Intervention de Alain CAZABONNE

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 février 2019 à 9h30
Audition du général michel friedling commandant du commandement interarmées de l'espace

Photo de Alain CAZABONNEAlain CAZABONNE :

Comment la Russie, dont le PIB est équivalent à celui de l'Espagne, peut-elle s'engager dans cette course à l'espace ? En outre, un satellite en orbite peut-il détruire une cible terrestre ?

Général Michel Friedling. - Une première série de vos questions a trait à l'évolution du droit de l'espace. Si le Traité de l'espace de 1967 encadre l'ensemble des activités spatiales, il ne s'applique pas à la totalité des objets spatiaux, mais aux objets qui orbitent - c'est-à-dire ceux qui réalisent au moins une révolution autour de la planète - ou qui vont au-delà de l'orbite terrestre et non aux objets qui transitent dans l'espace extra-atmosphérique. En dehors des satellites eux-mêmes, le principe de souveraineté ne trouve pas à s'appliquer dans l'espace dont l'utilisation doit être pacifique. Ce principe ne contredit cependant pas le principe onusien du droit à la légitime défense. Placer une arme dans l'espace, - à l'exclusion des armes de destruction massive qui peuvent transiter dans l'espace, comme les missiles balistiques intercontinentaux, mais non y être positionnées -, à des fins non agressives n'est pas en soi interdit, selon notre lecture du Traité de l'Espace. L'usage qu'on en fait peut être prohibé. Il est également interdit de militariser la lune et de contaminer l'espace ; ce dernier principe a cependant été mis à mal par la destruction cinétique de deux satellites en orbite.

Personne ne souhaite la révision du Traité de 1967 qui aurait peu de chances d'aboutir. Si la conférence du désarmement travaille sur des évolutions du droit de l'espace, son fonctionnement demeure bloqué par les divergences de vue des Chinois et des Russes. De façon parallèle, des forums, relevant d'initiatives privées et auxquels la France participe, conduisent une réflexion sur ces évolutions, à l'instar du Manuel de Tallinn pour le domaine cyber. Ainsi, l'université canadienne McGill travaille à la rédaction d'un manuel du droit de l'espace - « Manual on International Law Applicable to Military Uses of Outer Space» (MILAMOS) -, et un projet concurrent existe en Australie. Il faut promouvoir des normes de comportement responsable dans l'espace et accompagner l'évolution de notre stratégie d'une politique déclaratoire, consistant à affirmer notre respect du Traité de l'espace sans renoncer à notre droit à la légitime défense, conformément à la Charte des Nations unies.

Dans les simulations conduites lors de l'exercice Schriever Wargame organisé aux États-Unis en novembre 2018 et associant huit nations, l'une d'elle prévoyait les conséquences de la création d'une « Space Defence Identification Zone » incluant les zones atmosphériques et prévoyant la déclaration des satellites, en totale opposition avec le droit international. L'exercice a permis d'établir notamment l'importance d'une action coordonnée globale entre nations reconnues puissances spatiales et la nécessité de construire une chaîne spécifique de partage des informations et de commandement. Est également apparue la nécessité de définir des règles communes de comportement et de transparence, d'avoir une politique déclaratoire. Pour faire face à une situation considérée comme une agression, il faut être en mesure de déployer un spectre de capacités, depuis la détection jusqu'à éventuellement la destruction des menaces, s'appuyant sur des capacités cyber coordonnées.

Cette opération d'envergure internationale a également permis de susciter de nouvelles questions que nous instruisons avec l'ensemble de nos partenaires : quelles sont les règles d'engagement dans l'espace et quel est le champ des emprises et des capacités que l'on doit défendre ? Comment, également, formaliser la coopération avec les opérateurs privés afin de respecter les dispositions juridiques relatives au transfert de capacités ?

