Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je dois tout d’abord remercier M. le président, qui a accédé à ma demande d’organiser un débat sur le sujet, non pas du bénévolat, mais de la juste mesure du bénévolat en France.
J’en rêvais, lorsque j’étais bénévole dans la Nièvre. Je rêvais de pouvoir un jour porter cette voix-là, ces mots-là, à la tribune du Parlement !
Lorsque l’on évoque le bénévolat, selon que l’on soit en région parisienne, en métropole, dans une grande ville, une ville de taille médiane ou en milieu rural, la perception n’est pas la même de ce maillage discret, subtil, et pourtant omniprésent et indispensable. Et la perception est également bien différente selon que l’on soit, ou que l’on ait été un jour soi-même bénévole ou non.
Face à cette réalité à plusieurs vitesses, j’ai décidé de ne vous donner aucun chiffre. Comme l’amour qui ne se quantifie pas, comme la générosité qui n’a ni prix ni limite, le bénévolat ne se chiffre pas ! Je pense sincèrement que tout décompte serait forcément incomplet et inexact.
Le bénévolat est partout, le bénévolat est discret. Il est si facile de ne pas le voir, il est très dangereux de ne pas le voir. Pour l’estimer justement, il faudrait pouvoir recenser toute la part du temps et de l’énergie qui sont donnés sans contrepartie, en dehors et au-delà d’une activité indemnisée.
Je souhaite aujourd’hui vous proposer une méthode inversée : demandons-nous ensemble, pour connaître sa juste mesure, sa vraie place, ce qui se passerait dans notre société si le bénévolat en disparaissait du jour au lendemain.
Comme beaucoup d’entre vous, je pense, en tout premier lieu, au bénévolat associatif. Le tissu associatif, avec ses multiples facettes, est totalement structurant.
Les récents débats sur le texte en faveur de l’engagement associatif furent l’occasion d’évoquer cette forme de bénévolat.
Craignant de faire des oublis, je vais essayer de lister ce qui me vient en tête.
Que deviendrait notre paysage quotidien sans associations culturelles, artistiques, touristiques, sportives, humanitaires, sociales ou environnementales ? Quelle serait la vie dans nos collectivités sans nos comités des fêtes, nos clubs de loisirs, nos rencontres sportives, nos concerts, nos expositions ? Que resterait-il de notre patrimoine sans les milliers de bénévoles qui œuvrent à sa préservation et sa mise en valeur ? Sans le bénévolat, qu’adviendrait-il de l’aide alimentaire, de l’aide à l’intégration sociale, à la lutte contre les addictions, de la solidarité face aux difficultés de la maladie et du handicap ?
Il ne resterait plus grand-chose de la pratique du sport, de la vie sociale ! Il ne subsisterait guère d’animations, de fêtes, de soutien, de fleurissement, de lieux d’accueil !
Du jour au lendemain, si tous ceux qui donnent de leur temps, de leur plein gré et sans contrepartie financière, cessent leur engagement, alors, c’est également la fin des commémorations, des cérémonies mémorielles ! J’attire votre attention sur ce que cela signifie.
Voici une question à laquelle vous n’aviez peut-être pas pensé, mes chers collègues : qui développe le devoir de mémoire sur l’ensemble du territoire national ? Les associations d’anciens combattants principalement ! Et que dire de la représentation professionnelle dans tous les corps intermédiaires ? C’est un autre aspect du bénévolat, également indispensable.
Plus de Croix-Rouge, de Secours populaire, de Restos du Cœur ! C’en serait fini de l’Ordre de Malte, d’Emmaüs et de la Fondation Abbé Pierre, avec le risque d’avoir des affamés dans la rue ! Il n’y aurait plus de visiteurs dans les hôpitaux ni dans les Ehpad, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il faudrait oublier, dans tant d’endroits, l’aide aux devoirs, à l’alphabétisation ou à la formation ! Est-ce anecdotique ?
Il faudrait aussi renoncer au jumelage entre pays et entre villes, là où on essaye de prévenir la guerre par l’amitié entre les peuples.
Dans beaucoup d’endroits, il n’y aurait plus de bibliothèques. À ce sujet, je vous livre un témoignage que j’ai reçu d’une bibliothécaire communale : « Je tiens seule dans mon village une petite bibliothèque associée à la bibliothèque départementale. Grâce à mes efforts, 500 livres par an sont empruntés dans une commune de 602 habitants. Le partenariat avec la bibliothèque départementale a dû être formalisé en 2017 et depuis, il a fallu créer une adresse informatique professionnelle et saisir sur un logiciel les données de 2018 : 2 heures de travail, 225 réponses à apporter. Tout cela pour obtenir en retour les informations suivantes : le pourcentage d’emprunteurs actifs par rapport à la population, soit 2, 990, le nombre de mètres carrés de la bibliothèque par rapport au nombre d’habitants et les crédits d’acquisition par habitant. C’est effarant, j’aimerais comprendre à quoi ça sert … » J’avoue que moi aussi, j’aimerais comprendre !
Un point lecture de proximité est indispensable. Mais les politiques publiques sont-elles cohérentes si, d’une part, elles établissent des programmes de subventions et si, d’autre part, elles découragent les bénévoles ? Et je ne parle pas de la complexité des dossiers de subvention ni des normes !
