Merci. Vos questions couvrent tout le spectre des dossiers de ma direction....
Je commencerai par la question sur le droit de veto. Effectivement, le président Hollande avait annoncé une initiative qui consistait à proposer aux autres membres permanents du Conseil de sécurité de s'engager politiquement à s'abstenir de recourir au veto contre une résolution portant sur une situation d'un pays dans lequel étaient perpétrés des crimes relevant de la Cour pénale internationale. C'était après l'usage abusif du veto par la Russie et dans une moindre mesure par la Chine sur le dossier syrien. Elle a suscité un intérêt massif. Nous avons rédigé une déclaration et l'avons proposée à la signature à l'ensemble des États membres des Nations unies. Aujourd'hui, plus de cent États la soutiennent. Le président Macron en a reparlé en septembre à la tribune des Nations unies, souhaitant parvenir à la signature des deux tiers des États. C'est le chiffre, symbolique, par lequel sont adoptées les décisions importantes de l'ONU. Il ne s'agit pas de présenter une résolution ni de changer la charte des Nations unies mais de faire valoir un message politique. L'effort que nous déployons aux côtés des Mexicains porte doucement ses fruits. La Chine semble hésiter davantage à recourir au veto, qu'elle utilisait massivement pour soutenir la Russie en 2014-2015. Le coût politique du recours au veto s'est donc accru, ce qui était notre objectif. Cette initiative est un point majeur pour redonner au Conseil de sécurité sa capacité à travailler, et ce, à charte constante.
La révision de la charte des Nations unies est un sujet discuté à l'Assemblée générale depuis trop longtemps - vingt-cinq ans ! C'est le spectacle terrible d'une incapacité des Nations unies à se décider sur un sujet majeur de gouvernance. Aujourd'hui, ne serait-il pas nécessaire de transformer la composition du Conseil de sécurité ? Elle reflète les équilibres des années 1960, époque à laquelle on a ajouté dix membres non permanents aux cinq membres permanents afin de faire entrer des pays asiatiques et africains. Nous voudrions qu'elle tienne compte des acteurs actuels de la sécurité mondiale que sont l'Inde, le Brésil, l'Allemagne, le Japon, certains pays africains. Depuis vingt-cinq ans, la France plaide vigoureusement en faveur d'une réforme du Conseil de sécurité. Concrètement, aux côtés des Britanniques, nous appuyons le G4 (Allemagne, Japon, Brésil et Inde) pour faire avancer la réforme. Nous nous heurtons toutefois à une résistance acharnée de certains pays, dont la Chine. Le groupe « Unis pour le consensus », au sein duquel on trouve une vingtaine de pays dont l'Italie, le Mexique, l'Argentine, le Pakistan, l'Espagne, le Canada et la Corée du Sud, insiste pour que toute décision sur la réforme soit prise par consensus, ce qui est impossible. Par des biais procéduraux, ce groupe bloque les réformes. Nous avons une incertitude sur la position des Africains car ils veulent une réforme maximaliste, loin du point d'équilibre. Les États-Unis ne sont pas engagés pour que la réforme avance. Alors qu'au moins les deux tiers des membres des Nations unies sont favorables à une réforme, elle ne progresse pas. Nous persévérons avec nos amis du G4, qui réfléchissent à un moyen de sortir de la paralysie actuelle. Nous espérons que le jour de la réforme est proche. Ce serait indispensable, non pour rendre le Conseil plus efficace mais pour accroître sa représentativité et donc sa légitimité à moyen et long terme.
Qu'est-ce que le maintien de la paix ? Une très grosse réflexion est menée aux Nations unies depuis trois ou quatre ans à la suite d'une série de défaillances, des casques bleus allant parfois jusqu'à commettre des crimes sexuels. En outre leur valeur ajoutée est parfois très limitée et leur taux de perte peut être colossal. Ce travail a abouti à l'adoption d'une initiative intitulée « Action pour le maintien de la paix » portée par le secrétaire général de l'ONU, pour repartir sur des bases plus solides et durables. La première chose a été de réinscrire le maintien de la paix dans le cadre politique, qu'il a pour but de rendre possible. La vocation des casques bleus est en effet de créer les conditions de la mise en oeuvre de leurs engagements par les parties à l'accord, c'est-à-dire redéployer leur administration ou réformer le secteur de la sécurité. Le plus souvent, le maintien de la paix ne suffit pas. De plus en plus, sur les théâtres de crise, les belligérants ne sont pas tous parties à l'accord de paix. Certains ne le seront jamais, en particulier les organisations terroristes. Dans ces conditions, il est absolument nécessaire d'intégrer le rôle d'autres acteurs et de partenariats au-delà de l'ONU, qui ne sera jamais en mesure de traiter militairement la menace terroriste. Ainsi, au Mali, le G5 Sahel prend en compte la menace militaire en dehors du cadre de l'ONU.
Si l'on ne peut pas tout attendre des casques bleus, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Leur travail de stabilisation et de contact est absolument indispensable. Il crée le socle minimal de conditions pour que les autorités maliennes redéployent leur présence administrative et enclenchent le processus de paix.
La sécurité des casques bleus eux-mêmes est un sujet capital. Le nombre de morts de la Minusma est considérable ; idem en République démocratique du Congo ou en République centrafricaine. Il faut accroître leur capacité à se protéger eux-mêmes, par la fourniture de matériel, qui relève normalement des États. Avec le soutien de la France, le secrétariat de l'ONU a développé une série d'outils nouveaux, comme la fourniture de matériel par des États tiers. Le travail qui doit être accompli est très largement porté par la France alors que d'autres membres du Conseil de sécurité ne souhaitent pas d'avancée rapide de ce sujet.
Il faut être conscient des limites des opérations de maintien de la paix et des faiblesses capacitaires mais il ne faut pas oublier leur essentielle contribution. S'il n'y avait pas eu la Minusma en 2013, il n'y aurait jamais eu d'accord de paix au Mali en 2015. Quoiqu'imparfaites, les opérations de maintien de la paix jouent un rôle majeur.
L'ensemble du budget de l'ONU est difficile à quantifier. Il représente environ 45 milliards de dollars par an, dont près de 10 milliards pour la paix et la sécurité, plus de 30 milliards de dollars pour le développement et environ 5 milliards de dollars pour les droits de l'homme et surtout le domaine normatif. Il est d'abord alimenté par les contributions obligatoires, essentiellement pour la paix et la sécurité, les opérations de maintien de la paix coûtant entre 6 et 7 milliards de dollars par an et le secrétariat général de l'ONU ainsi que ses instruments, entre 2,5 et 3 milliards de dollars. La France, qui contribue à hauteur de 5 % du budget, est le cinquième contributeur derrière les États-Unis, la Chine, le Japon et l'Allemagne, plus ou moins à égalité avec le Royaume-Uni. La participation de la France aux contributions volontaires est en revanche faible, aux environs de 100 millions d'euros par an contre 2 milliards d'euros pour l'Allemagne et autant pour le Royaume-Uni. Nous sommes toutefois sur une pente ascendante, grâce au Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid). Nous devrions parvenir à 0,5 milliard d'euros pour l'humanitaire et à une somme importante, de même, pour le développement.
M. Cigolotti m'a demandé si, par sa contribution aux Nations unies, la Chine n'était pas en train d'acheter son hégémonie sur le continent africain. J'ai le sentiment inverse. Nombre de partenaires africains évoquent une présence accrue de la Chine, sur un mode bilatéral. Nous préférerions que l'activité de la Chine passe par un cadre multilatéral. C'est le cas : la Chine est le deuxième contributeur parmi les membres permanents de l'ONU et le premier pour les opérations de maintien de la paix. Dès lors que l'action passe par l'ONU, le mode de décision est mutualisé et plus transparent. Je verrais d'un bon oeil une implication accrue de la Chine aux Nations unies. Le multilatéralisme, en général transparent, ouvert, génère plus de confiance que le bilatéralisme. Aujourd'hui, on assiste à un renforcement du rôle de la Chine. Dès lors que c'est dans le cadre des Nations unies, c'est une bonne chose pour tous.
