Intervention de Roger Genet

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 mars 2019 à 11h10
Audition de M. Roger Genet directeur général de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses

Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) :

Merci pour ces mots de bienvenue. Je suis accompagné de Françoise Weber, directrice générale déléguée en charge du pôle produits règlementés, et de Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques.

Nous sommes heureux de venir présenter notre activité et répondre à vos questions. L'Anses est une agence d'expertise scientifique et elle s'appuie sur les connaissances disponibles. Au regard de l'évolution des connaissances, elle réévalue régulièrement ses positions, qu'il s'agisse des nanomatériaux, de l'électro-hypersensibilité, des produits phytosanitaires. Les AMM sont accordées pour une durée définie. À son issue, les industriels doivent déposer leurs dossiers que nous réévaluons à la lumière des données scientifiques dont nous disposons. Nous pouvons donc être amenés à ne plus autoriser ce qui l'était précédemment.

Le métam-sodium était interdit en Europe avant 2012, mais un délai de grâce avait été accordé. Lorsque la presse a évoqué l'intoxication de riverains et d'utilisateurs en Loire-Atlantique, nous étions en train de terminer la réévaluation de ce produit. Nos conclusions ont été publiées alors même que l'interdiction était demandée. Le dossier d'AMM de l'industriel n'était pas recevable et les signaux de phytopharmacovigilance nous ont amenés au retrait immédiat de ce produit.

La loi a interdit les néonicotinoïdes, ce qui nous a amené à retirer les AMM accordées. En 2016 et 2017, nous avons travaillé à une évaluation des produits alternatifs à ces produits. Le rapport, publié en 2018, a donné des bases scientifiques au Gouvernement pour qu'il accorde certaines dérogations. Nous avons également montré les limites économiques de ces alternatives. Le sulfoxaflor, proche des néonicotinoïdes, a été autorisé car il présente beaucoup moins d'inconvénients pour l'environnement et la santé. Notre décision a été suspendue par la justice mais le jugement n'a pas encore été prononcé.

L'Anses a un spectre d'activités parmi les plus étendus d'Europe. Elle regroupe 1 400 personnes, dont la moitié travaille dans des laboratoires sur la sécurité animale, végétale et alimentaire. Nous détenons 25 % des mandats de référence de l'Union européenne, notamment sur les pathogènes en sécurité des aliments et sur les maladies de troupeau. Nous disposons de neuf laboratoires sur seize sites en France, proches des filières, afin de garantir la sécurité sanitaire de la fourche à la fourchette.

L'Agence traite également de la santé environnementale et de la santé au travail. Elle finance des projets de recherche : depuis onze ans, elle est le bras armé du Gouvernement en finançant le programme national de recherche « Environnement, santé, travail ». Ainsi, 43 programmes de recherche ont été financés à hauteur de 7,3 millions d'euros en 2018. Le ministère de la transition écologique et solidaire a débloqué cette année 2 millions pour soutenir des travaux sur les perturbateurs endocriniens.

L'Anses travaille également sur les expositions auxquelles nous sommes soumis au quotidien, qu'il s'agisse de risques microbiologiques, chimiques ou physiques. Nous disposons de 24 comités permanents d'experts externes, soit 800 à 900 spécialistes. Ces comités produisent des recommandations et l'Agence rédige une conclusion, ce qui représente 200 à 250 avis chaque année dont 85 % ont été sollicités par le Gouvernement. Les 15 % restants proviennent des demandes des syndicats et des ONG qui font partie de notre conseil d'administration. L'Agence est extrêmement ouverte au débat et elle est à l'écoute des parties prenantes. Ses avis ne sont pas contestés car sa méthodologie est totalement transparente. L'indépendance des experts est davantage mise en cause au niveau européen qu'en France, car l'agence n'a jamais fait l'objet d'attaques directes.

L'Agence dispose d'un comité de déontologie depuis 2011, bien avant que la loi de modernisation du système de santé ne l'impose aux agences sanitaires. Toutes les déclarations publiques d'intérêt de nos agents et de nos experts, ainsi que leur appartenance aux groupes de travail, sont en ligne et mises à jour chaque année sur le site du ministère de la santé.