J’ai dressé, dans le champ de l’associatif, un rapide tour d’horizon, incomplet. Et j’ai lancé un premier signal d’alarme !
On peut aller encore plus loin et toucher du doigt une autre réalité. Il ne faut en aucun cas opposer la France des villes à la France des campagnes, mais, il faut le dire, en milieu rural, la plupart des élus sont également bénévoles. C’est une réalité dont il faut aussi prendre la pleine mesure.
Avez-vous bien conscience, mes chers collègues, que sans bénévolat, il n’y a plus d’élections, car ce sont des élus, dans leur majorité bénévoles, qui tiennent les bureaux de vote ? Tous ceux-là ont donné, en 2017, quatre dimanches pour l’organisation des scrutins nationaux.
L’entretien de nos communes repose, pour une très grande part, sur un investissement bénévole. Et heureusement ! Car les étrangers, vous le savez, sont très sensibles au charme et au pittoresque de nos 36 000 communes. Ils sont nombreux à venir en France trouver précisément cela.
Les élus ruraux entretiennent, parfois avec leur propre matériel et toujours sur leur temps personnel, beaucoup de voiries secondaires. Ils accomplissent toutes les tâches pour lesquelles leur commune n’a pas de budget.
Il faut aussi évoquer et approfondir tout le champ de la sécurité civile, du premier secours aux habitants, du maintien de l’ordre. Je ne sais pas si, au banc des ministres, on a bien idée de la réalité dont je parle.
Je vais vous donner un autre exemple. J’ai rencontré il y a peu Bernadette, maire depuis vingt ans d’une petite commune rurale de quelques dizaines d’habitants. Depuis des années, son adjoint et elle-même ne perçoivent aucune indemnité, ce qui constitue la seule marge d’investissement de cette commune. Ce qui leur fait dire avec un petit sourire : « Comme ça, on a pu changer les fenêtres de la mairie. »
Bernadette achète de sa poche les timbres et offre les vins d’honneur. Son époux vient régulièrement, avec son tracteur et en utilisant son propre carburant, tondre la pelouse de la mairie. Le mari de l’adjointe effectue gracieusement tous les petits travaux d’entretien et les petites réparations. Auparavant, Bernadette a été, pendant seize ans, présidente d’une communauté de communes. Pendant seize ans, ni elle ni aucun des vice-présidents n’a touché un seul euro d’indemnités. Son cas n’est pas unique, bien au contraire. Et il s’agit bien de bénévolat, d’un bénévolat invisible depuis Paris.
Ces bénévoles entretiennent les bâtiments, offrent du matériel scolaire, font l’animation, l’encadrement, le nettoyage, le suivi, la prévention, assurent le soutien des personnes fragiles ou en difficulté, font les courses et le maintien de l’ordre. Ils débouchent les canalisations, gèrent les animaux errants, comme les dépôts d’ordures, et j’en passe !
Monsieur le secrétaire d’État, prendre la juste mesure du bénévolat en France, c’est comprendre que les bénévoles, les élus ruraux en première ligne, portent notre pays à bout de bras !
Le président Larcher lui-même, le 17 janvier dernier, a dit : « Dans les petites communes, beaucoup d’actions pour la collectivité reposent sur le bénévolat. Les communes sont les seules à participer à la réduction des dépenses publiques. » Ce ne sont pas de vains mots !
Sous-estimer le bénévolat, considérer, comme beaucoup, qu’il n’y a là qu’activités de loisirs plaisantes et marginales serait prendre un risque de paralysie générale.
Renvoyer chez eux nos bénévoles au motif qu’il vaut mieux désormais se restructurer et se professionnaliser est une hérésie gravissime.
Proposer les réorganisations territoriales comme solution aux difficultés du monde rural est une fausse bonne solution.
Tout d’abord, ce n’est pas en additionnant plusieurs pauvres qu’on fait un riche.
Ensuite, en procédant ainsi, on renvoie chez eux des milliers de bénévoles au lieu de les préserver et de les soutenir.
Croyez-vous que le mari de Bernadette viendra tondre la pelouse de la commune d’à côté ? Non ! Il faudra embaucher un agent communal, puis un autre, pour remplacer le premier quand celui-ci sera malade. Il faudra acheter un tracteur, le faire réviser, acheter du carburant. Il n’y aura pas d’économies, car, à chaque fois que l’on perd un bénévole, il faut payer pour le remplacer.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite véritablement, sans sourire et parce que ce que je vous dis est grave, que tout le monde prenne la juste mesure du bénévolat dans notre pays. Il y a encore des hommes et des femmes capables de dire comme ce président d’association : « Se sentir utile et faire quelque chose pour les autres est notre moteur ». Les élus ruraux savent de quoi ils parlent, mais cette réalité échappe à beaucoup.
Le bénévolat en France est un trésor inestimable, qu’il faut traiter comme tel. S’il venait à s’épuiser ou à disparaître, compromis en particulier par des restructurations maladroites, on ne pourrait pas le reconstituer.
Avant de décourager définitivement les bénévoles français, l’État doit faire ses comptes et se demander s’il dispose des sommes colossales qui lui permettraient de les remplacer.