Même si nos avis ne font pas toujours l'unanimité, la méthodologie, l'indépendance, la transparence et l'expertise de l'Anses n'ont jamais été remises en cause depuis que je suis à la tête de l'Agence. Elle a été créée en 2010, mais elle découle de la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) qui avaient été respectivement créées en 1998 et 2002. Notre expertise est collégiale et pluridisciplinaire, ce qui change tout, car les expertises individuelles donnent souvent lieu à des contestations. Le Gouvernement nous a demandé d'inclure dans le champ de nos compétences l'expertise préalable sur les maladies professionnelles avant leur inscription sur le tableau des maladies professionnelles. Nous avons réuni notre groupe de travail hier pour la première fois : ces 25 experts apporteront leurs connaissances de façon collégiale et contradictoire. C'est là toute la différence. Cette année, nous avons trois nouvelles missions : les maladies professionnelles, les vecteurs et le tabac, ce qui inclut le vapotage. Pour ce dernier, nous examinons l'ensemble des composants chimiques de ces produits, soit plus de 10 000 substances déclarées au-dessus du seuil de 0,5 %. Si les risques du goudron et de la nicotine sont parfaitement connus, nous nous efforçons de comprendre les effets à long terme de ces milliers de produits chimiques sur les usagers.
Nos études présentent les estimations des risques environnementaux liées aux expositions multiples auxquelles nous sommes soumis. Les produits respirés, l'alimentation mais aussi les conditions de vie concourent à la réduction de l'espérance de vie. Il est difficile d'établir des liens de causalité entre un facteur unique et une pathologie. L'Anses travaille sur la poly-exposition en matière de santé publique. Elle fait de même pour les abeilles : disposant des connaissances sur de multiples facteurs, elle fait le moins mauvais choix lorsqu'elle autorise un insecticide.
Notre objectif est de trouver des substituts aux produits chimiques et de diminuer les facteurs de risque. Nous devons réduire les expositions à ce qui est strictement nécessaire en tenant compte du développement souhaitable des activités économiques et humaines et de la préservation de la santé.
Il est exceptionnel qu'une étude scientifique vienne bouleverser les connaissances. En revanche, ces travaux permettent de réévaluer et d'affiner les risques.
Nous devons séparer le rôle de l'évaluateur du risque de celui du gestionnaire du risque. Mise à part notre rôle dans les AMM, nous ne sommes pas gestionnaire de risques : nous adressons des recommandations aux pouvoirs publics. La mise en oeuvre des politiques dépend des ministères et du Parlement. Certaines des questions que vous m'avez posées ne sont pas de notre ressort.
Nous avons rappelé cette année notre étude de 2015 sur les cancers de la peau dus aux cabines de bronzage : les pouvoirs publics connaissent le risque mais d'autres facteurs interviennent pour différer les décisions à prendre. Il en va de même pour le tabac pour lequel le risque est parfaitement connu ; pourtant les cigarettes sont toujours en vente. Le rôle de l'Anses est de qualifier le risque et son impact.
Nous travaillons beaucoup sur la méthodologie de l'expertise, à savoir comment graduer les preuves et les risques. Il reste toujours une marge d'incertitude et c'est au décideur public de décider s'il autorise ou s'il interdit : parfois, cela peut se révéler inconfortable pour lui. On passe ainsi d'une approche probabiliste à une décision déterministe.
Lorsque nous rédigeons un avis, nous l'adressons à nos cinq ministères de tutelle qui disposent de quinze jours pour se préparer à sa publication.
Concernant l'avis sur les couches pour bébés, les ministres ont très vite alerté les industriels et ils leur ont donné quinze jours pour donner leur plan d'action. Une note des autorités françaises à la Commission européenne est en cours de rédaction pour demander une normalisation et un encadrement réglementaire au niveau de l'Europe, mais il faut que les tests soient normalisés à l'OCDE.
Entretemps, les industriels ont procédé à des analyses complémentaires, mais nous n'étions pas d'accord avec leurs méthodes puisqu'ils utilisaient de l'eau physiologique salée alors que l'urine comprend des détergents bien plus corrosifs. Ainsi, quand on a mis au point nos tests plus représentatifs, on a décelé des choses que les industriels ne voyaient pas - ou ne semblaient pas voir.
Notre étude n'a pas porté sur les marques. En revanche, nous avons analysé les couches de 23 marques pour disposer d'un panel suffisant entre celles qui étaient chères, celles qui ne l'étaient pas et celles qui revendiquaient d'être bio. Nous ne disposons pas d'échantillons statistiques pour affirmer que telle marque est meilleure que telle autre et comme nous n'avons pas testé toutes les marques, nous ne voudrions pas que le consommateur estime qu'une marque qui ne figure pas dans notre étude est meilleure que les autres. De façon générale, nous n'avons pas trouvé de marque qui était meilleure que les autres sur les produits que nous avons examinés. Désormais, la DGCCRF qui a mobilisé le service commun des laboratoires va procéder à des contrôles lots par lots et ces résultats seront publiés.
Nous avons publié deux avis sur les compteurs Linky en 2016 qui concluaient à leur innocuité pour la santé. Je pense en revanche que nous avons été saisis trop tardivement, et les multiples rumeurs expliquent sans doute la défiance actuelle du public.
