Intervention de Éric Heyer

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 mars 2019 : 1ère réunion
Situation et perspectives de l'économie française — Audition commune de Mme Agnès Bénassy-quéré professeur d'économie à l'université paris 1 panthéon-sorbonne et Mm. Didier Blanchet directeur des études et synthèses économiques de l'institut national de la statistique et des études économiques insee et éric heyer directeur du département analyse et prévision de l'observatoire français des conjonctures économiques ofce

Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE :

Un mot sur les offres d'emploi non pourvues : nous sommes là en plein théorème du lampadaire ! Il y en aurait aujourd'hui 300 000. Mais 100 000 ne sont pas de réelles offres d'emploi - des entreprises susceptibles de remporter un marché réfléchissent à un recrutement, puis omettent de préciser à Pôle Emploi qu'elles retirent leurs propositions de postes. Sur ces 300 000, également, 40 000 offres seront pourvues, mais sont comprises dans le total en raison du délai de recrutement, compris entre trois semaines et quatre mois - en cas de difficulté à recruter. Restent 160 000 offres, dont 135 000 pour lesquelles les chefs d'entreprise reçoivent en entretien entre trois et cinq candidats, qui ne correspondent pas aux attentes : soit l'entreprise recherche le mouton à cinq pattes, pour reprendre votre terme, soit Pôle Emploi lui adresse des candidats mal sélectionnés. Cela concerne surtout des PME, et les auteurs de l'étude concluent qu'elles ont une vision peu réaliste du marché du travail, recrutent peu, s'aperçoivent tard qu'un smic ne peut suffire pour attirer des candidats dotés d'une formation solide, parlant des langues étrangères, etc. Enfin, 30 000 offres ne reçoivent aucune réponse. Mais ce n'est pas en réglant le problème de ces 30 000 offres infructueuses que l'on résorbera un chômage qui touche 3,5 millions de personnes.

Toutes les crises économiques sont nées d'un surendettement. Encore faut-il préciser sa nature. Les historiens ont observé que dans les pays développés, les grandes crises financières n'ont jamais été le fruit d'un surendettement public, toujours d'un surendettement privé, des ménages surtout. Car ces États s'endettent dans leur monnaie et les banques centrales peuvent, temporairement, créer de la monnaie et assouplir les conditions de refinancement. Dans les pays émergents, qui s'endettent en dollar, le risque de faillite est plus élevé.

La dette privée est actuellement en baisse dans les pays développés ; celle des ménages se situe 40 points en deçà du niveau de 2007. Le surendettement des ménages comme de tous les acteurs économiques est une réalité mais le risque est dix fois inférieur à ce qu'il était avec les subprimes. L'essentiel des crédits étudiants aux États-Unis, qui concentre les inquiétudes, sont garantis par le Gouvernement fédéral. Si effondrement il y avait, il serait plus restreint qu'en 2007.

Jusqu'où aller dans l'endettement public ? On a vécu dans le passé et on a fait Maastricht avec une dette publique de 60 % du PIB. Après la crise, un article des économistes Reinardt et Rogoff dans la très prestigieuse American Economic Review plaçait à 90 % la limite acceptable de dette. Il est apparu par la suite que cette étude, qui émanait pourtant de deux grands économistes, avait été un peu trafiquée... Il n'existe en fait pas de seuil maximum pertinent en la matière. En outre, le problème dans ces calculs est que l'on rapporte un stock - la dette, qui est l'addition de tous les déficits - à un flux annuel. Le ratio déficit sur PIB a un sens. Quant à la dette, si sa maturité est de 7,5 ans, comme en France, il faudrait rapporter la dette à 7,5 ans de PIB. De la même manière, une hausse d'un point de taux d'intérêt produit un effet dilué sur cette durée, et non concentré la première année.

L'autre erreur consiste à raisonner en dette brute, à comparer les situations nationales sans prendre en compte les actifs respectifs des administrations publiques. Certains pays ont déjà privatisé tout leur patrimoine ! L'Insee calcule du reste chaque année le patrimoine des ménages, celui des entreprises, celui des administrations publiques. Ce sont les dettes nettes qu'il convient de comparer. La privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) réduit la dette brute, mais aussi le patrimoine public. Réduire la dette brute sans toucher aux actifs est une autre démarche. Ce sont en tout cas les chiffres de dette nette qu'il faut prendre en considération.

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