Intervention de Benoît Brocart

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 21 février 2019 : 1ère réunion
Audition de Mm. Benoît Brocart préfet de vendée et laurent touvet préfet du haut-rhin sur l'impact pour les collectivités territoriales du décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif au pouvoir de dérogation aux normes des préfets

Benoît Brocart, préfet de Vendée :

Je suis honoré de l'intérêt que vous portez à notre action pour mettre en oeuvre ce droit de dérogation. Je l'aborde comme un artisan de la mise en oeuvre de l'action publique, avec un bilan quantitatif qui reste modeste et dont il apparait difficile de tirer des conclusions définitives. À ce jour, quatre décisions ont été prises en Vendée au titre de ce droit expérimental, cinq tentatives n'ayant pas abouti sur ce terrain. J'aborde ce projet à la lumière d'une précédente expérience de fabriquant de textes de loi et de décrets au sein du ministère de l'Intérieur, et j'ai essayé de le considérer comme un merveilleux cadeau de Noël en décembre 2017. Le but était d'en faire un outil de résolution de blocages rencontrés sur des dossiers à enjeux.

Pour ce faire, les dimensions culturelle et managériale de l'utilisation de cet outil doivent être soulignées. Tout d'abord, d'un point de vue culturel, cet outil nécessite de demander à des fonctionnaires d'aller à l'encontre de leur nature, compte tenu de leur rapport à la loi. Ce décentrage n'est pas dans notre culture de la fonction publique. En outre, d'un point de vue managérial, le chef de l'État nous a exhortés à une nouvelle approche, en nous demandant, voilà deux ans, de nous comporter comme des entrepreneurs de l'État, ce qui induit de substituer à une logique de moyens une logique de projets et d'objectifs, l'atteinte des objectifs passant par le droit de dérogation pour surmonter des blocages jusqu'ici difficiles, voire impossibles, à dépasser.

Cette novation n'a pas soulevé un immense enthousiasme au niveau local, mais bien des craintes. Un important effort de communication a été réalisé (revues de presse, cérémonies de voeux, réunions de travail, visites d'entreprises, communication sur le recours au droit de dérogation), tant à l'égard des partenaires extérieurs que des collaborateurs internes, mais cela n'a pas permis de susciter un appétit féroce pour ce droit de dérogation, en raison notamment de la difficulté pour les partenaires de comprendre l'utilité concrète de cet outil et son mode d'emploi juridique, puisqu'il s'avère conditionné. Aucun de ces acteurs n'avait cependant mentionné de crainte particulière quant au risque que le préfet abuse de ce pouvoir.

J'ai incité les équipes à identifier des points d'application renvoyant à des dossiers dont les enjeux paraissent cruciaux pour le département, et dans lesquels nous nous heurtions à des blocages. Nous avons utilisé le décret de 2017 pour assouplir les conditions dans lesquelles les subventions sont versées, en nous focalisant sur les intérêts propres de la Vendée, notamment en termes de protection des populations du littoral contre les submersions marines.

Cette dernière nécessitait par exemple de mettre en oeuvre un programme de travaux qui, avec un coût d'une centaine de millions d'euros et une vaste ampleur (125 kilomètres de côtes concernés), rencontrait un taux de réalisation de 30 %, relativement insatisfaisant au regard des besoins exprimés depuis le passage de l'épouvantable tempête Xynthia en 2010. Les blocages étaient notamment dus à l'incompatibilité de la mise en oeuvre rapide de ces travaux de protection avec des législations contraignant à un jeu de procédures qui les compliquent et les rallongent. Nous avons travaillé sur ce point. Dans un cas, nous avons autorisé la construction en urgence d'une digue à La Faute-sur-Mer, épicentre de la catastrophe, où 1 300 mètres de littoral avaient disparu en quelques mois. Il était impératif de protéger le littoral avant l'hiver, saison des tempêtes. Cette dérogation a motivé d'autres décisions, notamment une avance consentie à la commune de La Faute-sur-Mer, au titre du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) dont d'importants crédits avaient été mobilisés pour sortir la commune du marasme. Le pouvoir de dérogation a été utilisé pour augmenter considérablement l'avance du FNADT.

Nous avons également envisagé de l'utiliser sur d'autres dossiers de travaux relatifs aux digues, dans le cadre de la recherche d'une solution concertée aux problèmes rencontrés avec l'administration centrale. Au nord de La Faute-sur-Mer, les effets du classement d'un site bloquaient l'avancement des travaux de protection contre la mer. La question s'est posée de recourir à ce droit de dérogation pour continuer à diligenter les procédures comme si le classement n'était pas intervenu. Le seul fait d'avoir posé la question à l'administration centrale a conduit cette dernière à prendre, dans des délais rapides, des décisions pertinentes. L'invocation de ce droit a eu un effet certain dans la relation avec l'administration centrale.

Dans le champ de la transition écologique et solidaire, j'ai été amené à utiliser ce droit pour autoriser un parc éolien à la demande d'une société d'économie mixte, pour lui permettre d'être au rendez-vous des réponses aux appels d'offres de la CRE.

Ces exemples dessinent quelques enjeux importants pour le département autour desquels j'ai mobilisé et utilisé ce droit, soit directement, soit comme outil de dialogue, voire de pression vis-à-vis des administrations centrales parisiennes dans les matières pour lesquelles les ministères sont compétents.

La philosophie d'utilisation de l'outil vise, dans une logique d'objectifs et de projets, à surmonter des éléments de blocage ou des effets contre-productifs d'application de règlementations concurrentes, mais également à atteindre les objectifs en sollicitant des lois à caractère alternatif. En s'affranchissant de contraintes règlementaires, nous avons toutefois eu à coeur que les impacts de ces projets sur l'environnement, la biodiversité et sur le paysage soient aussi limités que possible. Par exemple, à la Faute-sur-Mer, la Ligue de protection des oiseaux a été associée à la construction de la digue afin de vérifier l'absence d'impact. Ce travail s'est avéré fructueux puisqu'aucun contentieux n'existe contre cette décision.

D'un point de vue de terrain, il serait judicieux de pouvoir poursuivre, voire d'étendre, ce type d'approches dans le temps. En effet, les délais n'autorisent qu'un faible recul au regard d'un temps de l'administration qui reste long. La conviction, l'analyse et la mise en oeuvre peuvent être encore approfondis. Leur extension à de nouveaux champs de l'action publique constitue une piste à explorer. Par exemple, des décisions qui, pour l'heure relèvent d'un niveau supérieur d'administration de l'État, pourraient être concernées.

Le dispositif ne saurait faire l'économie de la question des collectivités territoriales qui, grâce à la décentralisation, disposent de compétences sur lesquelles nous ne pouvons pas intervenir par exemple. Le contrôle de la légalité interroge également. Souvent, le préfet s'abstient de déférer des actes sur lesquels un doute existe quant à la légalité mais que le but poursuivi justifie malgré cet écart. Or, cette méthode ne suffit pas à assurer la sécurité juridique des actes des collectivités territoriales. Cette expérimentation pourrait même se voir prolonger au niveau législatif, de manière encadrée.

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