L'Anses n'est pas chargée des nouvelles technologies du végétal car il existe un Haut conseil des biotechnologies. Nous allons néanmoins publier prochainement un avis sur les variétés tolérantes aux herbicides.
Vous m'avez interrogé sur les délais de publication des AMM. En 2016, un rapport de la Commission européenne indiquait que nos délais étaient de 2,3 années alors que le seuil maximal était de 18 mois. Depuis que les AMM nous ont été transférées en 2015, nous avons renforcé nos directions sans dégrader l'évaluation scientifique. Quand nous réévaluons un produit, ce dernier reste sur le marché. Très souvent, les industriels nous amènent des données nouvelles en cours d'évaluation, d'où des retards à la prise de décision, ce qui n'est pas pour déplaire à certains groupes. À l'avenir, la politique de l'Agence sera plus rigoureuse face aux jeux parfois pervers des industriels. Le dossier de pré-soumission a été amélioré et les pétitionnaires savent désormais exactement quels sont les documents qu'ils doivent fournir. Dorénavant, tant que le dossier ne sera pas complet, il ne sera pas enregistré : vous verrez que les délais de l'Agence vont brusquement se réduire.
Reste que nous devons nous améliorer, notamment sur la traçabilité des délais. Chaque coordonnateur, qui doit recueillir l'avis de sept experts, traite 200 dossiers. Imaginez le nombre de coups de téléphone qu'il reçoit quotidiennement des pétitionnaires qui veulent des informations !
À l'occasion de la journée du biocontrôle du 29 janvier, nous avons rappelé que cette thématique avait été notre priorité de 2018, année au cours de laquelle nous avons délivré 53 AMM, contre 45 en 2017. Nous avons eu 39 dépôts de demandes alors qu'il y en avait eu 59 en 2017. Nous constatons très peu d'innovations dans le biocontrôle, d'autant que nombre de produits couvrent les mêmes usages. En outre, nous enregistrons de moins en moins de demandes. Aujourd'hui, 95 demandes sont en cours d'instruction alors que nous en avions 120 en 2017. Dans deux ou trois ans, nous serons à flux tendu. L'Agence a mis parfois 38 mois pour se prononcer sur certains produits car elle avait accepté le dépôt de la demande alors que la substance active n'était pas encore homologuée par l'Europe.
Lors des États généraux de l'alimentation, nous avions suggéré que les structures régionales d'accompagnement de transfert de biotechnologies qui assistent les jeunes entreprises puissent aussi les aider à rédiger les dossiers d'AMM, comme elles le font pour le médicament. D'ici peu, nous allons mettre en place des équipes spécialement dédiées au biocontrôle et elles seront accompagnées d'un comité d'experts.
Nous avons rendu un avis sur les abeilles le 5 février : les ministères de l'agriculture et de l'écologie vont réunir les parties prenantes car il leur revient de modifier l'arrêté pour améliorer la santé des abeilles.
J'en termine par le glyphosate. À la suite des États généraux de l'alimentation, le Gouvernement nous a commandé des études pour réduire l'incertitude sur la cancérogénicité de ce produit. Un groupe d'expert a été réuni en urgence pour analyser toute la littérature : il est apparu que les données sur la génotoxicité avaient besoin d'être affinées. Nous allons prochainement lancer un appel à candidature afin de disposer d'études d'ici deux ans afin de décider en toute connaissance de cause lors de la nouvelle homologation du glyphosate. Je ne sais néanmoins pas si ces études permettront de réduire l'incertitude des experts.
Avec l'INRA, nous travaillons également sur les alternatives non chimiques au glyphosate. Si leur impact économique se révèle acceptable, nous ne délivrerons pas les AMM pour les usages vignes, grandes cultures et arboricultures du glyphosate.
J'ai publié un communiqué de presse après la décision du tribunal administratif de Lyon pour contester très vigoureusement les attendus du juge, qui mettait en cause l'Agence comme si elle n'avait pas pris en compte les données scientifiques disponibles. Aujourd'hui, les AMM pour le glyphosate sont délivrées conformément à la réglementation et ne présentent pas pour les usages que nous avons autorisés en Europe et en France d'inconvénients pour la santé et l'environnement. En revanche, les conditions d'utilisation dans d'autres pays sont très différentes des nôtres.
Il ne nous appartient pas de rectifier sans cesse les informations délivrées par les médias. En outre, une procédure pénale pourrait être engagée à mon encontre du fait de la délivrance des AMM pour le glyphosate. Lors du salon de l'agriculture, j'ai participé à une table ronde sur Europe 1 au cours de laquelle j'ai rappelé l'état des connaissances actuelles. J'entends dire que la concentration de glyphosate pourrait s'élever à 3 microgrammes par litre d'urine, soit une consommation quotidienne de 30 à 60 microgrammes pour une personne pesant 60 kilogrammes. Or la dose journalière admissible, qui est cent fois inférieure au seuil de toxicité, est de 900 microgrammes par litre d'eau, ce qui signifie que l'on pourrait consommer jusqu'à 18 000 microgrammes de glyphosate par jour. Certes, il faut savoir pourquoi on se retrouve avec du glyphosate dans les urines mais, le résultat de ces analyses, sur le plan sanitaire, c'est plutôt rassurant.