J'ai enfin constaté que, si l'on trouvait au Moyen-Orient des conservateurs, on y manquait cruellement de restaurateurs d'oeuvres d'art. C'est pourquoi je propose la création, à Beyrouth, d'un institut de formation aux métiers de la restauration, dans le cadre d'un accord prévoyant la délivrance de diplômes conjoints par l'Institut national du patrimoine, en France, et l'ensemble des universités libanaises.
Nous pouvons aussi participer aux inventaires. Bien du patrimoine a été perdu irrémédiablement, pendant les guerres, parce que nous n'en connaissions pas le détail. Il faut mener un travail de recollement de manière à mieux connaître le patrimoine existant, à identifier le patrimoine manquant et à prévenir certaines destructions en cas de nouvelle déflagration. Je propose qu'un chargé de mission soit nommé sur cette question. Il serait utile de commencer par les icônes, objets aisément victimes de trafic ; ce travail pourrait être mené en lien avec l'Office central de répression du trafic des biens culturels.
J'en viens à l'éducation. Le réseau des écoles chrétiennes et francophones est répandu dans toute la région ; il est très ancien. Les congrégations françaises, très présentes dès le XIXe siècle, ont été rejointes au tournant du siècle par la Mission laïque française, ce qui a conduit à une émulation enrichissante. Les principes français d'éducation se retrouvent dans ses écoles : l'attachement à la langue française comme vecteur d'ouverture au monde et d'apprentissage de l'esprit critique ; le sens de la responsabilité sociale ; la neutralité religieuse ; enfin, la promotion de la femme et l'attention aux plus faibles. Ce réseau dense couvre les bastions de la francophonie que sont le Liban et les grandes villes d'Égypte, mais il va plus loin encore.
Il y a en revanche une vraie urgence : tous, sur le terrain, font le constat d'un abandon de ces écoles par la France. Elles ne reçoivent plus de subventions directes comme par le passé. On se demande ce qui motive encore les acteurs de ce réseau, hormis une foi ardente dans la culture française. Les générations changent : on ne sait pas si, demain, les parents ne se tourneront pas plutôt vers les écoles anglophones, qui sont mieux soutenues. Nous sommes en tout état de cause à un moment clé : l'influence de la France est en jeu, car c'est dans ces écoles que sont formés les gens qui tissent des liens avec notre pays. Allemands, Italiens, Japonais et Chinois sont eux aussi toujours plus présents. Nous avons pour nous l'ancienneté et la passion, mais tout cela est de plus en plus fragile.
Des menaces politiques pèsent également sur ces écoles. Au Liban, une loi a augmenté de 45 % les charges salariales pesant sur les écoles privées. En Égypte, des décrets menacent les écoles bilingues francophones. En Israël et dans les territoires palestiniens, on craint la remise en cause de la protection exercée par la France sur certaines écoles de congrégations, issue des traités conclus par l'Empire ottoman et repris par Israël.
Ces écoles sont de différents types. Certaines, au Liban ou en Égypte, sont très intégrées au système français ; d'autres, bilingues, sont intégrées au système étranger, mais sont tout de même proches des standards français ; d'autres, enfin, sont plus lointaines : elles portent le français sans avoir les moyens de se mettre dans les clous des labels français. Il ne faut pas les laisser de côté : elles portent une francophonie, certes fragile, mais toujours active.
Je préconise que la France porte ces sujets, politiquement, auprès des autorités compétentes de chaque pays. L'éducation est souvent le socle de ces relations bilatérales ; il importe qu'elle ne soit pas remise en cause.
J'ai fait le constat de deux besoins majeurs : d'une part, un besoin de formation des professeurs et des cadres ; d'autre part, le besoin de voir des Français. Autrefois, des religieux ou des coopérants visitaient régulièrement ces établissements ; aujourd'hui, on n'en voit plus. Le Quai d'Orsay définit de manière très large les « zones rouges » où tout déplacement est formellement déconseillé. Il ne faut pas se leurrer : c'est une question financière. Il faut que la France dépense un peu d'argent - seulement deux millions d'euros annuels, dont la moitié serait apportée par l'État, l'autre par le secteur privé -pour soutenir la formation des professeurs et l'envoi de volontaires.
Je propose donc la création d'un fonds public-privé, auquel abonderaient l'État ou l'AFD ; les collectivités territoriales et certaines fondations ou associations pourraient également être impliquées. Si l'on avait cette capacité, on répondrait largement à la problématique qui est devant nous. Je connais l'état de nos finances publiques : je ne préconise donc pas un grand soir où nous déverserions des millions sur le Moyen-Orient !
En prolongement de mon rapport, je fais actuellement le tour des ministères concernés. Ceux de l'éducation nationale et de la culture sont très intéressés. C'est plus compliqué au Quai d'Orsay : faute de moyens, sans doute, on s'y montre plus hésitant. J'essaie de lever ces doutes ; votre aide sera précieuse en ce domaine.
Nous avons une bonne occasion de progresser : en octobre prochain, la France accueille une conférence internationale sur les minorités du Moyen-Orient. Le Gouvernement pourrait faire certaines annonces à cette occasion.