Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la résolution que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la tradition du Sénat, qui, dès 2006, était à l’initiative d’une loi interdisant le mariage pour les moins de 18 ans.
Aujourd’hui encore, selon les chiffres rappelés par Annick Billon, 650 millions de femmes à travers le monde vivent en ayant été mariées pendant leur enfance. Et une fille sur cinq est mariée de force avant ses 18 ans.
Aujourd’hui encore, des mutilations sexuelles féminines menacent les jeunes filles en Afrique, mais aussi en Asie du Sud-Est ou, plus près de nous, sur le sol français.
Aujourd’hui encore, à La Réunion, mais ailleurs également, les grossesses précoces restent une menace à l’épanouissement plein d’une vie de femme.
Cette résolution, vous l’aurez compris, dépasse le cadre de notre assemblée et nous rappelle que la France a pour devoir d’éclairer les consciences.
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité », souligne l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous sommes ici les garants de ces droits.
Que nos collègues Annick Billon, Marta de Cidrac et Maryvonne Blondin soient ici remerciées de nous permettre de renouer avec ce devoir et cette responsabilité morale qui sont les nôtres, nous renvoyant aux quinze constats et recommandations qui figuraient dans le rapport de la délégation aux droits des femmes sur les mutilations sexuelles féminines, lesquels devraient être largement diffusés.
Car, même si les modalités sont différentes, le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines relèvent d’une même logique et ont, in fine, les mêmes conséquences.
Ils sont la partie connue de systèmes sociaux qui consacrent l’infériorité et l’invisibilité des femmes, érigeant l’obscurantisme en norme sous prétexte de traditions ancestrales, religieuses ou culturelles.
L’objectif est toujours le même, quelle que soit la forme de violence pratiquée : nier le corps de la femme, étouffer sa parole et lui refuser l’envol de l’esprit en lui refusant l’éducation. C’est bien là une forme de servilité.
Malala, cette jeune Pakistanaise, nous a rappelé voilà quelques années que certains sont prêts à tuer pour laisser les jeunes femmes dans l’ignorance.
Et Nassimah, pour avoir été mariée à 17 ans au sein de la République française, peut vous dire que certains parents pensent bien faire quand ils agissent en perpétuant leurs propres traditions et croyances…
L’école, l’éducation, est la seule voie pour s’extraire des chemins tout tracés par les familles, les traditions ou les religions pour les adolescentes d’hier et d’aujourd’hui.
Quels que soient les pays, les conséquences de ces pratiques sont toujours les mêmes. Elles sont psychologiques, sanitaires, avec une surmortalité des femmes, notamment lors des accouchements. Elles sont sociales, avec des sociétés rigidifiées, sans évolution possible. Elles sont économiques, enfin, puisque ces pays, en se privant des femmes, se privent d’une partie de leur richesse et de leur potentialité de développement.
Notre responsabilité, mes chers collègues, n’est pas seulement de dénoncer, mais aussi d’agir : agir par des campagnes de communication, agir en aidant les associations – elles manquent de moyens financiers, monsieur le secrétaire d’État –, agir en informant, en formant, en éduquant, en soutenant des initiatives comme cette plateforme nationale des religieux mise en place en Guinée sous la houlette de la ministre de l’action sociale et de la promotion féminine, agir en soutenant des projets de coopération avec les pays les moins avancés, car le mariage des enfants reste étroitement associé à la pauvreté.
Dans beaucoup de pays, une fille est souvent considérée seulement comme une bouche à nourrir.
La grande dame que fut Simone Veil aurait été honorée de voir, le 8 mars dernier, que le premier prix qui porte son nom a été remis par le Président de la République à Aïssa Doumara, une activiste camerounaise qui lutte contre les mariages forcés et les violences faites aux femmes.
Souvent se chuchote, se fait, se tait, dans le secret des communautés et parfois des institutions, l’emprise de pratiques discriminatoires et criminelles. Et nous occultons la dénonciation nécessaire. Sous prétexte de ne pas pouvoir tout dire du monde, nous ne dénonçons pas ces agissements condamnables, alors même que ces combats font partie des objectifs du millénaire pour le développement.
Je me rappelle par exemple des confidences de ces adolescentes aux Comores, me demandant que cessent les abus de certains fundis, des maîtres d’école coranique agissant en toute impunité. Je porte leur parole sur mes épaules. Je pense aussi à l’Éthiopie, où 75 % des petites filles sont encore excisées.
Chers collègues, cette résolution nous rappelle à ce devoir moral de dénonciation et d’action. Je ne doute pas qu’ici, au Sénat, nous saurons l’adopter à l’unanimité.