Le sujet est extrêmement dense. Je remercie le Sénat d'avoir consacré cette première table ronde aux ONG.
Sur l'engagement et le bénévolat, nous sommes favorables au soutien à la capacité de déploiement, à l'accompagnement des associations et au renforcement de leur capacité d'action. Il faut en quelque sorte « nourrir » une solidarité des citoyens français avec les citoyens du monde. Cette solidarité citoyenne de société civile à société civile est essentielle : elle doit être considérée comme un enjeu politique et stratégique pour la France. Il faut accroître le soutien budgétaire aux associations françaises de solidarité internationale, dont moins de 10 % des moyens sont issus des finances publiques, nationales ou territoriales. Cela dénote un manque d'intérêt ou de conscience des pouvoirs publics, alors même que l'opinion publique reste favorable à la politique d'APD.
L'effort des collectivités territoriales ne doit pas décroître : une grande partie de la mobilisation de la société française se fait dans les territoires par le biais de petites associations locales, dont les moyens ont baissé. Certaines régions ont en effet fortement réduit les financements dédiés à la solidarité internationale. La politique d'APD ne doit pas relever uniquement de la responsabilité de l'État.
Concernant la gouvernance, Coordination Sud avait proposé, au moment de la campagne présidentielle, mais aussi dans le cadre d'un avis rendu au Conseil économique, social et environnemental (CESE) en 2016, la création d'un ministère de plein exercice ou d'un ministère délégué rassemblant les moyens existants et l'ensemble des opérateurs. Un rapport sénatorial avait fait la même recommandation. La recapitalisation de l'AFD, le rassemblement de l'expertise au sein d'Expertise France et, aujourd'hui, l'absorption de cette agence au sein de l'AFD plaide en faveur d'un ministère pilote disposant d'instruments suffisamment puissants pour mener une politique d'APD, car une politique doit être incarnée par un ministre. Cette recommandation n'a pas été reprise et le quinquennat a commencé sans ministre dédié.
L'évaluation est un point essentiel. Nous avons salué la proposition d'Hervé Berville de créer une commission. L'accroissement des volumes risque de renforcer la logique de l'offre. C'est la raison pour laquelle nous plaidons pour un lissage de l'augmentation des moyens : il faut parvenir progressivement à 0,55 %. Il faut sortir de la programmation triennale « à plat » jusqu'en 2020.
La loi de 2014 avait créé un observatoire pour l'évaluation qui a été insuffisamment investi. C'est dommage !
Les ONG, au sein de Coordination Sud, mais aussi du F3e (évaluer, échanger, éclairer) - structure fondée en 1994 par le ministère des affaires étrangères et dédiée à la question de l'évaluation et de la qualité de l'action -, ont beaucoup travaillé sur les innovations en matière d'évaluation. Nous promouvons une évaluation qui ne soit pas seulement de résultat, mais également de processus, d'impact, afin de vérifier la pertinence d'une action dans la durée, même si le contexte a changé, et de se donner les moyens de l'adapter. Un euro ne produit pas tout de suite le résultat attendu ; nous sommes dans des processus longs, qui nécessitent des mécanismes d'analyse et d'évaluation fins.
Les mécanismes qui pourraient figurer dans la loi devront certes renforcer la transparence et la redevabilité, mais aussi s'inscrire dans une longue temporalité.
Il faut enfin aborder la question de la cohérence des politiques : les effets de la politique d'APD ne doivent pas être annulés par d'autres politiques. Cela doit faire partie de l'évaluation. On ne peut pas faire porter à l'APD et à son seul budget la responsabilité des échecs ou du fait que si la pauvreté dans le monde a bien reculé, elle n'a pas été éradiquée. L'ensemble des politiques doivent contribuer à cet enjeu.