La Commission continue de chercher à se justifier en se fondant sur sa proposition initiale. Pourtant, dans plusieurs cas, le déroulement des négociations conforte rétrospectivement les analyses du Sénat. C'est pourquoi il serait souhaitable qu'à l'avenir, les réponses de la Commission aux avis motivés s'appuient sur le dernier état du texte afin de prendre en compte les évolutions intervenues.
Les positions européennes du Sénat sont très largement prises en compte au cours des négociations et influent véritablement sur le contenu des directives et règlements finalement adoptés. Nous le dirons dans un communiqué de presse, car il est important de le faire savoir à la veille des élections européennes.
D'une façon quelque peu schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories quant aux suites qu'elles ont reçues.
Dans plus de la moitié des cas, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte. Dites-le dans vos départements ! Ainsi, du filtrage des investissements directs étrangers (IDE) dans l'Union européenne : nous avons obtenu la définition d'un standard européen pour les législations nationales sur le contrôle des IDE, ce qui est important car la surveillance spécifique des IDE peut affecter des projets et programmes européens ou encore le juste équilibre entre la protection de la sécurité et de l'ordre public et l'ouverture de l'Union européenne et des États membres à ces investissements. L'Europe n'est pas protectionniste. Elle est ouverte, mais pas offerte, et tout se négocie : la réciprocité est un concept central.
De même, sur les directives de négociation en vue d'accords de libre-échange avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, les négociations ont permis de prendre en compte des points d'attention du Sénat, par exemple sur le développement durable, les produits agricoles - élevage et lait en particulier -, la levée des barrières non tarifaires ou encore le numérique.
On peut citer aussi l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur : si les résultats obtenus sont insuffisants pour satisfaire les intérêts français, la lenteur des négociations est précisément le signe de leur défense et de la prise en compte de nos positions.
Autre exemple : la cybersécurité en Europe. Le nouveau mandat de l'Agence européenne de sécurité des réseaux et de l'information (Enisa), future Agence européenne de cyber-sécurité, concentre ses activités sur ses missions principales et en fait une agence d'appui qui ne videra pas de leur substance les agences nationales, tandis que le dispositif européen de certification associera largement les États membres. Les élections européennes approchent, et l'on voit que certains États tentent de déstabiliser nos débats, à l'Est comme outre-Atlantique. Le Président de la République appelle à la création d'une agence européenne de protection des démocraties. L'Enisa pourrait y contribuer.
Sur le détachement des travailleurs, enfin, nos positions ont été largement prises en compte, par exemple sur la mise en échec du projet initial de la Commission de dérégulation totale du cabotage, la simplification des procédures et l'affiliation préalable au régime de sécurité sociale du pays d'envoi des travailleurs détachés. Ce sujet est très sensible sur le terrain, et les professionnels reconnaissent qu'il y a eu des progrès depuis la directive de 1996.
Dans plus de 25 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies, par exemple sur le programme de travail de la Commission pour 2018 : notre résolution a obtenu satisfaction sur plusieurs aspects de l'Union économique et monétaire et sur l'avenir des institutions, mais nous n'avons pas eu d'informations sur plusieurs points tels que l'interopérabilité des systèmes d'information européens aux fins de gestion des frontières ou des flux migratoires, la gouvernance de l'espace Schengen ou encore les outils de défense commerciale.
Pour la réforme de l'initiative citoyenne européenne (ICE), notre résolution n'a été que partiellement suivie, puisque deux points importants pour nous, le refus de l'abaissement à seize ans de l'âge minimal pour soutenir une ICE et le droit d'initiative des parlements nationaux, n'ont pas prospéré en dépit du soutien des autorités françaises.
Sur la convergence sociale dans l'Union européenne, notre résolution a enregistré un certain nombre d'avancées, par exemple sur l'application du principe de la loi de l'État d'activité pour le calcul des prestations chômage versées aux travailleurs frontaliers ou sur l'obligation d'échange d'informations entre États membres pour mieux lutter contre la fraude et le dumping social, mais les négociations sur les différents textes sont loin d'être achevées, notamment sur la mise en place d'instruments financiers européens en faveur de la convergence sociale - que M. Leconte voit déjà se produire.
Sur la politique régionale au service de la cohésion territoriale, les avancées sont largement subordonnées aux négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP), même si les autorités françaises ont défendu des positions avancées par le Sénat telles que le maintien de la catégorie des régions en transition, le rôle structurant de l'accord de partenariat dans l'appropriation des priorités européennes, une coopération territoriale renforcée ou encore la prise en compte de la spécificité des régions ultrapériphériques.
Enfin, dans trois cas seulement, notre résolution européenne n'a pas, jusqu'à présent, reçu de suite effective : les contrats de vente de biens, la préservation de la PAC et la demande de renégociation du règlement sur le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).
Globalement, donc, le bilan est très largement positif. La PAC est un sujet très sensible. D'après la ministre, la proposition actuelle « n'est pas acceptable et ne sera pas acceptée ». Nous ne demandons qu'à la croire - car ce n'était pas la position initiale du Président de la République.