Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier la présidente de la délégation aux droits des femmes, tous ses membres, ainsi que les services, d’avoir permis la rédaction de ce projet de résolution à partir du rapport que Marta de Cidrac et moi-même avons réalisé en mai 2018. Je salue aussi le travail de celles et ceux qui accompagnent les victimes sans relâche et qui, pour certains, sont présents aujourd’hui dans cet hémicycle.
Au moment où je prends la parole devant vous, je revois les visages, les regards de toutes celles que nous avons rencontrées. J’entends leurs paroles sobres et pudiques, mais ô combien chargées de souffrances, nous disant le choc terrible ou le néant complet après le « charcutage » qu’elles ont subi et leur reconnaissance envers tous ceux qui les ont aidées. Vous avez certainement lu la biographie de Waris Dirie, née en 1965, ou vu le film qui en est inspiré, Fleur du désert ; elle fut longtemps ambassadrice de l’ONU dans la lutte contre les mutilations. On ne sort pas indemne d’un tel travail ni du constat réalisé.
On vous l’a dit, 200 millions de femmes sont mutilées dans le monde, dont 44 millions ont moins de 15 ans. Si trente pays sont particulièrement concernés à l’instar de l’Égypte ou de la Somalie, l’excision ne constitue pas une problématique purement étrangère : plus de 500 000 femmes seraient concernées à travers l’Europe, selon l’Institut national d’études démographiques, l’INED, dont 53 000 victimes en France.
À l’aune de ce constat dramatique et glaçant, il apparaît absolument nécessaire de réaffirmer l’engagement résolu de notre pays contre les trois phénomènes distincts, mais bel et bien liés entre eux : les mariages des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines. Ils sont liés, car ils s’inscrivent dans un parcours traumatique, véritable continuum de l’ensemble des violences faites aux filles et aux femmes. Véritable violation des droits humains fondamentaux, du droit à l’intégrité physique et mentale, à la santé, les mutilations sexuelles féminines constituent l’expression même de la domination masculine sur le corps des femmes et leur sexualité. D’ailleurs, la délégation aux droits des femmes a préféré, à juste raison, l’expression « mutilations sexuelles » à celle de « mutilations génitales » en raison de son caractère plus englobant.
Il ne s’agit pas ici d’une problématique médicale, mais bien d’une question sociétale qui interroge directement la place des femmes dans la société et leur capacité à disposer de leur corps et à vivre leur sexualité. Aucune tradition culturelle ou religieuse ne saurait justifier ces pratiques profondément ancrées dans la conviction de l’infériorité de la femme et de la fille. Aucun texte religieux ne requiert de telles tortures. C’est une coutume sociétale, parce qu’aucun mari ne voudra d’une épouse non excisée.
Comme l’a dit Marta de Cidrac, lors de nos déplacements et de nos rencontres, nous avons pu mesurer les variations qui existent dans les sectionnements du clitoris. Je vous rappelle d’ailleurs, mes chers collègues, que celui-ci apparaît pour la première fois dans un manuel scolaire en 2017 ! Nous avons pu mesurer l’ampleur des conséquences effroyables tant physiques que psychiques pour ces femmes, qui sont parfois aggravées par l’infibulation : complications obstétricales, rapports sexuels douloureux, incontinence, douleurs persistantes. Le constat est sans appel : l’excision est bien une torture exercée à l’encontre des femmes et, je le répète, visant à nier l’existence même de leur corps, de leur sexualité et de leur être tout entier.
L’une des victimes nous disait : « C’est être vivante et morte à la fois. » Nous avons été frappées par le caractère évolutif de ces pratiques. Ces actes de torture sont perpétrés, dans certains pays, par des professionnels médicaux, rendant ainsi la reconstruction plus difficile, d’après le Dr Foldes, l’un des pionniers de la chirurgie reconstructive. De plus, au-delà des fillettes, les nourrissons et les filles plus âgées sont également concernés aujourd’hui.