S'agissant de la surveillance de l'espace, notre radar GRAVES, lancé initialement sur le programme 144, est la source de notre capacité unique en Europe. Il nous permet d'obtenir un début d'appréciation souveraine sur la situation dans l'espace. Nous avons des accords d'échange d'informations classifiées et non classifiées avec les Américains et sommes ainsi en mesure de compléter les informations que nous recueillons. D'ailleurs, notre connaissance de la situation spatiale est significative et nous permet d'interroger les informations que nos partenaires américains nous transmettent. Cependant, notre connaissance est encore insuffisante. Nous travaillons à l'améliorer. Sur les orbites géostationnaires, nous avons étendu les contrats d'utilisation des télescopes du CNRS et d'ArianeGroup. Dans les options capacitaires, nous avons proposé d'accélérer le renouvellement de nos équipements afin d'obtenir une capacité souveraine française pleinement autonome susceptible de détecter l'ensemble des objets de plus de dix centimètres sur l'ensemble des orbites. Une architecture commune avec nos partenaires allemands, qui devrait favoriser le partage des données collectées, est en cours d'élaboration. Nous serons donc en mesure de voir, de comprendre, d'identifier et de caractériser la situation spatiale nous concernant.

Nous avons étudié la possibilité d'un futur centre d'opérations regroupant l'ensemble des fonctions qui sont actuellement les nôtres et assurant la conduite de nos opérations spatiales. Dans ce cadre, un des éléments de notre réflexion est effectivement relatif aux flux d'informations et à la quantité considérable de données, non seulement collectés ou générés par les satellites, mais également en matière de surveillance de l'espace. Nous pensons qu'il y aura en effet un besoin d'une architecture et de capacités dédiées de stockage et de traitement de ces données, un Space Data Center, inclus ou connexe à un tel centre d'opérations, de manière souveraine.

Concernant le budget, les 3,6 milliards d'euros de la LPM nous permettront de renouveler les satellites HELIOS, ELISA et SYRACUSE 3, et de couvrir partiellement le besoin en matière de surveillance de l'espace. Si nous devons acquérir de nouvelles capacités ou améliorer des capacités existantes, la question des ressources se posera inévitablement. Ce travail est en cours et nous avons identifié plusieurs scenarios en matière d'acquisition de capacités avec une évaluation des coûts associés.

La coopération sur CSO associe de nombreux partenaires : l'Allemagne en est le premier contributeur financier avec 20%, la Belgique y contribue également à hauteur de 3,3 %, et la Suède est bénéficiaire d'images en échange de prestations. Si un accord est en cours de finalisation avec l'Italie et des discussions sont en cours avec l'Espagne et la Grèce. Nous avons également proposé à l'Union européenne de bénéficier des capacités offertes par CSO.

Il est très facile de brouiller un signal GPS depuis le sol. Mais cela met le brouilleur en vulnérabilité et l'effet reste relativement localisé. En revanche, brouiller à la source, c'est-à-dire les satellites qui émettent les signaux, est plus difficile et nécessite des moyens importants. Ne serait-ce que parce qu'ils opèrent en constellation. Quoi qu'il en soit, nous travaillons à la robustesse de nos récepteurs et à notre capacité à opérer en situation dégradée.

Concernant la Russie, je pense, au vu de mes échanges variés, que les Américains sont davantage préoccupés par le développement des capacités spatiales chinoises que russes. On peut le comprendre. Bien que la Russie reste un compétiteur stratégique majeur et dispose de tout le panel des capacités spatiales militaires, l'écart technologique entre la Chine et les Etats-Unis ou l'Europe se réduit à grande vitesse. Les Américains se mobilisent donc vigoureusement pour conserver ou accroitre à nouveau leur supériorité technologique et militaire dans l'espace. C'est le sens de leur décision de créer un commandement unifié dédié aux opérations spatiales, le Space Command et une agence unique d'acquisition de capacités spatiales, la Space Defense Agency, regroupés au sein d'une Space Force, véritable sixième service indépendant des armées américaines mais adossé au département de l'US Air Force. Considérant par ailleurs que leur capacité à constituer une coalition fait partie de leurs atouts stratégiques, les Américains ont également la volonté de fédérer leurs alliés autour d'eux dans une communauté dédiée à l'analyse des enjeux militaires dans l'espace, à la définition de normes communes, de réponses appropriées en coalition le cas échéant. La capacité à opérer en coalition dans l'espace, à l'instar des autres milieux, est un enjeu majeur pour l'avenir. Nous y travaillons avec d'autres nations.

Enfin, pour répondre à une question sur l'utilisation d'armes laser depuis l'espace vers une cible terrestre, il n'est pas encore possible à ma connaissance, en raison de la puissance qu'il faudrait embarquer sur une plate-forme spatiale, d'envisager une telle capacité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion