Intervention de Nicole Duranton

Réunion du 14 mars 2019 à 14h30
Lutte contre le mariage des enfants les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à féliciter Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, Marta de Cidrac et Maryvonne Blondin d’avoir été à l’initiative de cette proposition de résolution, que j’ai bien évidemment cosignée. Je tiens également à féliciter les associations qui luttent contre le mariage des enfants et les mutilations sexuelles féminines.

Les grandes vacances en famille dans les pays d’origine des parents devraient être source de bonheur, de joie et d’insouciance pour les petites filles et les adolescentes. Las, pour certaines, elles deviennent un cauchemar. On ne peut ni tolérer l’intolérable ni accepter l’inacceptable.

Traiter les femmes comme des humains de seconde zone est une tradition inacceptable. Les pratiques de l’excision et du mariage forcé sont inexcusables au XXIe siècle et n’ont aucune place dans une société civilisée.

Si les mariages forcés entre adultes sont une réalité, nombre d’entre eux sont imposés à de jeunes filles, voire à de petites filles.

Les chiffres mentionnés dans la proposition de résolution sont édifiants. Derrière ces tristes chiffres se cachent autant de vies brisées, de talents et potentiels gaspillés et de risques graves pour la santé, sur le plan tant psychique que physique. Un mariage précoce entraîne le plus souvent un abandon de la scolarité, un passage trop rapide à la vie d’adulte, une enfance volée, un esclavage domestique, des relations sexuelles subies et des grossesses non désirées et dangereuses pour la santé.

Nous abordons le sujet de manière abstraite, habitués – malheureusement presque anesthésiés – par la vie et nos activités parlementaires à traiter de sujets graves. Mais projetez-vous dans votre passé, mes chers collègues, et imaginez que vous ayez été mariés de force à l’âge de 15 ans ! Dans des camps de réfugiés, c’est même à 11 ans que certaines petites filles sont mariées afin d’obtenir des rations alimentaires et une protection. On observe, hélas ! une corrélation logique entre multiplication des conflits et des catastrophes naturelles, d’une part, et augmentation des mariages forcés, d’autre part.

Ces explications de détresse et d’urgence vitale ne sont pas les seules raisons. Il faut aussi changer les mentalités : dans certains pays du monde, nombreux sont les parents qui, n’ayant pas les moyens d’offrir une éducation à leurs enfants, estiment que la solution est de les marier. Nombreuses sont aussi les jeunes elles-mêmes à penser qu’il s’agit de la seule solution.

La dénonciation des mariages forcés, ce que les associations tentent de faire, peut avoir un véritable impact, car elle permet d’agir. En effet, il arrive que, lorsque des témoins osent parler, un mariage soit annulé et que la jeune fille puisse être rescolarisée.

Si parfois les campagnes de prévention sont bien accueillies, il n’est pas rare qu’elles se heurtent à la résistance des différents corps sociaux des communautés, où la pratique est bien ancrée, ainsi qu’à celle des parents.

En ce qui concerne les mutilations sexuelles féminines défendues par les femmes elles-mêmes, elles sont vues comme un acte d’honneur dans des sociétés qui considèrent que le corps de la femme est la propriété des hommes de la famille.

Le rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont je suis membre, fait observer que « les normes sociales jouent un rôle clé dans la persistance de ces pratiques : elles sont la marque d’une culture et d’une tradition, dont le non-respect entraîne nécessairement le rejet social et la marginalisation ».

Comme cela est souligné dans le rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat par nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, dont je salue l’excellent travail, le Dr Ghada Hatem explique que cette idée de rite initiatique est tellement ancrée dans la tête des petites filles qu’elles pensent être impures si elles n’en passent pas par là. Le plus dramatique est certainement le fait que le corps médical se prête parfois à ces pratiques, sous le prétexte d’offrir des conditions d’hygiène optimales.

Je me réjouis que le Sénat prenne part à la mobilisation, dans laquelle s’est déjà inscrit le Conseil de l’Europe avec les résolutions 2233, adoptée en 2018 sur les mariages forcés en Europe, et 2135, adoptée en 2016 sur les mutilations génitales féminines en Europe. Le Conseil de l’Europe avait déjà condamné ces pratiques en 2001, puis de nouveau en 2013 dans sa résolution 1952 sur le droit des enfants à l’intégrité physique. Il avait aussi appelé les États membres à intégrer de manière systématique les mutilations génitales féminines dans les procédures et politiques nationales de lutte contre les violences, ainsi qu’à mener des campagnes de sensibilisation contre ces violences, notamment en fournissant des informations dans les langues les plus parlées par les communautés pratiquant ces mutilations.

Ayez conscience, chers collèges, que nous serons jugés par nos enfants, non seulement sur ce que nous aurons réalisé, mais aussi sur ce que nous n’aurons pas fait ! Il est donc de notre devoir de faire tout notre possible, de mettre toutes nos forces dans cette lutte et de saisir toutes les marges de manœuvre, aussi faibles soient-elles, pour éviter que perdurent ces pratiques barbares qui ne sont pas dignes de l’être humain.

La différence de nos cultures, loin de nous éloigner, nous enrichit dans la limite, néanmoins, du respect et de la dignité qui sont dus à la personne humaine.

Je voterai bien entendu cette proposition de résolution.

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