Intervention de Bertrand Badie

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 7 mars 2019 à 8h30
Audition de M. Bertrand Badie professeur des universités à l'institut d'études politiques de paris

Bertrand Badie, professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris :

Le poison est ce concept de démondialisation, qui ne veut rien dire. Cela me fait penser à la débrouettisation, qu'auraient revendiquée les gens craignant l'arrivée de la brouette... La mondialisation est un processus qui échappe à tout le monde, et qui est d'ailleurs plus technologique qu'économique. Il faut savoir non seulement s'y adapter, mais la façonner, car elle est façonnable. Certes pas par un seul État, ni même par l'Europe seule, mais l'Europe peut bien davantage que la France. L'intégration régionale observable partout dans le monde, en Europe comme en Asie et en Amérique latine, résulte de la conscience que le cran intermédiaire permettant d'avoir un début de prise sur la mondialisation est l'échelon régional. Le problème, c'est qu'il est gravement mis en péril par la fièvre populiste. Je défends également le multilatéralisme, capable, fort et qui a fait beaucoup de choses : pourquoi le laisse-t-on de côté ? Je vous invite à relire la formidable déclaration du millénaire de Kofi Annan, qui contient absolument tout sur le bon usage du multilatéralisme dans la mondialisation.

Je vous rejoins sur les inégalités. L'indice de Gini des inégalités mondiales est de 0,65, ce qui est extraordinairement dangereux. Pour mémoire, au pic de l'inégalité dans les nations européennes à la fin du XIXe siècle, l'indice de Gini s'élevait à 0,45 ou 0,5... Autrement dit, entre un Burundais, qui gagne 330 dollars par an, et un Luxembourgeois qui en gagne 110 000, il y a un fossé explosif, d'autant que ces inégalités sont connues de tous. Le traitement des inégalités nationales est certes à notre portée, à condition de les insérer dans une politique cohérente, car il ne peut y avoir une politique nationale et une politique sociale globale. Or pour l'instant, on ne sait pas tricoter les deux. C'est comme un cancer, qu'on ne peut traiter indépendamment des autres parties du corps. Dans son formidable livre sur les inégalités mondiales, Branco Milanovic, ancien chef économiste de la Banque mondiale, explique magistralement que la mondialisation a profité au centile de la population mondiale la plus riche et aux classes moyennes asiatiques, et conduit à l'appauvrissement des classes moyennes occidentales. Pire encore est la perception qu'en ont ces dernières, qui se voient totalement ruinées.

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