Intervention de Adrien Taquet

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 mars 2019 à 9h30
Audition de M. Adrien Taquet secrétaire d'état chargé de la protection de l'enfance

Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance :

J'envisage effectivement cette audition comme une première prise de contact. J'aurai plaisir à travailler avec vous dans les semaines à venir. Merci de votre invitation, après ma nomination, il y a six semaines, auprès de Mme Agnès Buzyn. J'étais, auparavant, membre de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Nous partageons, je pense, une même sensibilité. Cette invitation traduit votre intérêt et l'expertise pointue d'un certain nombre d'entre vous, exprimée entre ces murs ou ailleurs, au sein de conseils départementaux notamment.

Je vous présenterai les éléments principaux de la stratégie que je souhaite déployer. Ma nomination témoigne d'une volonté politique forte du Premier ministre et du Président de la République en faveur de la protection de l'enfance. Il s'agit de donner à l'État toute sa place dans l'impulsion et la régulation nationale de cette politique afin d'assurer la cohérence de sa mise en oeuvre sur les territoires.

Cette impulsion ne fait pas table rase des travaux passés ni des avancées de ces dernières années. Je salue à ce titre le travail de Mmes Laurence Rossignol, Michelle Meunier et Muguette Dini.

La protection de l'enfance est un domaine sensible, exigeant, qui dépasse les clivages politiques partisans traditionnels et nécessite une certaine continuité de l'action politique. Ce secteur est traversé par des courants idéologiques profonds. Au-delà de nos différences, je pense que nous pouvons nous retrouver pour répondre aux besoins des enfants et de leurs familles.

Ma mission ne peut s'organiser sans un étroit partenariat avec l'ensemble des institutions, à commencer par les départements, chefs de file de la protection de l'enfance, mais aussi les organismes de protection sociale, les communes et les nombreuses associations qui accompagnent quotidiennement les enfants et leurs familles.

Je suis profondément convaincu que la protection de l'enfance au sens large du terme - je ne suis pas le ministre de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) - nous concerne tous. C'est pourquoi, ces derniers jours, j'ai parlé de pacte. Nous devons effectivement passer ensemble un nouveau pacte social.

Au sein du ministère des solidarités - c'est dans l'intitulé - je travaille auprès de Mme Agnès Buzyn et de Mme Christelle Dubos, chargée de la prévention et de la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, afin de renforcer l'égalité des chances des enfants les plus vulnérables et de lutter contre le non recours aux droits des familles, dans une approche globale de lutte contre les inégalités de destin.

Le deuxième champ d'intervention du ministère est bien évidemment la santé, compétence pleine et entière de l'État. C'est pour moi une opportunité unique de faire de cette dimension une priorité dans l'accompagnement des enfants qui relèvent de la protection de l'enfance. Avec Mme Buzyn, nous avons déjà indiqué que l'accès aux soins de ces enfants serait renforcé par des bilans complets de santé et un meilleur remboursement des actes accomplis dès la prise en charge par l'ASE. Prochainement, nous pourrons lancer, dans le cadre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale, des expérimentations sur la base de coopérations entre des structures hospitalières libérales et les départements afin d'assurer des parcours de soins optimisés. Cependant, je porte une ambition bien plus large de la santé, selon la définition de l'Organisation mondiale de la santé : un état de bien-être complet physique, mental et social. À ce titre, nous souhaitons renforcer la prévention à destination des enfants et de leurs familles.

Mieux accompagner les parents, c'est valoriser leurs compétences, c'est répondre à leurs vulnérabilités, c'est prévenir les difficultés. La stratégie nationale de soutien à la parentalité, adoptée à l'été 2018, s'inscrit bien dans ces principes. Il faut maintenant passer des intentions aux actes et décliner opérationnellement nos objectifs de prévention. Les députées Stéphanie Rist et Michèle Peyron nous rendront dans les prochaines semaines les conclusions de leurs missions respectives, sur la prévention précoce, jusqu'à six ans, et sur la protection maternelle et infantile (PMI). Ces travaux favoriseront l'engagement d'actions confortant des équipes de PMI en profonde quête de sens, qui ont besoin d'être réoutillées. Il faut les renforcer pour qu'elles puissent répondre aux besoins des familles qui évoluent au diapason de notre société. Elles pourraient ainsi s'ouvrir à des travaux sur la nutrition ou la surexposition des tout-petits aux écrans.

