Intervention de Charles Personnaz

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 13 mars 2019 à 9h00
Audition de M. Charles Personnaz auteur du rapport renforcer l'action de la france dans la protection du patrimoine du moyen-orient et le soutien au réseau éducatif des communautés chrétiennes de la région

Charles Personnaz :

Ce rapport m'a été confié en juin dernier par le Président de la République, à la suite de son choix de poursuivre plusieurs orientations, exprimées notamment lors de sa visite de l'exposition consacrée aux chrétiens d'Orient : la défense de ces communautés, celle de la francophonie qu'elles portent, mais aussi l'idée que la culture et l'éducation sont cruciales quand on veut bâtir paix et stabilité.

Je me suis intéressé, d'une part, au patrimoine de ces communautés vulnérables, ainsi qu'au patrimoine juif, même si cette communauté a presque totalement disparu de la région en dehors d'Israël, et, d'autre part, au rôle des écoles chrétiennes, où 400 000 élèves suivent leur scolarité en français ou apprennent notre langue. J'ai donc essayé de joindre ces deux sujets - culture et éducation -, car ils posent tous deux une question de citoyenneté des membres de ces communautés. Le patrimoine incarne en effet leur intégration bimillénaire dans cette région ; par l'éducation, elles rendent un service public à l'ensemble des sociétés du monde arabe, en accueillant chrétiens et musulmans - ces derniers représentent en moyenne 60 % des élèves -, filles et garçons, élites et populations vulnérables, tout en portant une grande attention au handicap et à l'insertion professionnelle.

J'ai voulu aborder la question de la laïcité : comment aider ces communautés en dépit de ce principe ? Je ne dirais pas, comme Gambetta, que la laïcité n'est pas un article d'exportation, mais plutôt que ces écoles pratiquent une forme de laïcité en accueillant tout le monde et en distinguant le civil du religieux.

On m'a aussi demandé si une telle approche ne risquait pas de constituer une instrumentalisation des minorités. Nous ne sommes plus du tout à la période mandataire, même si la France doit conserver ses liens historiques avec ces communautés. Nous n'oublions pas pour autant le reste de la population : la France parle à tout le monde, mais cela n'empêche pas d'avoir des liens privilégiés avec certains.

Le patrimoine en question est immense. Il est matériel et immatériel ; il rassemble monuments, manuscrits, objets d'art et objets liturgiques, ainsi qu'une tradition intellectuelle.

J'en ai dressé un état des lieux, en faisant une distinction entre les zones où il est le plus menacé - zones de guerre, en Irak et en Syrie, où Daech a commis des destructions symboliques et où, surtout, pillages et trafics s'avèrent encore plus destructeurs - et celles où ce patrimoine est menacé par la faiblesse des administrations et par l'urbanisation galopante. L'Égypte et la Jordanie manifestent un fort intérêt pour ce patrimoine ; c'est moins le cas dans d'autres pays. En Turquie, on rencontre de grandes difficultés : l'État tantôt participe lui-même à la destruction de ce patrimoine, comme à Diyarbakir, ville pourtant inscrite au patrimoine mondial, tantôt laisse faire la destruction opérée par le temps depuis la disparition de ces communautés il y a un siècle.

J'ai également fait le panorama des actions menées par la France, qui a une tradition ancienne d'études orientales, qui s'exprime par le biais de l'Institut français d'études anatoliennes, l'Institut français d'archéologie orientale, l'Institut français du Proche-Orient, ou encore l'École biblique et archéologique française de Jérusalem, ainsi que dans ses missions archéologiques. Les destructions opérées par Daech ont suscité une prise de conscience et la création de l'Aliph.

Pour aller plus loin, il faut s'appuyer sur ce qui a été fait par les autorités publiques et par certaines associations, comme l'OEuvre d'Orient. Grâce à une aide de 60 000 euros octroyée par le Sénat, cette dernière a pu créer, au Liban, un centre de restauration des manuscrits. C'est en partant de cette base que j'ai pu formuler quelques propositions.

J'estime important, tout d'abord, de manifester en France l'importance de ce patrimoine à partir des oeuvres que nous conservons. Le Louvre doit être à la tête de ce mouvement : ses départements possèdent bien des éléments de ce patrimoine, mais ils sont un peu trop dispersés et ne sont pas assez valorisés. Le succès de l'exposition « Chrétiens d'Orient » montre l'intérêt du public. Le Louvre aurait beaucoup à gagner d'une meilleure exploitation de ses collections.

Il faut, par ailleurs, s'appuyer sur les instruments existants, en premier lieu l'Aliph, qui pourrait prendre en charge la restauration de certains sites en Irak, en Syrie et en Turquie dont j'ai dressé la liste. Un appel d'offres a déjà été lancé par l'Aliph pour la restauration de deux églises de Mossoul. C'est un début ; j'espère que la liste de sites concernés sera en mesure de s'allonger.

Un autre acteur est essentiel, du moins en dehors des zones de guerre : l'Agence française de développement, qui veut renforcer son rôle en matière de culture et d'éducation. J'ai là aussi dressé une liste de projets structurants que l'Agence française de développement (AFD) pourrait accompagner, tels que l'inscription au patrimoine mondial des sites coptes de la route de la Sainte Famille, en Égypte.

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