Le désarmement est un sujet abordé au Conseil de sécurité. Juste après la fin de la présidence française, une réunion sera organisée sur cette problématique dans le cadre de l'examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Nous faisons aussi entendre notre voix au sein de la Première Commission de l'Assemblée générale des Nations unies. Les annonces faites par les États-Unis donnent lieu à un engagement prononcé de la France et de l'ensemble des États préoccupés.
Le G5 Sahel, composé de la Mauritanie, du Mali, du Niger, du Burkina Faso et du Tchad, constitue un développement tout à fait passionnant et un élargissement de la réflexion du Conseil de sécurité. Le maintien de la paix doit être pensé non en silo mais avec des partenariats extérieurs, dans une situation complexe où certains acteurs ne sont pas partie au processus de paix. Il a paru à la France et au secrétaire général des Nations unies qu'il était intéressant de soutenir l'engagement militaire du G5 Sahel à lutter contre les groupes terroristes, essentiellement sur le mode bilatéral. Il y a un an, une conférence organisée à Bruxelles a rassemblé près de 0,5 milliard de dollars en ce sens. Nous voudrions un financement de l'ONU afin d'obtenir un effet démultiplicateur. Si les capacités du G5 Sahel sont limitées, on note sa forte volonté politique.
Dans notre relation avec l'Union africaine, une réflexion similaire se met en place via le soutien aux opérations africaines de paix. C'est un partage des rôles entre l'ONU, centrée sur le maintien de la paix, et les opérations africaines qui se chargeraient du recours à la force et de la lutte contre les organisations n'ayant pas vocation à participer à un accord de paix. Nous sommes à un moment décisif, au Conseil de sécurité, où nous essayons de mettre en place un mode de fonctionnement apportant des ressources à ces États africains qui ont une volonté politique mais manquent de moyens.
Le dossier du Sahara Occidental, cette ancienne colonie espagnole administrée par le Maroc, est majeur au sein du Conseil de sécurité. Les perspectives sont très encourageantes. Un envoyé personnel du secrétaire général a été nommé. Il s'agit de l'ancien président allemand, M. Horst Kohler, qui a réussi le remarquable exploit de rassembler l'ensemble des États concernés, qui sont parvenus à se reparler pour la première fois depuis 2008. Il était essentiel de rétablir la confiance. M. Kohler s'efforce de préparer une solution, qui pourrait prendre la forme d'une autodétermination des populations concernées. Cette démarche reçoit le plein soutien de la France, qui parle à l'ensemble des États concernés. Le plan d'autonomie présenté en 2007 par le Maroc constitue selon nous une bonne base. Après une très longue période de stagnation, j'espère que le dossier avancera enfin avec l'assentiment de tous.
Le dossier « Femmes, paix et sécurité » constitue un changement d'approche de la gestion de crise. Nous nous sommes rendu compte que les femmes constituaient une part écrasante des victimes, mais aussi qu'elles avaient un rôle à jouer. Leur présence dans les délégations de négociation d'accords de paix accélère la prise de décision et l'identification de solutions. Elle est donc absolument indispensable. Dans le cadre de ces travaux, menés depuis près de vingt ans, les États ont adopté des plans nationaux d'action pour que cette problématique soit intégrée dans notre fonctionnement diplomatique ou militaire. Nos deux plans nationaux ont fait l'objet d'évaluations dont nous tirons les leçons pour être encore plus efficaces. La France et l'Allemagne sont pleinement engagées.
J'en viens à la situation de la Russie en République centrafricaine. Notre ligne est simple et claire : le cadre porté par l'Union africaine doit être mis en oeuvre. Nous ne sommes pas favorables à toute initiative intempestive qui torpillerait ses efforts. Un accord vient d'être signé à Khartoum à son initiative. C'est une bonne chose. Alors que le pays a frôlé le risque de génocide, nous devons tous être unanimement alignés derrière les médiateurs.
Enfin, pour ce qui est de la dimension franco-allemande, je le redis : il ne s'agit pas de faire une « coprésidence », mais d'utiliser la coïncidence de la succession à la présidence de deux États pleinement engagés dans le multilatéralisme pour maximiser leurs efforts. Ces deux présidences jumelées nous donneront l'occasion de démontrer notre engagement en la matière.