Intervention de Éric Heyer

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 mars 2019 : 1ère réunion
Situation et perspectives de l'économie française — Audition commune de Mme Agnès Bénassy-quéré professeur d'économie à l'université paris 1 panthéon-sorbonne et Mm. Didier Blanchet directeur des études et synthèses économiques de l'institut national de la statistique et des études économiques insee et éric heyer directeur du département analyse et prévision de l'observatoire français des conjonctures économiques ofce

Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE :

L'OFCE publiera, pour sa part, ses prévisions de croissance le 15 avril. Les chiffres que je vous présente ne sont pas définitifs mais vous donneront une idée de la conjoncture.

L'économie française est confrontée à une série de chocs : choc pétrolier, choc de compétitivité, budgétaire, monétaire, cycle mondial, effets du Brexit, etc. Le premier défi consiste à évaluer correctement ces chocs et leur impact sur l'économie, le second à déterminer à quel taux de croissance ils doivent être appliqués. En d'autres termes, quel aurait été le sentier de croissance sans l'intervention de ces chocs ? Cela nous renvoie à la question de la croissance potentielle et du supplément d'écart de production (output gap). Y a-t-il encore, en France, des marges de production supplémentaires sur lesquelles s'appuyer ?

Aujourd'hui, on s'accorde à évaluer la croissance potentielle à 1,2 ou 1,3 % en 2019. Au cours des années précédentes, elle aurait pu atteindre environ 1,6 % mais a été grevée par les chocs budgétaires entre 2014 et 2016, et par le choc pétrolier en 2017 et 2018.

Pour 2019-2021, le débat porte moins sur la croissance potentielle que sur l'output gap. Pour la plupart des institutions, il s'est résorbé. Au contraire, pour l'OFCE, il reste un point d'output gap négatif en 2018, ce qui signifie des marges supplémentaires par rapport à la croissance potentielle de 0,3 % à 0,4 % par an sur trois ans. Entre son point haut de 2007 et aujourd'hui, l'output gap a baissé, selon nos estimations, de deux points de PIB. Toutes les institutions conviennent que l'économie française reste en-deça de son potentiel de production d'il y a dix ans. Nous sommes par conséquent convaincus de la possibilité d'avoir un taux de croissance au-dessus du potentiel de production sans tensions inflationnistes. Nous pouvons donc maintenir une hypothèse de croissance de 1,6 % hors chocs.

Il faut maintenant anticiper les chocs qui peuvent affecter l'économie française, à commencer par le choc pétrolier. Un prix du baril en hausse de 20 euros ampute de 0,3 % la croissance de l'économie française. Néanmoins, le prix du baril s'est stabilisé entre 60 et 70 dollars, et nous n'anticipons pas de surcroît d'inflation lié à une forte augmentation à l'horizon 2021.

Plus inquiétantes sont les perspectives du commerce mondial : le ralentissement chinois, la guerre commerciale, ou encore les événements qui affectent les pays émergents présagent d'un effondrement. La part de la croissance tirée par l'extérieur devrait donc être très faible.

L'atonie de la croissance en zone euro est tout aussi préoccupante : l'Allemagne et l'Italie, première et troisième économie de la zone, sont proches de la récession. Il y a des raisons conjoncturelles, comme les nouvelles normes écologiques sur l'automobile en Allemagne, mais aussi structurelles : l'économie allemande semble arriver à la fin d'un cycle. Par conséquent, la demande en provenance de ce pays devrait diminuer au cours des prochaines années.

Le Brexit aura également un impact sur l'économie française. Le Royaume-Uni est la sixième destination pour nos exportations, et l'un des deux seuls pays avec lesquels nous avons un excédent commercial significatif.

Il faut enfin prendre en considération les facteurs endogènes : l'économie française a ralenti à peu près au même rythme que dans l'ensemble de la zone euro, pour une moitié en raison des facteurs exogènes déjà énumérés, et pour l'autre moitié en raison du calendrier fiscal évoqué par Didier Blanchet, des grèves des transports et de la crise sociale de fin d'année qui a affecté la consommation des ménages.

Les dernières mesures budgétaires sont une bonne nouvelle, alors qu'une politique d'austérité était plutôt attendue. Didier Blanchet a mentionné le rebond de la confiance des ménages, peut-être lié à ces mesures. Les entreprises disposent de liquidités abondantes, les taux de marge se redressent. La rentabilité du capital est extrêmement élevée, ce qui devrait favoriser les investissements des entreprises. La consommation des ménages se redresse légèrement, la production industrielle a cessé de baisser et l'indice de production dans les services s'est stabilisé à un niveau élevé. Le ralentissement est peut-être en phase de résorption.

Au total, la vision de l'OFCE est légèrement plus optimiste que celle de l'Insee : nous prévoyons 0,42 et 0,46 % de croissance pour les deux prochains trimestres, et une croissance de 1,5 % en fin d'année. Le choc budgétaire positif attendu est évalué à 0,5 point, ce qui équivaut à l'impact négatif du contexte économique mondial.

La grande inconnue reste le Brexit, sachant que notre prévision de 1,5 % est bâtie sur l'hypothèse d'un Brexit se déroulant dans de bonnes conditions...

Le ralentissement de l'économie française sera modéré en 2019, mais il devrait se poursuivre jusqu'en 2021. Ainsi le nombre de créations d'emplois, compris entre 300 000 et 350 000 en 2017, devrait descendre à environ 100 000 en 2021, mais cette tendance sera compensée par le ralentissement de l'augmentation de la population active. Le taux de chômage devrait ainsi passer de 8,8 % aujourd'hui à 8,5 % en 2021, soit une baisse très modérée.

Le déficit public devrait s'aggraver en 2019, à 3,2 % du PIB, notamment en raison de la transformation du CICE en baisse de charges. Ensuite, la baisse sera très progressive : 2,2 % du PIB en 2020 et 1,7 % du PIB en 2021. La dette publique devrait elle aussi diminuer mais dans des proportions qui sont de l'ordre de l'épaisseur du trait, de 98,6 % du PIB en 2018 à 97,4 % du PIB en 2021.

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