Intervention de Laurent Touvet

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 21 février 2019 : 1ère réunion
Audition de Mm. Benoît Brocart préfet de vendée et laurent touvet préfet du haut-rhin sur l'impact pour les collectivités territoriales du décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif au pouvoir de dérogation aux normes des préfets

Laurent Touvet, préfet du Haut-Rhin :

Spécialisé dans le droit de l'urbanisme jusqu'en 2007, je me suis rendu compte, lorsque j'y suis récemment revenu, qu'il avait été complètement bouleversé par des règles et des délais de recours variables selon la nature des actes. Les lois Grenelle de l'environnement ont introduit une complication juridique phénoménale, « contaminant » considérablement les droits de l'environnement et de l'urbanisme. Alors que les collectivités territoriales sont les acteurs quasi exclusifs de cette matière, il serait intéressant qu'elles puissent, elles aussi, expérimenter ce droit de dérogation. Les craintes du « copinage » n'ont de fondement que dans les petites communes. Un système où le maire pourrait déroger après l'avis conforme du préfet permettrait d'ouvrir une porte sans créer de bouleversement trop important. Les préfets pourraient faire face à une pression accrue.

L'autorisation de décollage d'avion en lien avec les matchs de football à Bâle n'a pas été octroyée sur le fondement de ce décret, elle était justifiée par la nécessité de faire quitter les lieux rapidement aux supporters.

Par ailleurs, les préfets sont parfois amenés à « jouer » avec la législation : par exemple, Peugeot, entreprise de 7 000 salariés, avait obtenu une autorisation de travail les jours fériés pour assurer sa capacité de livraison, et non pour un évènement exceptionnel. Les salariés et les syndicats y étaient favorables. Cette solution contentait l'ensemble des acteurs. Il s'agit d'apprécier le bon sens de l'intérêt public. Le préfet peut également choisir de ne pas porter attention à un acte dont la légalité est questionnée s'il rejoint l'intérêt de la collectivité territoriale. Néanmoins, le possible recours d'un tiers impose au maire de prendre de lourdes responsabilités.

Les préfets se trouvent ainsi sans cesse tiraillés entre l'application de la loi et la recherche de l'intérêt public. Le droit ne devrait pas heurter le bon sens. Je suis embarrassé par le principe de dérogation, ayant grandi dans une culture juridique où la dérogation doit impérativement être prévue par un texte. L'intérêt de cette expérimentation réside essentiellement dans sa capacité à révéler les cas où la règlementation apparait inopportune, car trop lourde et tatillonne. Les obligations sont en effet identiques pour les petites et les grandes communes. Or, le maire d'une petite commune n'a, par exemple, pas les moyens de suivre les mises à jour. En outre, certaines règles ne s'appliquent pas à des projets de moindre envergure.

Déroger crée toutefois de l'insécurité juridique. Conditionner la possibilité d'un projet ou celle de l'accélérer à la dérogation du préfet crée un risque. Personne ne peut prédire d'éventuels contentieux, ni leurs résultats. Le principal intérêt s'avère donc de révéler les règlementations trop complexes qui doivent être modifiées. Pour qu'elle reste la même pour tous, la règle doit être simplifiée. En tant que directeur d'administration centrale pendant six ans, j'essayais d'envoyer les projets de circulaire à plusieurs préfectures pour relecture afin de déterminer si les dispositions correspondaient aux réalités du terrain. Sur le terrain, la capacité intellectuelle n'est pas la même car la prise de décision dans de brefs délais ne permet pas de dérouler tout le raisonnement.

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