L'Agence procède par appel à candidature pour sélectionner ses experts nommés aux comités d'experts ou au conseil scientifique. Elle sélectionne les personnes en fonction de leur profil mais aussi de leur absence de conflit d'intérêt. Un lien d'intérêts ne fait pas un conflit d'intérêts : il est très difficile de ne pas avoir d'expert qui n'ait pas de liens d'intérêts, mais il existe des liens mineurs et d'autres majeurs. L'Agence peut demander à un expert de se déporter en cas de conflit d'intérêt. En cas de parti pris, elle écarte l'expert qui peut être auditionné, mais qui ne fait pas partie des comités délibérants. Nous avons encore renforcé ce cadre strict compte tenu du climat actuel de défiance.

Pour les dix ans de l'Anses, nous organiserons un grand colloque scientifique avec des experts en sciences humaines et sociales sur l'indépendance de l'expertise en matière de sécurité sanitaire. Nos agences doivent retrouver la confiance de nos concitoyens, que ce soit au niveau français ou européen. Des avis contestés ne permettent pas de mener de politiques publiques consensuelles.

Un exemple : en 2018, nous avons été saisis de la question des terrains de sport synthétiques. Nous avons réuni un groupe d'experts en urgence et nous leur avons demandé de procéder à une revue de la littérature scientifique. Des agences sanitaires aux États-Unis et au Canada avaient déjà publié des articles sur ces terrains. Nous avons identifié les questions qui n'avaient pas été traitées, comme les émanations de produits chimiques dans les terrains fermés. Selon les études dont nous disposions, les risques étaient inexistants, mais nous avons demandé à nos experts de travailler sur les données manquantes afin d'éclairer la décision publique.

Après la publication par 60 millions de consommateurs d'éventuels résidus chimiques dans les couches pour bébés, les ministres de la santé et de l'écologie nous ont saisis dans les 48 heures. Il a fallu deux ans à l'Agence pour mener son travail car elle ne pouvait s'appuyer sur aucune étude préalable. Elle a procédé à une évaluation quantitative des risques réels. Contrairement au travail qu'elle avait mené quelques mois auparavant sur les protections intimes féminines, elle a conclu qu'il existait pour les nourrissons des risques d'exposition à des produits chimiques. L'Agence essaye de bien évaluer le niveau de risque pour éviter toute panique et elle propose diverses mesures à prendre. Il s'agit là de la mise en application du principe de précaution qui figure dans notre Constitution.

Notre siège est situé à Maisons-Alfort : 250 personnes travaillent sur les produits phytosanitaires, les matières fertilisantes et les produits biocides qui relèvent de deux réglementations différentes, l'une qui dépend de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour les produits phytopharmaceutiques et l'autre qui dépend de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA). À chaque fois que je croise le commissaire européen, je lui rappelle qu'une simplification et qu'une amélioration des procédures d'évaluation sont indispensables.

Le débat sur les produits phytopharmaceutiques est aujourd'hui très politisé. Le choix de société dépasse le rôle de l'Agence. Les substances actives du glyphosate ont été homologuées par l'Allemagne, État membre rapporteur. Ensuite, les 28 États membres ont examiné l'évaluation, ce qui a abouti à la décision de l'EFSA qui a homologué ce produit. Cette évaluation scientifique a ensuite été portée devant le Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (CPVADAAA) qui réunit les 28 États membres et qui est décisionnaire à Bruxelles. Lorsque la substance active est homologuée au niveau européen - en 2017 pour le glyphosate - il revient à chaque État membre d'autoriser les préparations qui contiennent la substance active. Début 2016, nous disposions de plus de 300 préparations pour le glyphosate et nous en avons interdit 130 en juillet de la même année. L'AMM des préparations pour les utilisateurs privés est devenue obsolète fin 2018, à la suite de la loi Labbé.

Aujourd'hui, cinquante industriels ont demandé le renouvellement de leurs AMM et l'Anses dispose d'une année pour procéder à ces évaluations qui se font d'ailleurs par zones en Europe. Ces produits sont ensuite autorisés dans chaque pays dans les conditions d'usage recommandé par les industriels.

Nous avons ainsi évalué le métam-sodium en fonction des conditions d'utilisation communiquées par les industriels. Le dossier n'étant pas acceptable en termes de risques sanitaires pour les riverains et pour les utilisateurs, nous l'avons refusé.

Le règlement européen nous amène à réévaluer les AMM en fin de délai d'utilisation mais également lorsque des données scientifiques nouvelles justifient une réévaluation en cours d'autorisation.

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