N'étant pas conjoncturiste, j'inscrirai davantage ma présentation dans le moyen et le long terme. Au niveau international, européen et national, nous nous trouvons face à une bifurcation.
Au niveau international, nous sommes confrontés à une forme de désintégration dont l'élément le plus saillant est le risque d'un Brexit « dur » qui affectera le commerce des biens et services. Le Royaume-Uni importe 53 % de ses biens de l'Union européenne et en exporte 44 %. Il perdra également le bénéfice des quarante accords commerciaux passés par l'Union européenne. Le Brexit représentera donc un coût en termes de droits de douane et surtout de barrières non tarifaires, sans compter les coûts micro-économiques liés aux formalités pour les entreprises. Au total, ce coût statique a été estimé entre 2 % et 3 % de croissance sur dix ans.
C'est donc un impact relativement modéré, auquel s'ajoutent des effets dynamiques beaucoup plus importants. L'investissement a baissé au Royaume-Uni en raison des incertitudes, de plus ce pays cesse d'être la porte d'entrée de l'Union européenne. On peut également anticiper une baisse de la productivité, de l'immigration qui a dynamisé l'économie britannique, du pouvoir d'achat liée à la chute de la livre sterling, ainsi que des effets sectoriels dans l'automobile, la finance, la chimie, secteurs traditionnellement exportateurs de l'économie britannique, et dans les services médicaux, l'agriculture, l'hôtellerie et autres secteurs importateurs de compétences.
La période de transition est elle aussi porteuse d'incertitudes même si les inquiétudes relatives au secteur financier ont été quelque peu apaisées.
La Banque d'Angleterre avait été sévèrement critiquée pour avoir envisagé une baisse de 10,5 % du PIB par habitant à long terme en cas de Brexit dur. Or des études économétriques montrent que le PIB du Royaume-Uni serait de 10 % inférieur à son niveau actuel s'il n'avait pas adhéré à l'Union européenne. Cela semble donc plausible.
Quant à l'impact d'un Brexit dur sur l'économie française, il est estimé à 1 point de croissance. Un rapatriement des activités financières à Paris, objet de tous les fantasmes, ne produirait que 0,1 point de croissance ; de plus des activités comme l'agriculture ou la pêche sont particulièrement exposées. Les effets locaux du Brexit pourraient excéder les effets macro-économiques.
Autre risque majeur, la guerre commerciale, qui pourrait porter les droits de douane à 30 points, contre 4,5 points aujourd'hui et provoquer une baisse du PIB mondial de 3 %, autant que la crise financière de 2008. D'aucuns estiment que l'appréciation du dollar provoquée par la hausse des tarifs américains annulera les effets négatifs sur la compétitivité de nos produits. En théorie, 10 points de droits de douane supplémentaires aux États-Unis entraînent une appréciation de 10 % du dollar. Ce ne sont pas nos conclusions : une hausse de dix points, qui est déjà une réalité, devrait être compensée par une appréciation du dollar de 90 %. C'est une perspective irréaliste. Même si le taux de change se comportait de manière conforme à la théorie, ce qui n'est généralement pas le cas, nous ne serions pas protégés.
La réponse optimale de l'Union européenne, outre des rétorsions proportionnées dans le cadre de l'OMC, serait une politique monétaire expansionniste à court terme, et à plus long terme le développement d'accords régionaux et bilatéraux. En cas de guerre commerciale internationale, la valeur du marché unique augmente.
Quant à la zone euro, elle n'est pas encore guérie malgré les efforts engagés après la crise, notamment la mise en place du mécanisme européen de stabilité, les initiatives en matière de politique monétaire, notamment les protections créées par la Banque centrale européenne contre l'éclatement de la zone euro, et enfin l'union bancaire.