En France, on vous l’a dit, c’est pendant les congés scolaires, à l’occasion d’un séjour dans leur famille qu’elles risquent d’être excisées, parfois malgré l’avis de leurs parents, parce que c’est la grand-mère qui a l’autorité ! Face à ce constat alarmant, nous avons formulé des recommandations, et en premier lieu la nécessaire mobilisation de tous les acteurs concernés : protection maternelle et infantile – PMI –, médecine scolaire, personnel éducatif, médecins libéraux, services de justice, Office français de protection des réfugiés et apatrides – Ofpra –, consulats, mais aussi les communautés, les organisations et associations de terrain, les services sociaux et la police, dont les moyens doivent absolument être renforcés.
L’engagement résolu des hommes représente également un levier fondamental pour faire évoluer ces pratiques qui ne constituent pas qu’une affaire de femmes, mes chers collègues masculins, mais répondent bien à un ordre établi patriarcal. Ce combat, loin d’être achevé, ne peut être que collectif !
La France a pris conscience de la gravité de l’excision dans les années 1980, notamment lors de la médiatisation de certains procès qui ont fait date. Elle a opposé une réponse pénale forte à ces pratiques, et la loi de 2013 a renforcé la protection des mineurs et les sanctions encourues par les personnes incitant aux mutilations. L’auteur et le responsable de l’enfant mutilé peuvent être poursuivis pour ce type de violences et encourent dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
La France a ratifié en 2014 la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, laquelle, dans ses articles 37, 38 et 39, exhorte les États parties à éradiquer cette violence. Cette convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique est un instrument juridique exceptionnel qui couvre tout le prisme des violences faites aux femmes et formule de manière pionnière un article très clair pour engager les États à interdire en tant que telles les mutilations sexuelles féminines et pour en faire des infractions pénales.
Cependant, la répression ne suffira pas à endiguer cette pratique. Il s’agit aussi de mener des actions d’information et de sensibilisation auprès de chaque professionnel concerné, de chaque communauté, pour faire évoluer les mentalités. Les autorités ont renforcé leur partenariat avec les associations qui offrent aux victimes un soutien matériel et psychologique et qui les aident dans leur parcours d’insertion sociale et professionnelle. Je tiens encore une fois à saluer le travail remarquable qu’elles accomplissent !
La communauté internationale s’en est pleinement saisie à travers un arsenal juridique qui n’a cessé de s’enrichir et nous ne pouvons que nous en féliciter, tant il transcende les frontières et appelle à un engagement collectif et résolu. L’ONU, l’OMS, l’Unicef, sans oublier le travail du comité du prix Nobel de la paix, effectuent chaque jour un travail remarquable pour prendre en charge les victimes et faire évoluer les mentalités et les pratiques par l’éducation.
Dès 2001, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont je suis membre, a condamné l’excision dans l’une de ses résolutions. En 2013, ma collègue Marlene Rupprecht a réalisé un rapport consacré au droit à l’intégrité physique des enfants. En octobre 2016 est adoptée une résolution sur les mutilations génitales, à la suite du rapport de mes collègues Fresko-Rolfo et Maury Pasquier. Cette dernière est aujourd’hui la présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Ainsi, les efforts conjugués des parlements nationaux et des instances internationales permettent d’enrichir nos réflexions et contribuent à rendre plus visibles ces actes de torture à travers le monde.
Malgré une prise de conscience croissante, ces mutilations perdurent et demeurent ancrées dans les cultures et traditions des communautés qui les pratiquent. L’échéance de 2030 fixée par l’ONU pour les éradiquer nous apparaît aujourd’hui bien proche, et il s’agit donc de mener une lutte commune et globale, tant sur le plan législatif qu’éducatif, judiciaire et politique.
Cette proposition de résolution vise à exprimer, pour la première fois, la participation forte du Sénat à ce combat et à rendre hommage aux professionnels et bénévoles qui, partout dans le monde, œuvrent au quotidien pour faire avancer les droits des filles, leur accès à l’instruction et partant, la lutte contre les mariages forcés et l’excision. Mes chers collègues, cette cause internationale appelle votre pleine et entière adhésion.