J'ai l'ambition d'une société qui puisse éradiquer toutes les violences, au premier rang desquelles celles contre les enfants. En 2017, un plan triennal de lutte contre ces violences a mis en lumière certains enjeux tels que la formation des professionnels aux conséquences des violences intrafamiliales ou la sensibilisation de la société toute entière au syndrome du bébé secoué. Un bilan complet de ce plan est en cours de réalisation.

Afin de préparer les prochaines orientations gouvernementales, j'aimerais que l'on élargisse le champ de notre action au-delà des seules violences intrafamiliales - même si elles provoquent la mort d'un enfant tous les cinq jours, pour ce que nous connaissons. Je souhaite travailler aussi sur les violences en institution - je sais que vous y consacrez une mission - et lors des temps de loisir hors du cadre scolaire. La violence numérique et l'exposition à la pornographie devront également être abordées. L'inceste, qui est encore un tabou dans notre pays, doit l'être de façon spécifique.

Mon pacte portera aussi sur l'Aide sociale à l'enfance, en s'appuyant avant tout sur une large concertation avec tous les acteurs, pour évoquer sans tabou les ruptures de parcours, l'évolution des modes d'accueil, dont l'accueil familial, qui connaît une démographie défavorable - on peut s'interroger sur sa pertinence actuelle. La prise en charge du handicap à l'ASE est aujourd'hui insatisfaisante. Nous saisirons notamment le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). La question de l'inclusion scolaire de ces enfants se pose, tout comme celle de leur insertion professionnelle, des sorties sèches, de la scolarisation. Nous devons réfléchir à l'adaptation du statut de l'enfant à ses besoins en facilitant les procédures de délégation, de délaissement, d'adoption simple - sa mise en oeuvre est difficile. Autres questions : comment faciliter l'accompagnement des enfants de l'ASE qui relèvent du secteur médico-social et comment porter une véritable ambition scolaire ?

D'autres sujets sont aussi importants à mes yeux, tels que la transparence et la qualité des lieux d'accueil des enfants. La réponse aux besoins de sécurité physique, psychique, affective de l'enfant pris en charge passe nécessairement par une meilleure politique de prévention et de gestion des risques et par un contrôle accru des structures. Je crois évidemment à l'engagement des milliers de professionnels du secteur mais on ne peut pas concevoir qu'il n'y ait pas de garanties de formation ou de compétences.

Je souhaite questionner le pilotage de la politique publique de l'enfance et de la participation des enfants et des familles. Le pilotage doit être approfondi pour allier respect de la décentralisation des compétences et nécessaire régulation par l'État dans un objectif d'équité. C'est ce qui a été initié par l'instauration du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE). J'insiste sur un enjeu qui me tient à coeur : l'engagement des bénéficiaires des politiques publiques. Nous sommes à un moment particulier de l'histoire, où la capacité de la démocratie représentative à associer les citoyens aux politiques qui les concernent est questionnée. Je crois beaucoup à la démocratie sociale et à la participation des bénéficiaires. Les jeunes protégés ou anciennement protégés pourraient prendre une part plus importante aux décisions.

Je lancerai d'ici quinze jours une grande concertation organisée au sein de six groupes de travail associant des présidents ou vice-présidents de conseils départementaux, des associations, des parlementaires - je ferai appel à vous - et les administrations concernées. Les conclusions devront être rendues avant l'été pour bâtir une stratégie à ce moment-là. Une conférence de consensus sera menée comme sous le précédent quinquennat pour répondre à la question de l'accueil des enfants.

Enfin, je vous informe du lancement de trois missions : une première sur la prise en charge des jeunes majeurs et les sorties de l'Aide sociale à l'enfance, confiée à Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, qui pourra s'inspirer des pratiques locales ; une deuxième sur l'adoption, notamment pour favoriser l'adoption simple et en faire une possibilité pour les jeunes protégés ; une troisième sur les délais d'exécution de justice - le tribunal de Bobigny nous avait alertés.

Je souhaite que nous puissions mieux prendre en compte les besoins de nos enfants, mieux défendre leurs intérêts et mieux garantir leurs droits, en cette année de trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant.

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