Le premier dysfonctionnement est la persistance de la boucle banque-souverain. Les gouvernements ne sont plus supposés financer les banques, mais les banques financent les gouvernements ; ainsi une crise souveraine entraîne automatiquement une crise bancaire. Nous l'avons constaté en Italie. Les banques du pays achètent des obligations souveraines, ce qui est une solution stabilisatrice à court terme mais met en difficulté la zone euro à long terme : en cas de perte de valeur de ces obligations, la capitalisation des banques chute, provoquant un problème de liquidité à court terme, puisque les banques utilisent ces obligations comme collatéral pour obtenir de la liquidité auprès de la BCE. Ajoutons à cela qu'il n'y a plus d'actifs sûrs dans la zone euro.
Deuxième problème : les outils de stabilisation macroéconomiques sont faibles, parce que les États ont accumulé une dette importante et que les politiques monétaires n'ont pas été normalisées. Ainsi, nous serions privés de munitions en cas de nouvelle crise. Les marchés de capitaux restent fragmentés : en cas de crise, comme en Italie, l'État et les entreprises italiens se financent auprès d'acteurs bancaires italiens, ce qui aggrave la situation. Il faudrait qu'ils puissent s'adresser par exemple à des acteurs allemands.
Troisième problème : les trous dans la raquette de la protection contre les crises. Les programmes du mécanisme européen de stabilité sont impopulaires, à la fois chez les créanciers et les débiteurs. Il est aujourd'hui en chômage technique car très impopulaire. Il n'y a pas d'outil de stabilisation au niveau de la zone euro même si des dispositifs très modestes sont envisagés. Les lignes de précaution du MES constituent un progrès : les pays peuvent se pré-qualifier pour, en cas de crise, y recourir de manière inconditionnelle. Tout est cependant dans les détails : le recours sera-t-il vraiment inconditionnel ? Enfin, le fonds de résolution des banques est sous-calibré.
Dernier problème, la convergence macro-économique est difficile, faute d'inflation suffisante dans la zone euro : de ce fait, les pays qui ont besoin de faire baisser leurs prix relatifs n'ont pas de marge pour cela. Il s'opère alors un ajustement asymétrique portant sur les pays en déficit, comme à l'époque de l'étalon-or. C'est déplorable. Rappelons que si la course à la productivité est un jeu à somme positive, la course à la baisse du coût du travail est à somme négative. Si le coût du travail baisse dans l'ensemble de la zone euro, l'euro s'ajustera et l'on n'aura gagné que de la déflation.
Enfin, le problème fondamental de la zone euro n'est pas réglé : nous avons des règles de non-monétisation et de non-restructuration de la dette publique, et de non-renflouement par les États. Pour sortir de la dette, les seules solutions sont la croissance et l'inflation. En l'absence de l'une et de l'autre, j'estime qu'il faut permettre les restructurations de dette publique à l'intérieur de la zone euro.
Je terminerai par la situation de la France, qui bénéficie en quelque sorte de ses faiblesses, notamment une situation budgétaire qui ne s'améliore pas sur le long terme et un problème de compétitivité. De ce fait, la croissance française est moins dépendante du commerce. Autre bonne nouvelle : une relance budgétaire inopinée.
Cela ne doit pas masquer les risques spécifiques. D'abord, face au Brexit, comme nous l'avons vu, la France est en deuxième ligne. Ensuite, la croissance du crédit peut être considérée comme positive puisqu'elle favorise l'investissement, mais l'endettement des entreprises, qui n'est plus limité aux grands groupes, prend des proportions inquiétantes. La dynamique immobilière ne faiblit pas. Enfin, les taux d'intérêt ne vont pas augmenter immédiatement, ce qui est une bonne nouvelle pour les entreprises non financières mais une mauvaise pour les banques, dont la rentabilité est faible.
Restent les faiblesses structurelles : qualifications professionnelles, retard des PME en matière numérique, la diffusion du progrès technique étant trop lente, distorsions dans l'allocation du travail et surtout du capital - qu'il s'agisse de transmission d'entreprise, de fiscalité, de règles de la faillite, d'arriérés de paiement qui pèsent sur les PME, il y a beaucoup à faire pour optimiser l'allocation du capital.