Intervention de Bertrand Badie

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 7 mars 2019 à 8h30
Audition de M. Bertrand Badie professeur des universités à l'institut d'études politiques de paris

Bertrand Badie, professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris :

Toutes les vagues de populisme ont une cause internationale : la première mondialisation, la première guerre mondiale, la décolonisation, la mondialisation actuelle. Or le citoyen est rarement en prise directe sur l'international ; c'est donc aux institutions de servir de filtre, et il est des périodes dans lesquelles ce filtre ne fonctionne pas. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de crise en Europe entre 1945 et la période actuelle ? Parce que pendant la guerre froide, ce filtre fonctionnait. Ce n'est plus le cas.

En quoi consiste ce filtre ? Conduire le changement, mais l'adaptation à la mondialisation n'a pas été conduite. Deux autres éléments jouent à très court terme. En premier lieu, l'éducation politique et la socialisation à la mondialisation. La mondialisation a été considérée comme un épouvantail ! Je dis toujours à mes étudiants que la mondialisation, c'est aussi l'éradication de la variole en Afrique par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La mondialisation, c'est comme le cholestérol : il y en a une bonne et une mauvaise, et on ne parle que de la seconde. En second lieu, le déni du réel. Nous faisons comme si nous en étions encore à l'époque de la bataille de la Marne, ce qui aboutit à des échecs, forcément mal digérés par nos compatriotes. Je reconnais à cet égard au président de la République un certain courage : voilà l'unique candidat à la présidentielle de l'histoire politique française à s'être présenté sous une banderole favorable à la mondialisation, et à l'avoir défendue à la tribune de l'assemblée générale des Nations unies en septembre 2017 et en septembre 2018. Le problème, c'est qu'un océan de discours allait alors en sens contraire...

En matière de gouvernance globale, il y a beaucoup de choses à faire, et d'ailleurs plein de choses ont été faites. On ne parle jamais des trains qui arrivent à l'heure, mais dans la mondialisation, de nombreux trains arrivent à l'heure : l'OMS a fait un travail formidable, de même que l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation (FAO). Songez que le nombre de personnes qui ne mangent pas à leur faim est resté stable ces cinquante dernières années, à 850 millions, quand la population mondiale doublait. Et je ne dis rien des communications et des transports. Le bilan de la mondialisation est ultra-favorable ! Mais la grande erreur - déni du réel - a été de confondre mondialisation et ultralibéralisme, comme s'il fallait passer par la punition ultralibérale pour s'insérer dans la mondialisation. Or non, une autre mondialisation est possible, qui passe par la régulation, la solidarité - je retrouve mon maître Durkheim -, l'approfondissement du multilatéralisme, la réduction mondiale des inégalités ou encore la sécurité humaine, ce concept créé par le PNUD en 1994 pour regrouper les sécurités alimentaire, sanitaire, environnementale, économique, individuelle, culturelle et politique. Hélas, personne ne connaît cette notion, pourtant beaucoup plus importante que la dénonciation du traité Intermediate nuclear forces (INF), qui n'a plus aucune importance sur le plan géopolitique.

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